LES GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION

Selon la version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidines a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan, le 24 décembre 1979. Mais la réalité gardée secrète est tout autre : c’est en effet le 3 juillet 1979, soit avant l'intervention soviétique, que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Zbigniew Brzeziński, qui était alors le conseiller du président Carter pour les affaires de sécurité, a joué un rôle clé dans cette affaire. Au cours d'un interview réalisé par "Le Nouvel Observateur" le 15/01/1998, Brzeziński a confirmé que le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière afghane, il a écrit une note au président Carter qui disait en substance : «Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam». De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique. A la question : "Vous ne regrettez pas d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes et des conseils à de futurs terroristes", Brzeziński a répondu : "Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes où la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ?". A la question suivante : "Quelques excités ? Mais on le dit et on le répète : le fondamentalisme islamique représente aujourd’hui une menace mondiale", Brzeziński a rétorqué : " Sottises. Il faudrait, dit-on, que l’Occident ait une politique globale à l’égard de l’islamisme. C’est stupide : il n’y a pas d’islamisme global. Regardons l’islam de manière rationnelle et non démagogique ou émotionnelle...". Cette interview est sortie des archives à l'occasion de la mort de Brzeziński survenue le 26.05.2017. Rappelons que Barack Obama l’a nommé conseiller aux affaires étrangères lors de sa campagne présidentielle… Bref, c’est bien tous le problème des “complots” : des fois, ils existent bel et bien ! Cf. http://www.les-crises.fr/oui-la-cia-est-entree-en-afghanistan-avant-les-russes-par-zbigniew-brzezinski/

LES GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION

INDEX

PARTIE I

1.     La stratégie de l’Anaconda

2.     La puissance Maritime («Sea Power») de Alfred Mahan

3.    “Heartland” contre “World Island” de Halford John Mackinder

4.     Le «Rimland» de Spykman

5.     Le paneuropéanisme et les pan régions de Friedrich Ratzel et de Karl Haushofer

6.     Le «Nomos de la Terre» de Carl Schmitt

7.     La Stratégie d’endiguement («containment») de George Kennan

8.     La Théorie du «Système mondial» d’Immanuel Wallerstein

9.     La Théorie des «Régions géostratégiques» de Saul B. Cohen

10.  "Le choc des civilisations» de Samuel Huntington"

 

PARTIE II

"Le Grand échiquier» de Zbigniew Brzezinski

 


 

LES GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION

PARTIE I

 

1.  La stratégie de l’anaconda

     Pour le géopoliticien allemand Karl Haushofer les Anglo-saxons pratiquent la politique de l’Anaconda, consistant à enserrer progressivement sa proie et à l’étouffer lentement.

     Le penseur, juriste et philosophe allemand Carl Schmitt, dans son ouvrage «Terre et Mer» [1], rappelle que les cabalistes du Moyen-Age interprétaient l’histoire du monde comme un combat entre un animal marin, une puissante baleine, le Léviathan, et un animal terrien, éléphant ou taureau, le Behemoth [2]. Ce dernier essaie de déchirer le Léviathan avec ses défenses ou ses cornes, tandis que la baleine s’efforce de boucher avec ses nageoires la gueule du terrien pour l’affamer ou l’étouffer. Pour Schmitt, derrière cette allégorie mythologique se cache le blocus d’une puissance terrestre par une puissance maritime. Il ajoute: «l’histoire mondiale est l’histoire de la lutte des puissances maritimes contre les puissances continentales et des puissances continentales contre les puissances maritimes», axiome que reprendront les géopoliticiens anglo-saxons.

 

2.  La puissance Maritime («Sea Power») de Alfred Mahan

     Premier d’entre eux, l’amiral Alfred Mahan [3], estime que la puissance maritime («Sea Power») s’est révélée déterminante pour la prospérité des nations. Pour lui, la Mer peut agir contre la Terre – alors que l’inverse n’est pas vrai – et finit toujours par l’emporter. Profondément persuadé que la maîtrise des mers assure la domination des terres, il énonce : «L’Empire de la mer est sans nul doute l’Empire du monde» [4]. Dans «The problem of Asia» (1900), il applique à l’Eurasie son paradigme géopolitique, insistant sur la nécessité d’une coalition des puissances maritimes pour contenir la progression vers la haute mer de la grande puissance terrestre de l’époque, la Russie. En effet, sa position centrale confère un grand avantage stratégique à l’Empire russe, car il peut s’étendre dans tous les sens et ses lignes intérieures ne peuvent être coupées. Par contre - et là réside sa faiblesse - ses accès à la mer sont limités, Mahan ne voyant que trois axes d’expansion possibles: en Europe (pour contourner le verrou des détroits du Bosphore et de l’Hellespont détenus par les turcs), vers le Golfe persique et sur la Mer de Chine. C’est pourquoi il préconise un endiguement de la «tellurocratie russe» passant par la création d’un vaste front des puissances maritimes, des thalassocraties, qui engloberait les USA, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Japon.

 

3. Heartland” contre “World Island” de Halford John Mackinder

     L’universitaire britannique Halford John Mackinder (1861-1947) [5] s’inspirera de Mahan. Une idée fondamentale traverse toute son œuvre: la confrontation permanente entre la Terre du Milieu ou «Heartland», c’est-à-dire la steppe centre-asiatique, et l’Île du Monde ou «World Island», la masse continentale Asie-Afrique-Europe.

     C’est dans sa célèbre communication de 1904, «Le pivot géographique de l’histoire» («The geographical pivot of history»), qu’il formule sa théorie, que l’on peut résumer ainsi:

1°) la Russie occupe la zone pivot inaccessible à la puissance maritime, à partir de laquelle elle peut entreprendre de conquérir et contrôler la masse continentale eurasienne;

2°) en face, la puissance maritime, à partir de ses bastions (Grande-Bretagne, Etats-Unis, Afrique du Sud, Australie et Japon) inaccessibles à la puissance terrestre, encercle cette dernière et lui interdit d’accéder librement à la haute mer.

     Mackinder pense, à la manière de Friedrich Ratzel (cf. infra), que le monde doit être perçu à partir d'une cartographie polaire (et non une projection mercatorienne). D'après sa théorie du «Heartland», on observerait ainsi la planète comme une totalité sur laquelle se distinguerait d'une «Terre du Milieu», («Heartland»), (pour 2/12e de la Terre, composée des continents eurasiatique et africain), des «îles périphériques», («Outlyings Islands»), (pour 1/12e, l'Amérique, l'Australie), au sein d'un «océan mondial» (pour 9/12e). Pour lui, la steppe asiatique quasi déserte, le «Heartland», entourée de deux croissants fortement peuplés: le «Croissant intérieur» («inner crescent»), regroupant l’Inde, la Chine, le Japon et l’Europe, qui jouxte le «Heartland», et le «Croissant extérieur» («outer crescent»), constitué d’îles diverses. Le croissant intérieur est soumis régulièrement à la poussée des nomades cavaliers venus des steppes du «Heartland». Il illustre sa thèse en évoquant les grandes vagues d'invasions mongoles qu'a connues l'Europe au cours des XIIIe et XIVe siècles notamment sous l'égide de Gengis Khan et de Tamerlan [6]. La plaine ukrainienne représentait alors, selon Mackinder, l'espace de mobilité par excellence permettant des invasions rapides au moyen de la cavalerie. L’ère «colombienne» voit l’affrontement de deux mobilités, celle de l’Angleterre qui amorce la conquête des mers, et celle de la Russie qui avance progressivement en Sibérie. Avec le chemin de fer, la puissance terrestre est désormais capable de déployer ses forces aussi vite que la puissance océanique. Obnubilé par cette révolution des transports, qui permettra à la Russie de développer un espace industrialisé autonome et fermé au commerce des thalassocraties, Mackinder conclut à la supériorité de la puissance tellurique, résumant sa pensée dans un aphorisme saisissant: «Qui tient l’Europe continentale contrôle le Heartland. Qui tient le Heartland contrôle la World Island». Il reprend en fait la devise du grand navigateur anglais Sir Walter Raleigh (né en 15521 - décapité le 29 octobre 1618) qui, fut le premier, pour s’exprimer ainsi: «Qui tient la mer tient le commerce du monde; qui tient le commerce tient la richesse; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même». Effectivement, toute autonomisation économique de l’espace centre-asiatique conduit automatiquement à une réorganisation du flux des échanges, le «croissant intérieur» ayant alors intérêt à développer ses relations commerciales avec le «Heartland», au détriment des thalassocraties anglo-saxonnes.

     Dans son ouvrage «Democratic Ideals and Reality» (1919), Mackinder rappelle l’importance de la masse continentale russe, que les thalassocraties ne peuvent ni contrôler depuis la mer ni envahir complètement. Concrètement, il faut selon lui impérativement séparer l’Allemagne de la Russie par un «cordon sanitaire», afin d’empêcher l’unité du continent eurasiatique. Politique prophylactique suivie par Lord Curzon, qui nomme Mackinder en tant que Haut commissaire britannique en «Russie du Sud», où une mission militaire assiste les Blancs de Dénikine [7] contre les Rouges de Lénine et obtient qu’ils reconnaissent de facto l’autoproclamée république d’Ukraine de Simon Petlioura…

     Pour rendre impossible l’unification de l’Eurasie, Mackinder préconise la balkanisation de l’Europe orientale, l’amputation de la Russie de son glacis baltique et ukrainien, l’endiguement containment») des forces russes en Asie.

 

4.  Le «Rimland» de Spykman

     L’idée fondamentale posée par Mahan et Mackinder - càd interdire à la Russie l’accès à la haute mer - sera reformulée par Nicholas John Spykman [8], qui insiste sur l’impérieuse nécessité de contrôler l’anneau maritime ou «Rimland», cette zone littorale bordant la Terre du Milieu et qui court de la Norvège à la Corée. Pour lui, «qui maîtrise l’anneau maritime tient l’Eurasie, qui tient l’Eurasie maîtrise la destinée du monde». Pour Spykman, la balance du pouvoir et l’équilibre du monde se joue sur ce bandeau de terre entourant le cœur du continent eurasiatique et ne doit en aucun être dominé par une seule et unique puissance.

     Le «Rimland» de Spykman correspond au «Croissant intérieur» de Mackinder. Cette région est découpée en trois sections: les côtes européennes, le Moyen-Orient, l'Inde et l'Extrême-Orient. Selon Spykman, cette région joue un rôle déterminant, par sa localisation entre le «Heartland» et les mers marginales du «Croissant extérieur»: parce qu'il est considéré comme une zone tampon entourant le «Heartland», la maîtrise du «Rimland» permettrait de contrôler le «Heartland» et donc le monde. L'intérêt de contrôler le «Rimland» réside également dans son potentiel industriel et démographique, que Spykman considère plus important que celui du «Heartland», en plus du potentiel de pouvoir qu'offre la localisation à la fois terrestre et maritime de la région. Le "Rimland" est donc plus important que le "Heartland" dès lors qu’il est sous contrôle. L'idée maîtresse de Spykman était que si les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine Nationaliste garantissaient le contrôle du «Rimland», ces trois États pourraient alors faire face à l’avancée des puissances allemande et japonaise dans l'encerclement du «Heartland» tenue par l'URSS. Cependant, dès 1942, Spykman était convaincu que la confrontation à terme entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique (alors alliée des États-Unis)  serait inévitable car les deux pays avaient des ambitions grandioses sur l’arène géopolitique.

     Alors que chez Mackinder le «Croissant intérieur» est un espace de civilisation élevé mais fragile, car toujours menacé de tomber sous la coupe des «barbares dynamiques» du «Heartland», chez Spykman le «Rimland» constitue un atout géopolitique majeur, non plus à la périphérie, mais au centre de gravité géostratégique. Pour lui, la position des territoires du Rimland «par rapport à l’Équateur, aux océans et aux masses terrestres détermine leur proximité du centre de puissance et des zones de conflit; c’est sur leur territoire que se stabilisent les voies de communication; leur position par rapport à leurs voisins immédiats définit les conditions relatives aux potentialités de l’ennemi, déterminant de ce fait le problème de base de la sécurité nationale» [9]. Après 1945, la politique extérieure américaine va suivre exactement la géopolitique de Spykman en cherchant à occuper tout le «Rimland» et à encercler ainsi le cœur de l’Eurasie représenté désormais par l’URSS et ses satellites. Dès le déclenchement de la Guerre froide, les Etats-Unis tenteront, par une politique de «containment» (endiguement) de l’URSS, de contrôler le «Rimland» au moyen d’une longue chaîne de pactes régionaux: OTAN, Pacte de Bagdad, puis Organisation du traité central du Moyen-Orient, OTASE et ANZUS.

     Toutefois, dès 1963, le géopoliticien Saül B. Cohen (cf. infra) proposera une politique plus ciblée visant à garder uniquement le contrôle des zones stratégiques vitales et à remplacer le réseau de pactes et de traités allant de la Turquie au Japon par une «Maritime Asian Treaty Organization» (MATO) [10].

 

5.  Le paneuropéanisme et les pan régions de Friedrich Ratzel et de Karl Haushofer

     En 1897, le naturaliste allemand Friedrich Ratzel [11] développe sa «théorie organique».  Cette théorie soutient que l'État est comme un organisme attaché à la terre qui est en concurrence avec d'autres États pour prospérer.  Comme tous les organismes vivants, l'État a besoin d’un espace de vie («Lebensraum»). En 1901 il a écrit l’ouvrage «Au sujet des lois de l’expansion spatiale des États» par lequel il intègre le facteur que constitue l’expansion géographique pour porter un projet politique. Il critique alors l’étroitesse des frontières européennes, et appelle à un pan européanisme, porté par un leadership allemand. Ratzel accorde à l’espace géographique un rôle primordial: la notion de peuple est pour lui un ensemble de groupes et d’individus qui n’ont besoin d’être liés ni par la langue ni par la race, mais par un sol commun. L’Europe peut avoir l’ambition d’une suprématie mondiale, et pour cela, une alliance avec l’Asie, et en particulier l’Extrême-Orient est nécessaire.

     Ratzel définit les 7 lois universelles d’expansion spatiale des États:

- une croissance spatiale parallèle au développement de leur culture ;

- une expansion parallèle au renforcement de leur puissance économique, commerciale ou idéologique ;

- une extension par absorption ou assimilation d’entités plus petites ;

- la frontière est un organe vivant, matérialisant un état de fait à un moment donné, et elle est donc un facteur modifiable ;

- la logique géographique prévaut pour absorber des régions et conforter la viabilité du territoire, par l’acquisition de plaines, de bassins fluviaux, de marges littorales ;

- l’extension est favorisée par la présence en périphérie d’une civilisation inférieure ;

- la tendance à l’expansion est un mouvement autoalimenté.

     Ratzel a été accusé de favoriser l’argumentation scientifique du recours à la guerre, et de légitimer celui-ci. Ses idées ont servi de fondement aux volontés expansionnistes du IIIe Reich. Or, il faut souligner que s’il prônait un leadership allemand, son idée maîtresse était la naissance d’un vaste espace européen unifié.

     Reprenant les idées de Ratzel et de Mackinder, Karl Haushofer [12] accentua la nécessité de prendre en compte les dangers de la géopolitique pour l’Allemagne, par la création d’un vaste espace vital. Selon Haushofer, le monde doit s’organiser autour de 4 grandes pan régions :

- une région paneuropéenne, incluant l’Afrique, et dont l’Allemagne aurait le leadership ;

- une région panaméricaine, dominée par les États-Unis ;

- une région panrusse, incluant l’Asie centrale et le sous-continent indien ;

- une région pan asiatique, dominée par le Japon.

     Hauschofer a enseigné à Munich pendant la première guerre mondiale, et c'est là que Rudolf Hess a entendu ses conférences et plus tard l’a présenté à Hitler, qui s'inspire de sa théorie de l'«espace vital» — «der Lebensraum» — et qu'il intègre dans son «Mein Kampf». Associé au nazisme, Haushofer prône l’alliance de l’Allemagne, puissance terrestre, et du Japon, puissance maritime, afin de contrer les velléités de conquête de l’Empire britannique et des États-Unis. Pour l’école allemande de Ratzel-Haushofer, le contrôle de l’Eurasie peut seul donner la suprématie mondiale.

 

6.  Le «Nomos de la Terre» de Carl Schmitt

     Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les théories du juriste allemand Carl Schmitt [13] sont de plus en plus souvent citées en référence aux événements qui se déroulent sous nos yeux. Certains sont même allés jusqu'à faire de l'auteur de «La notion politique» [14] l'inspirateur secret de la politique de la Maison-Blanche. Cette thèse est bien sûr invraisemblable compte tenu du passé de Carl Schmitt, engagé dans le parti nazi, antisémite inflexible et juriste officiel du IIIe Reich. Ce qui est en revanche certain, c'est que toutes les grandes thématiques de Carl Schmitt sont directement impliquées dans l'évolution récente de la politique internationale. La guerre menée en Irak par les Etats-Unis marque un retour à la «guerre juste» moralo-humanitaire, où l'ennemi devient une figure du Mal, dont Carl Schmitt avait dénoncé les effets dévastateurs. L'avènement d'un terrorise «global» renvoie directement aux thèses exposées par Schmitt dans sa «Théorie du partisan». L'instauration dans les pays occidentaux d'un état d'exception qui tend de plus en plus à devenir permanent ne peut se comprendre qu'en référence à ce qu'il a pu écrire sur le «cas d'exception». Enfin, l'effondrement en 1991 du duopole américano-soviétique de l'après-guerre, annonce de toute évidence la naissance d'un nouveau monde, ainsi que Schmitt l'avait prévu dès 1950 dans ses écrits sur les grands espaces, la dualité Terre-Mer et l'instauration d'un nouveau «Nomos de la Terre».

     Dans «Le Nomos de la Terre» (1950), Carl Schmitt définit, à partir d’une redécouverte du concept grec de “nomos”, trois ordres, trois équilibres de la Terre dans l’histoire de l’humanité.  Le “nomos”, au sens traditionnel du terme, est la loi, la norme, la règle. Le terme est l’équivalent du jus romain. Nomos signifie dès lors en première instance, la “prise”; le mot allemand “nehmen” (prendre) dérive de la même étymologie. Ensuite, ce terme signifie, le partage et la répartition de la “prise”. Troisièmement, il signifie l'exploitation et l'utilisation de ce que l'on a reçu à la suite du partage, c'est-à-dire la production et la consommation. Prendre, partager, paître sont les actes primaires et fondamentaux de l'histoire humaine, ce sont les trois actes de la «tragédie des origines» (Maschke, p. 518).

     Pour Carl Schmitt, le “nomos” ne se résume pas à la loi mais est tridimensionnel: il est d’abord la prise (l’appropriation d’un territoire), puis son partage et enfin son exploitation. Tout système juridique, avant d’être un ordre normatif qui permet ensuite un partage puis une exploitation, résulte d’abord d’une appropriation d’un espace par l’homme. Tout système juridique résulte d’un ordre spatial. Partant de cette définition, Carl Schmitt distingue trois ordres géopolitiques, trois équilibres du monde tout au long de l’histoire de l’humanité, qu’il appelle des “nomos de la Terre.

     Durant le premier “nomos de la Terre, qui s’étend de l’Antiquité au Moyen-Age, l’Europe connait des phases d’unification successives. L’Empire Romain, premièrement, impose sa loi et accorde progressivement sa citoyenneté à tous les hommes libres de l’Empire. Après la chute de sa partie occidentale en 476, c’est la papauté qui entend à son tour unifier l’Europe par la chrétienté. Léon III sacre Charlemagne empereur à Aix-la-Chapelle en l’an 800, par qui l’Empire Romain ressuscite. L’Empire devient chrétien et l’Empereur le défenseur de la Cité de Dieu. Malgré une histoire mouvementée (déplacement de son centre de gravité à l’Est dès 962, Querelle des Investitures etc.), l’Empire restera la principale puissance politique européenne jusqu’au 15ème siècle, époque à partir de laquelle l’Empire décroît.

     Pour Carl Schmitt, l’unification par le droit de cet espace qu’est l’Europe médiévale se fait en raison de l’existence d’un dehors, d’un espace libre qui échappe au droit: la Mer. Il n’y a possibilité de légiférer un dedans que parce qu’il existe un dehors qui échappe au droit. Ainsi l’unification du continent européen, qui se pensait seul sur Terre, s’est réalisée grâce à une étendue floue et liquide qui dessinait nettement les contours de l’Europe. A l’appropriation du territoire européen, à son unification par la loi, a succédé un partage de ses terres, puis leur exploitation. Prendre, partager, paître, tels sont les trois mouvements du “nomos”.  Cependant, le premier “nomos” fut local et ne concerne que le continent européen.

     Dès 1492 et les grandes découvertes, s’annonce le deuxième “nomos de la Terre qui devient global puisqu'il doit s'étendre à la totalité du monde. A une phase d’unification succède une phase de division, de guerres. Les différentes nations européennes vont alors se concurrencer pour étendre leur suprématie sur les territoires du Nouveau Monde. C’est la lutte des nations, entérinée par le traité de Westphalie (1648), qui annonce la souveraineté nationale en reconnaissant l’Etat comme le seul maître de son territoire. L’Empire Autrichien est démantelé en 350 minuscules Etats qui sont désormais seuls habilités à légiférer sur leur territoire. 150 ans plus tard, cet ordre est remis en cause par la Révolution française et les guerres napoléoniennes, mais le Congrès de Vienne (1815) redessine l’Europe pour 100 ans. Quant au destin du reste du monde, il est le fruit de la conférence de Berlin (1889), durant laquelle les principaux empires coloniaux délimitent arbitrairement ses frontières. Prendre, partager, paître. Ce partage du monde au gré des guerres européennes se prolonge jusqu’au milieu du 20ème siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui signifie le déclin du monde européen et voit l’avènement d’un nouvel ordre.

     Au sortir de la seconde guerre mondiale, un troixième “nomos de la Terre se fait jour. Il est nouveau car la fin de l’ordre européen voit l’avènement d’un monde bipolaire, séparé par un rideau de fer entre deux grandes puissances: les Etats-Unis et l’URSS. Le monde devient «un seul lit pour deux rêves» et voit l’affrontement entre deux idéologies, le libéralisme et le communisme. Au conflit direct sur un champ de bataille se substitue la «guerre froide», plus insidieuse. Nouveau “nomos” également car la notion de “nomos” change. L’humanité s’approprie de nouveaux territoires. Non seulement la Terre, mais la Mer, le Ciel et l’Espace deviennent objets du droit. On passe littéralement d’un nomos de la Terre à un nomos du Cosmos. Le droit international légifère sur les eaux territoriales et un droit cosmopolitique apparaît: le lancement de Spoutnik en 1957 provoque la création l’année suivante à l’ONU d’un comité chargé de soulever les questions juridiques sur les conquêtes de l’espace. Ainsi en 1967, l’ «Outerspace Treaty» définit les règles de droit international pour l’exploration et l’exploitation de L’Espace. Prendre, partager, paître. Cet ordre du monde s’écroule avec la chute du Mur de Berlin en 1989 et la dissolution de l’URSS le 26.12.1991.

     Aujourd’hui, nous assistons sans doute à la naissance d’un quatrième nomos de la Terre. Les Etats-Unis sont certes la seule grande nation qui dispose de tous les attributs de la puissance (militaire, technologique, culturelle, médiatique, économique et financière), mais le monde s’agence progressivement en blocs, en continents, en civilisations. Les Etats-Unis retardent le passage d’un monde qui se défait de leur emprise à un monde qui se morcelle inéluctablement en aires d’influence diverses, comme en témoigne l’émergence de la Chine et de l’Inde. Le nomos  change encore de nature. Après la Terre, la Mer, le Ciel et l’Espace, c’est désormais l’immatériel qui devient objet de l’appropriation de l’homme. La globalisation donne naissance à un nomos de l’économie” où, de façon progressive, la logique du marché s’impose à tous les domaines de la vie. La culture, l’éducation, le sport sont progressivement happés par la raison marchande qui est régie par la loi du profit. L’homme semble bien ne plus savoir quels territoires conquérir ni quoi se partager, et le nomos” paraît se réduire à sa dimension d’exploitation.

     Pour le nouveau nomos” qui n'a pas encore été forgé, la théorie de Schmitt voit trois possibilités principales: a) Une des puissances dominantes soumet toutes les autres, b) Le nomos” dans lequel les états souverains s'acceptent comme adversaire est à nouveau construit, c) l'espace devient un pluriversum (contre l’universum) de grandes puissances d'une nouvelle sorte. Schmitt tient la réalisation de la deuxième variante comme invraisemblable. Il exclut radicalement la première ("Le droit par la paix est sensé et convenable; la paix par le droit est domination impérialiste"). Il a surtout en vue qu'une puissance égoïste (les États-Unis), disposerait du monde selon les intérêts de leur puissance. Pour Schmitt, le Ius Belli ne doit pas devenir le droit préalable d'une unique puissance, sinon le droit international cesse d'être paritaire et universel. Il ne reste plus que la troisième variante d’un pluriversum d'un petit nombre de grands espaces. La condition préalable à cette fin serait en fait d'après Schmitt une guerre globale, car seule une explication sous forme de guerre est apte à fonder un nouveau “nomos de la Terre”.

  • Dissolution de l’ordre international - Grand espace, pirates et partisans

     Carl Schmitt diagnostique la fin de la Nation. La disparition de l’ordre des États souverain est la conséquence de plusieurs facteurs: en premier lieu, les États eux-mêmes se dissolvent, ce qui correspond à une nouvelle sorte de sujet du droit international ; en second lieu, la guerre est devenue ambiguë - c’est-à-dire générale et totale - et a par conséquent perdu son caractère conventionnel et délimité.

     Sur le point concernant les États, Schmitt en rapport avec la «doctrine Monroe» [15], introduit une nouvelle sorte de Grand Espace avec interdiction d’intervention pour les puissances qui n’y appartiennent pas. Il s’en suit un découpage de la Terre en différents Grands-Espaces satisfaisant à une certaine histoire, une certaine économie et une certaine culture. En 1941, Schmitt infléchira de façon national-socialiste, ce concept de Grand Espace développé depuis 1938 pour créditer les idées politiques du IIIe Reich.

     Selon l'analyse de Schmitt les États ont en même temps perdu le monopole de la conduite des guerres. Les conflits attirent désormais de nouveaux combattants indépendants des états et qui s'instaurent comme des partis capables de diriger les affrontements. Schmitt voit au centre de cette nouvelle manière de conduire les guerres des hommes qui s'identifient totalement avec le but de leur groupe et par conséquent ne connaissent aucune limite à la réalisation de ces buts. Ils sont désintéressés et prêts au sacrifice. On rentre par-là dans la sphère de la totalité et donc on pénètre sur les terres de l'inimitié absolue.

     On a donc désormais à faire au partisan que Schmitt décrit en quatre points. L'irrégularité, un fort engagement politique, la mobilité et le caractère tellurique (un lien avec le lieu). Le partisan n'est plus reconnaissable en tant que combattant régulier, il ne porte pas d'uniforme, il élude consciemment la différence entre les combattants et les civils qui est constitutive du droit de la guerre. De par son fort engagement politique, le partisan se distingue du pirate. Le partisan combat tout d'abord pour des raisons politiques avec lesquelles il s'identifie constamment. Du fait de son irrégularité, le partisan est particulièrement mobile à la différence d'une armée régulière. Il peut intervenir rapidement et de façon inattendue et se retirer tout aussi vite. Il n'agit pas de façon hiérarchique et centralisée, mais de façon décentralisée en réseau. Son caractère tellurique apparaît selon Schmitt dans son sentiment d'être relié de façon concrète à un lieu qu'il défend. Ce partisan localisé ou encore relié à un lieu conduit tout d'abord des guerres de défense. Mais ce dernier point constitue également sa perte. Le partisan (ou comme on le nomme aujourd'hui: le terroriste) devient «l'outil de la politique mondiale de domination d'un centre de direction qui l'utilise dans un conflit soit ouvert soit invisible, et le laisse tomber en fonction des circonstances».

     Tandis que l'ennemi conventionnel au sens de la guerre limitée conteste un aspect bien déterminé au sein d'un cadre accepté par toutes les parties prenantes, l'ennemi irrégulier conteste ce cadre lui-même. Le partisan lorsqu'il n'est plus relié à un sol concrétise l'inimitié absolue et par là marque le passage à la guerre totale. Pour Schmitt ce passage du partisan autochtone au partisan agressant le monde entier commence historiquement avec Lénine. Dans ces guerres nouvelles qui sont imprégnées par l'inimitié absolue du partisan, il ne s'agit plus de conquérir un nouveau territoire, mais d'anéantir une forme d'existence pour cause de son absence apparente de valeur. De cette inimitié définie de façon contingente s'affirme une inimitié ontologique ou intrinsèque. Avec un tel ennemi, il n'est plus possible de mener une guerre limitée et plus aucun traité de paix n'est possible. Schmitt nomme cela la "guerre discriminante" à la différence de la "guerre à parité". Ce concept de guerre discriminante rompt avec la réciprocité et juge l'ennemi d'après les catégories de la justice et de l'injustice. Si le concept d'ennemi devient total en ce sens, on quitte alors la sphère du politique pour entrer dans celle du théologique, c'est-à-dire la sphère d'une différence ultime et non négociable. D'après Schmitt, il y a tout simplement absence de disposition éthique des buts de guerre, parce que les postulats éthiques, fondamentalement non négociables, appartiennent à la sphère théologique.

 

7.  La Stratégie d’endiguement («containment») de George Kennan

     George Kennan [16] est crédité d'avoir formulé la stratégie géopolitique américaine d'endiguement («containment») en réponse aux actions de l'Union soviétique après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et comme une initiative majeure visant à empêcher que l’influence soviétique prenne racine dans les pays en développement et parmi les pays non alignés. Kennan a soutenu que l’endiguement ne visait pas à inhiber la capacité de l'URSS pour la croissance et le développement, mais plutôt à empêcher ce pays d'imposer sa propre idéologie sur ses voisins ou à d'autres pays souhaitant demander l'aide au développement américaine: «Mes idées au sujet de l’endiguement ont été déformées par les gens qui les ont comprises et exécutées uniquement comme un concept militaire; et je pense que c’est cela qui nous a conduits aux 40 années du processus inutile, horriblement coûteux, que fut la guerre froide».

     Deibel et Gaddis [17] croient que l’article «X» de Kennan transmettait sa conviction qu’il était peu probable que les politiques soviétiques soient le reflet d’un véritable souhait de paix et stabilité dans le monde et que l’endiguement visait donc à faire affronter les Soviétiques à un contre coup puissant à chaque point du globe où ils allaient montrer des signes d'empiéter sur les intérêts d'un monde pacifique et stable.

     Un autre acteur géopolitique qui a soutenu la thèse de George Kennan fut Paul Nitze, un des auteurs du US National Security Document 68 (NSC-68), qui a énoncé les principes de l’endiguement. Nitze, selon Deibel et Gaddis (1986), a affirmé que les Soviétiques essayaient ne pas atteindre la parité entre les deux superpuissances, mais plutôt la prouesse stratégique via la course aux armements et autres activités. En conséquence, d’après Nitze, il était nécessaire d’empêcher les Soviétiques d’acquerir une puissance d’armement supérieure nucléaire supérieure, même au prix d'une course aux armements.

     Deibel et Gaddis (1986) affirment que l’endiguement est resté l’approche dominante dans la politique étrangère américaine de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à l'effondrement de l'Union soviétique. Tous les conseillers au Président des États-Unis, dont Henry Kissinger et Zbignew Brzezinski, étaient déterminés à maintenir cette politique. Par ailleurs, le Président Nixon n’a jamais considéré que la détente puisse représenter une dérogation ou un abandon de la vision américaine pour l'endiguement de l'Union soviétique.

     Brzezinski, le principal conseiller aux affaires étrangères de Jimmy Carter, a qualifié la stratégie mondiale soviétique d’impérialisme organique unique dérivant d'une crainte d’insécurité territoriale. Il a donc fait appel pour l'entretien des trois piliers de l’endiguement: une présence permanente diplomatique et militaire américaines sur les continents eurasiens avec une alliance de l'OTAN, une forte Europe renaissante et une Chine indépendante.

     L’analyse de Deibel et Gaddis (1986) donne à penser que la politique d'endiguement a évolué au fil du temps au fur et à mesure que les États-Unis s'éloignaient d’une confrontation militaire directe avec l'expansionnisme communiste en Corée du Sud et au Vietnam vers une réponse moins militariste qui emploie davantage l'aide économique comme un moyen pour attirer les pays non alignés dans la sphère d'influence occidentale. Cette tendance d’apparence non-belliciste a été cependant contrebalancée par la volonté constante des États-Unis de pousser à la course aux armements qui a duré pendant toute l'administration Reagan et qui constituait en réalité la réponse militaire américaine à la menace soviétique. En définitif, l’endiguement émerge comme une stratégie qui vise à contrecarrer les ambitions hégémoniques soviétiques en ce qui concerne le «Heartland» eurasien et les pays de la périphérie ou le «Rimland». C'est un excellent exemple de politique de puissance qui se joue dans un monde bipolaire dans lequel deux superpuissances déterminées sont prêtes à concourir pour la domination quasiment indéfiniment.

 

8.  La Théorie du «Système mondial» d’Immanuel Wallerstein

     Les décideurs politiques durant la Guerre froide ont utilisé la théorie «Rimland» comme justification pour la politique d'endiguement visant à arrêter la propagation du communisme. En Amérique, la géopolitique a été simplifiée et déformée pour servir des fins politiques. Les Géopoliticiens provenaient des domaines des relations internationales et de l'histoire ou de l'armée, mais pas du domaine de la géographie. Pour ces géopoliticiens géographie signifiait distance, taille, forme et caractéristiques physiques, principes qui étaient tous statiques. L'idée de la géographie comme configuration spatiale et lieu des relations qui reflètent des processus physiques et humaines dynamiques était absente.  Le monde était vu comme étant composé de deux blocs avec aucune zone superposée.

     Immanuel Wallerstein [18] qui écrit dans les années 1970, a développé sa théorie du Système mondial.  Un système mondial est un système social, qui a des limites, des structures, des groupes membres, des règles de légitimation et de cohérence. Selon Wallerstein, il y a deux variétés du système-monde: les empires du monde, dans lesquelles il y a un système politique unique dans la majeure partie de leur espace; et ces systèmes où un système politique unique n'existe pas sur l'ensemble du territoire. Le terme utilisé pour décrire ce type de système mondial est celui d’«Économie-monde». Wallerstein estime que le développement de l'Économie-monde en Europe au XVIe siècle a été rendue possible par une division du travail qui n'était pas simplement fonctionnelle, mais aussi géographique. Au sein de ce système-monde, il distingue trois régions géographiques:

1) Les États noyaux (Core States) qui constituent des régions principales de l'Économie-monde.  Ils ont des solides structures d'état et une culture nationale, et leurs peuples sont intégrés. Les États noyaux sont des puissances économiques reliées par le commerce et la technologie, et ils sont des exploitants de la périphérie.

2) Les régions périphériques sont des États faibles; il s’agit des États colonies ou des États avec un faible degré d'autonomie. 

3) La troisième région comprend des zones semi périphériques, celles qui agissent comme un tampon entre le noyau et la périphérie. 

Le système mondial de Wallerstein reflète également le déterminisme car il croyait que puisque le système-monde avait été entièrement développé par les années 1950, aucun pays ne serait plus en mesure d'entrer dans le système et pouvoir affronter avec succès la concurrence et que les pays de la périphérie ne seraient probablement jamais en mesure de rattraper économiquement leur retard par rapport aux États noyaux.

 

9.  La Théorie des «Régions géostratégiques» de Saul B. Cohen

     Aujourd'hui les géographes visionnent le monde en termes de profils spatiaux qui ne sont pas maîtrisables à l'intérieur des frontières nationales.  Ils voient le monde comme un système interdépendant et l'État-nation comme une partie d'un monde qui est une zone partagée.  Un partisan de cette théorie est Saul B. Cohen [19], qui a écrit la géographie et la politique dans un monde divisé [20]. Saul Cohen a concentré son analyse géopolitique sur les forces qui ont été déclenchées par l'effondrement de l'URSS et la disparition du monde bipolaire. Cohen divise le monde en «régions géostratégiques». Les deux régions principales sont le Domaine Maritime (Maritime Realm), qui est dépendante du commerce et le Domaine Continental Eurasien (Eurasian Continental Realm), soit intérieur en direction.  Dans chaque domaine se trouvent tout d'abord les Etats de premier ordre (ceux qui sont les plus puissants au sein de la région). Cohen croit que ces régions géostratégiques sont importantes puisqu'elles sont des centres d'activité économique qui sont reliés entre eux et sont donc capables de créer une carte mondiale d'équilibre dynamique. Cohen, à la différence de Wallerstein, estime que le pouvoir est dans beaucoup d'endroits différents et est en constante évolution dans un système intégré.

      Cohen utilise également les notions connexes de «Gateways» (passerelles) et de «Shatterbelts» (zones de conflit en géopolitique). Au sens de Knox et Marston (2001), «Shatterbelt» est une région du monde coincée entre forces extérieures politiques et culturelles qui s’affrontent, où le conflit est endémique, où une énorme volatilité politique existe et où les puissances mondiales dominantes sont souvent vues comme des entités menaçantes et qui doivent être combattues. Cohen affirme que le Moyen-Orient est un excellent exemple d'une région «Shatterbelt» contemporaine dans laquelle les tensions courent élevées et la possibilité d'un conflit qui pourrait s'étendre à l'extérieur de la région est également présente.

      Comme «Gateways» (passerelles) sont considérés par Cohen les points d'entrée dans les «Heartlands» autonomes ou semi-autonomes. L’Europe de l'est, la Transcaucasie et l'Asie centrale sont des passerelles qui ont parfois aussi été des «Shatterbelts». La différence entre un «Shatterbelt» et un «Gateway» dépend du degré de stabilité interne que la région a atteint ou dont elle est capable de maintenir face à des forces économiques et idéologiques internes et externes.

      Cohen est catégorique dans son affirmation que les forces économiques et idéologiques qui ont été jadis étouffées par la concurrence durant la guerre froide sont désormais libres et deviennent responsables de nouveaux conflits dans le monde. C'est ce genre de tension qu'il voit comme créatrice d'un monde qui est polarisé le long des lignes économiques, ainsi que les lignes idéologiques. Alors que Samuel Huntington avait prévu un choc des civilisations en raison de la fin de la guerre froide (Knox & Marston 2001), Cohen  (2003) suggère que la mondialisation et la diffusion de la technologie favoriserades arrangements  même au sein de régions de conflit de type «Shatterbelt» très volatiles.

     L’analyse de Cohen identifie une nouvelle hiérarchie des unités géopolitiques. Ces unités varient de sous-nationales aux géostratégiques et globales. En insistant sur l'interaction entre ces unités, Cohen a essentiellement anticipé qu'un nouvel ordre mondial est susceptible de se développer en raison de nouvelles activités économiques.

     Cohen ne limite pas son analyse uniquement à l'échelon géostratégique mondial, mais enrichit sa perspective avec une dimension régionaliste. Comme dans les années 1960, également aujourd'hui, le caractère unique de l’approche géopolitique de Cohen réside dans son approche régionaliste. L’équilibre global n'est pas seulement un produit de l'équilibre au niveau géostratégique, mais aussi de celui au niveau régional, puisque les régions géopolitiques sont des composants structuraux des espaces géostratégiques — la seule exception étant l’Asie du Sud (Inde, Pakistan, Bangladesh, Myanmar), qui constitue une région géopolitique indépendante secouée par une tourmente continue. Cette dernière, ainsi que la région «Shatterbelt» de Moyen-Orient (qui comprend également la Libye, l’Egypte et le Soudan), forment ce qu'il appelle un ''Arc d’instabilité géostratégique''. Curieusement, cet arc reproduit presque exactement le «croissant intérieur» de Mackinder, le «Rimland» de Spykman ou, plus récemment, l’"Arc de crise" de Brzezinski.

 

10.  Le choc des civilisations de Samuel Huntington

     Dans son ouvrage sur le choc des civilisations, Samuel Huntington [21] estime qu’après la guerre froide, période (1947-1990) pendant laquelle on a raisonné en termes d’affrontements idéologiques entre le bloc communiste et le «monde libre», les rapports de force pertinents sont dorénavant ceux entre les civilisations. En effet, à l’ordre binaire de la guerre froide, Huntington oppose un ordre multipolaire basé sur les civilisations. Les civilisations, nous dit-il, sont durables parce qu’elles sont évolutives, c’est pourquoi elles sous-tendent toujours plus ou moins les organisations politiques, qui sont moins durables, et ne peuvent évoluer sans ruptures. La civilisation chez Huntington n’est pas un concept catégorisant, servant à décrire un plan défini de l’espace modélisé. C’est un outil de la pensée stratégique, visant à situer la réflexion dans des paradigmes (paradigme du chaos, opposition pays riches/pays pauvres, etc.), qui doivent, selon lui, structurer l’action prioritairement.

     En substance, Huntington prétend que depuis la fin de la guerre froide, ce sont les identités et la culture qui engendrent les conflits et les alliances entre les États, et non les idéologies politiques ou l’opposition Nord-Sud. Pour Huntington, la civilisation représente l’entité culturelle la plus large. Elle «est le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer des autres espèces. Elle se définit à la fois par des éléments objectifs, comme la langue, l’histoire, la religion, les coutumes, les institutions, et par des éléments subjectifs d’auto-identification». Le monde a ainsi tendance à se diviser en civilisations qui englobent plusieurs sous-civilisations et plusieurs États.

     Huntington souligne le retour des nations. Les identités, mises entre parenthèses pendant la phase du choc des idéologies (XX° siècle), resurgiront. Cependant, dans l’esprit de Huntington, le retour des nations n’est pas forcément celui des Etats-nations: seuls les Etats-nations cohérents sous l’angle civilisationnel seront cohérents sous l’angle national. Il n’y a donc pas de coïncidence entre État et civilisation. Pour Huntington, c’est la Nation völkisch au sens allemand, pas la Nation étatique au sens français qui va structurer le XXI° siècle.

     Une des conséquences majeures de cette évolution, estime l’auteur, est que les anciens Etats-nations, jadis dépouillés de leur souveraineté par le haut, risquent de l’être désormais par le bas. Si un musulman socialiste est plus proche des musulmans que des socialistes, alors même si son pays est socialiste, il sera moins fidèle à ce pays socialiste qu’à la «communauté civilisationnelle» musulmane, c'est-à-dire à un ensemble diasporique transfrontalier. Autre caractéristique de l’époque qui s’ouvre: ces identités nationales engendrent des phénomènes de solidarité internationale, mais cette solidarité n’est plus organisée autour des blocs idéologiques. C’est désormais l’identité culturelle en elle-même qui crée les solidarités préférentielles. Une personne culturellement issue de l’aire musulmane, et socialiste par ses options politiques, va se penser comme musulman culturel avant de se penser comme socialiste politique, et sera plus solidaire d’un musulman capitaliste que d’un socialiste chrétien. Voilà la thèse de départ.

     Selon Huntington, sept à huit civilisations se partagent le monde, quoiqu’il n’en nomme que cinq, la chinoise, la japonaise, l’hindoue, la musulmane et l’occidentale. Il ne voit pas l’Afrique comme une civilisation en soi (au contraire de Fernand Braudel), préférant rattacher le continent aux autres civilisations. À l’égard de l’Amérique latine, il adopte une position ambivalente. Tantôt il la considère comme une sous-civilisation de l’Occident, tantôt il y voit une civilisation distincte, menaçante pour les États-Unis.

     Ces civilisations, nous dit-il, vont se partager un monde désoccidentalisé. Le recul de l’Occident sera en effet l’évènement majeur du début du XXI° siècle. Certes, le recul de l’Occident sera probablement lent. Il sera caractérisé par des phases d’arrêt, voire de retour en arrière. Mais il paraît inéluctable. Le recul des capacités productives occidentales, dont la puissance militaire et politique dépend, en constitue la principale raison. Depuis 1970, le taux de croissance économique de l’Asie avoisine 10 % par an, celui de l’Occident 2 % par an. Autre facteur de recul: la revanche de Dieu. La religion, qu’on avait trop vite enterrée, reste un facteur puissant de structuration des identités. Et Huntington souligne qu’à ses yeux, l’Islam, en particulier est incompatible avec le système de valeurs occidental. Il se comme une proposition alternative apportée à la modernité – une «solution» qui éloigne le monde arabo-musulman de l’Occident, si bien que plus ce monde se modernise, plus il se désoccidentalise. De ce fait, le grand facteur de déstabilisation sera la montée en puissance des blocs civilisationnels non-occidentaux, et, affirme Huntington de manière péremptoire, le conflit principal du nouveau siècle n’opposera pas des classes sociales entre elles, mais bien des civilisations concurrentes. La force militaire, conséquence du niveau d’acquisition technologique et du potentiel économique, ne parlera pas forcément en faveur de l’Occident pendant ce siècle.

     Le monde international de l’après-guerre froide est devenu  multi-civilisationnel selon Huntington (en réalité il n’a jamais cessé de l’être), parce que l’Occident a cessé de dominer le système international. Les États des autres civilisations se sont à leur tour inscrits dans ce système pour interagir les uns avec les autres. Si grands qu’aient été la puissance de l’Occident et l’attrait de sa culture sur les autres civilisations, la diffusion des idées occidentales n’a pas suscité une civilisation universelle. Les civilisations exposées aux idées de l’Occident lui ont emprunté ses savoir-faire sans pour autant en épouser toutes les valeurs, comme l’individualisme, l’État de droit et la séparation entre le spirituel et le temporel. Ainsi, la modernisation des États non-occidentaux n’a pas entraîné leur occidentalisation, mais plutôt renforcé l’attachement à leur civilisation propre. Exemple: la Chine se modernise sans s’occidentaliser. Il en est de même de la démocratisation de plusieurs pays non-occidentaux, où la démocratie a mis au pouvoir des partis hostiles aux valeurs occidentales. Huntington bat aussi en brèche l’idée que la prolifération des médias et l’adoption de l’anglais comme lingua franca unifieraient les cultures, comme il met en doute l’idée que la libéralisation du commerce préviendrait les conflits entre elles.

     Ainsi est en train de s’établir selon Huntington un nouveau rapport de forces entre civilisations. Alors que l’Occident voit son influence et son importance relatives décliner, les civilisations asiatiques gagnent en puissance économique, militaire et politique et réaffirment leurs valeurs propres. Connaissant une croissance démographique rapide, l’Islam est en proie à des rivalités intestines et déstabilise ses voisins. La poussée démographique de l’Islam s’accompagne d’une résurgence de la religion islamiste qui, dans plusieurs pays, s’est illustrée par la montée du fondamentalisme, en particulier chez les jeunes.

     Huntington décrit ensuite l’émergence d’un ordre mondial organisé sur la base de civilisations. Il constate l’apparition d’organisations et de forums regroupant des États appartenant à la même civilisation. Les États coopèrent d’autant mieux les uns avec les autres qu’ils ont en commun des affinités culturelles, tandis que les efforts faits pour attirer une société dans le cercle d’une autre civilisation échouent. Au sein d’une même civilisation, les États s’unissent autour d’un «État phare». La Chine, l’Inde et le Japon dominent chacun leur propre sphère civilisationnelle. L’Occident connaît deux puissances dominantes, les États-Unis et l’axe franco-allemand, la Grande-Bretagne occupant une position médiane entre les deux. Par contre, profondément divisé et dispersé, l’Islam n’a pas d’État phare, pas plus que l’Afrique et l’Amérique latine. Certains pays, comme la Russie, le Mexique ou la Turquie, ont tenté de s’occidentaliser, au prix toutefois de déchirements qui ont souvent mis en échec ce processus. Société occidentale, l’Australie a tenté en vain de se définir comme société asiatique et devrait plutôt chercher à se rapprocher des États-Unis en adhérant, avec la Nouvelle-Zélande, à l'ALENA [22] .

    Un monde multi-civilisationnel voit se conclure des nouvelles alliances entre civilisations et éclater des conflits qui s’éternisent, impliquent un grand nombre de participants et sombrent dans la violence extrême. Pour cet auteur, ce sont bien dans les zones où les civilisations sont en contact que les conflits se multiplient et ils sont de plus virulents: Méditerranée, Caucase, Sud du Sahara. Alors que Huntington voit les conflits de l’Occident avec l’Inde, l’Afrique et la Russie s’amenuiser, il craint que l’Occident ne s’oppose davantage à la Chine et à l’Islam. Celui-ci, se rapprochant de la Chine, aura des relations plus antagonistes avec l’Inde et la Russie. Les guerres frontalières qui se multiplient entre musulmans et non-musulmans susciteront des alliances nouvelles et inciteront les États dominants à intervenir pour calmer le jeu.

     Les zones de conflit les plus dures, nous dit-il, seront celles où des pays divisés entre influences d’Etats phares relevant de civilisations différentes se trouveront aussi:

- sur une ligne de recul rapide de l’Occident,

- là où des mouvements migratoires importants feront coexister des identités civilisationnelles rivales et n’ayant pas eu le temps de s’apprivoiser mutuellement,

- là où l’islam, à la fois très faible (pas d’Etat phare) et très fort (démographie) sera en contact avec une autre civilisation, parce que son mélange de force et de faiblesse constitue un cocktail détonnant.

     Huntington souligne que des phénomènes paradoxaux vont s’enclencher, et que ces chocs identitaires peuvent déboucher sur des confrontations à plusieurs niveaux, interagissant les uns avec les autres.

     Dans un monde multi-civilisationnel, la prévention de la guerre repose sur deux principes:

1) L’abstention, les États phares devront d’abstenir «d’intervenir dans les conflits survenant dans des civilisations autres que la leur»;

2) la médiation, les États phares devront s’entendre pour «contenir ou stopper des conflits frontaliers entre des États ou des groupes, relevant de leur propre sphère de civilisation». L’Occident devra également renoncer à l’universalité de sa culture, croyance par ailleurs fausse, immorale et dangereuse, accepter la diversité et rechercher les points communs avec les autres civilisations.

     Comment gérer ce monde chaotique ? Comment anticiper sur ces phénomènes paradoxaux, où le métalocal et le mondial vont constamment interagir? «Les civilisations forment les tribus humaines les plus vastes» répond Huntington, «et le choc des civilisations est un conflit tribal à l’échelle globale». Tant que ce conflit tribal à l’échelle globale ne se manifeste que par la multiplication des conflits métalocaux, il reste gérable. Huntington décrit en substance deux modes de régulation: la «guerre froide sociétale», consistant à laisser les groupes civilisationnels rivaux se faire concurrence au sein des Etats tout en empêchant autant que possible l’affrontement armé, et l’encadrement des guerres locales par un équilibre des puissances tutélaires. En revanche, dit-il, si les Etats phares sont directement impliqués, la situation peut échapper à tout contrôle.

     C’est pourquoi Huntington préconise une politique d’équilibre de la puissance, visant à faire anticiper par chaque Etat phare sur les évolutions des autres Etats phares, de manière à gérer le recul de l’Occident de manière progressive. Il est impossible, dit-il en substance, d’empêcher les «guerres froides sociétales» et il sera très difficile d’interdire les conflits métalocaux. Mais il est crucial que les Etats phares ne soient pas directement impliqués dans le choc des civilisations. Pour dire les choses brutalement, la conclusion principale de Samuel Huntington est que les USA ne doivent surtout pas faire la guerre à la Chine, et doivent donc éviter de s’engager directement dans tout conflit sur une zone de fracture civilisationnelle, car tout engagement direct de leur part, y compris dans un monde musulman potentiellement allié de la Chine, les expose au risque d’escalade – et Huntington s’inquiète précisément de la difficulté, pour les USA, de trouver des «rivaux primaires» à la Chine, qui leur permettront de ne pas être en conflit frontal avec l’Empire du Milieu.

     Le Japon, dit-il, pourrait être un «rival primaire» économisant aux USA la confrontation directe avec la Chine, mais :

- la tradition diplomatique américaine manque de subtilité, elle n’est pas tournée vers la définition d’un rôle changeant, ambigu et cynique (Huntington le regrette),

- le Japon a une forte tendance au suivisme, il n’aime pas, lui, être un rival primaire, et si la Chine devient la puissance dominante en Asie, il se placera en périphérie de son orbite (et cela aussi, Huntington le regrette).

     De nouvelles alliances vont émerger. Une «filière islamo-confucéenne» est prévisible, parce que l’Occident va être confronté à la fois à des multiples «guerres froides sociétales» avec l’Islam et à un affrontement de puissance à puissance avec la Chine en expansion. Un axe «Téhéran-Islamabad-Pékin» est en gestation, tandis qu’avec l’existence d’une zone tampon au Kazakhstan, la Russie peut soit décider de coopérer avec la Chine, soit s’opposer à elle. Sur ce point, un jeu de dominos peut s’enclencher: si le Japon reste en conflit avec la Russie pour les Kouriles et adopte un comportement suiveur par rapport à la Chine, alors la Chine pourrait avoir à choisir entre un axe islamo-confucéen-japonais et un axe islamo-confucéen-russe.

     Sur ce point, si l’Occident est habile, il peut prendre un engagement par rapport à la Russie: ne pas s’avancer jusqu’à l’Ukraine (sauf si elle éclate), pour attirer Moscou vers l’Ouest, et ainsi priver la Chine d’un allié très puissant. Visiblement, dans le rêve de Samuel Huntington, Washington passe un accord de zone d’influence avec Moscou, soutient le Japon subtilement pour en faire un rival primaire de la Chine en Asie, et ainsi empêche Pékin d’élargir l’axe islamo-confucéen vers le Japon ou vers la Russie. Facteur additionnel: «prendre conscience des problèmes de sécurité de la Russie avec les peuples musulmans de sa frontière sud». C’est la conclusion auxiliaire de Samuel Huntington: il faut une politique américaine pro-russe.

     Sous-entendu derrière le discours du «Choc des civilisations», et si on enlève l’emballage jésuitique, on s’aperçoit d’une confrontation entre les peuples blancs unis (Occident, Russie), contre une Asie où la Chine domine, mais qui doit gérer une alliance complexe avec un monde musulman instable, et une rivalité avec le Japon. Reste le cas particulier de l’Inde, qui  est en conflit avec l’Islam et avec la Chine; elle cherchera l’alliance russe (complémentarités très fortes). Pour Huntington, c’est un argument de plus pour une politique américaine pro-russe. En résumé, attirer la Russie dans le camp occidental, c’est :

- l’empêcher de s’allier à la Chine,

- arrimer l’Inde au bloc occidental,

- et donc, dans le monde du XXI° siècle, créer un axe Washington-Moscou-New Dehli-Tokyo, qui permet d’empêcher la mainmise chinoise sur l’Asie (objectif stratégique essentiel).

     Quant à l’Amérique Latine, Huntington considère que c’est un acteur périphérique, qui doit être arrimé à l’Occident par une politique d’influence sur les populations, via en particulier l’occidentalisation des modes de vie et (il ne le dit pas explicitement, mais c’est sous-entendu) la «protestantisation» de ce continent historiquement catholique. Quant à l'Afrique, à ses yeux, c'est un acteur quasi-inexistant.

     A partir de ce rapide résumé, on peut dire que les Américains regroupés derrière les administrations Reagan, Clinton, Bush et Obama ont fait exactement le contraire de ce que préconisait Huntington:

- Ils ont engagé l’armée américaine directement dans des conflits frontaux, sur le territoire de civilisations étrangères (ex-Yougoslavie, Irak, Afghanistan), ce qui contredit la conclusion principale du «Choc des civilisations» (pas d’engagement direct !) ;

- Ils ont littéralement poussé Vladimir Poutine dans les bras des dirigeants chinois, avec de stupides opérations contre-productives (Ukraine, Géorgie), ce qui contredit la conclusion auxiliaire d’Huntington (politique pro-russe !) ;

- Accessoirement, ils n’ont rien fait de sérieux pour endiguer les mouvements migratoires vers l’Occident, ce qui contredit une conclusion latente de Samuel Huntington (l’immigration risque de rendre le choc des civilisations ingérable !).

     Comment expliquer que les Américains aient suivi, et ce depuis plusieurs années, cette stratégie qui, si l’on en croit Samuel Huntington, était la pire possible pour les intérêts occidentaux ?

     Enfin, Huntington lance à l’Occident un appel au ressaisissement. Il estime que la survie de l’Occident dépendra de la capacité et de la volonté des Américains de réaffirmer leur identité occidentale fondée sur l’héritage européen. La persistance du crime, de la drogue et de la violence, le déclin de la famille, le déclin du capital social, la faiblesse générale de l’éthique et la désaffection pour le savoir et l’activité intellectuelle, notamment aux États-Unis, sont autant de signes indiquant le déclin moral de l’Occident. Le livre de Huntington est à la fois une théorie des relations internationales et une critique du multiculturalisme comme politique intérieure. Huntington reproche aux multiculturalistes américains de vouloir créer «un pays aux civilisations multiples, c’est-à-dire un pays n’appartenant pas à aucune civilisation et dépourvu d’unité culturelle». Il croit que l’affrontement entre les partisans du multiculturalisme et les défenseurs de la civilisation occidentale constitue le «véritable conflit» aux États-Unis. Si ces derniers devaient se désoccidentaliser, l’Ouest se réduirait alors à l’Europe, elle-même aux prises avec l’irruption de l’Islam. Pour enrayer le déclin de l’Occident, l’Europe et l’Amérique du Nord devraient envisager une intégration politique et économique, de même qu'aligner les pays d'Amérique latine sur l'Occident, empêcher le Japon de s'écarter de l'Ouest, freiner la puissance militaire de l'Islam et de la Chine en maintenant la supériorité technologique et militaire de l'Occident sur les autres civilisations.

     Huntington affirme, de manière péremptoire, le conflit principal du siècle à venir n’opposera pas des classes sociales entre elles, mais bien des civilisations concurrentes. Huntington suggère que le conflit civilisationnel préempte les tensions, pour rendre secondaires les oppositions de classe. Cette stratégie de préemption du conflit, dit-il en substance, est plus réaliste que l’hypothèse d’une mondialisation intégrale et immédiate du pouvoir dans toutes ses acceptions. Elle permet d’utiliser le «paradigme du chaos», qui, dit-il, rend bien compte de la réalité du monde à venir, même si d’autres paradigmes (Etats-nations, gouvernement mondial unifié, opposition pays riches/pays pauvres) doivent aussi être pris en compte. Pour piloter ce «paradigme du chaos», Huntington propose de s’appuyer sur la notion qui selon lui englobe toutes les autres, et n’est englobée par aucune d’elles: les civilisations. Il entend par là un concept opératoire, c'est-à-dire une méthode de pensée débouchant sur une action et sur un mode de gestion des rétroactions. La civilisation chez Huntington n’est pas un concept catégorisant, servant à décrire un plan défini de l’espace modélisé. C’est un outil de la pensée stratégique, visant à situer la réflexion dans le paradigme qui doit, selon lui, structurer l’action prioritairement.

 


[1] Poursuivant dans ce livre une réflexion entamée pendant le second conflit mondial, Carl Schmitt se propose de mettre en lumière un domaine entièrement neuf de la stratégie: le monde vu de la mer ou, plus exactement, pris à partir de l’angle marin. Cf. «Terre et Mer, un point de vue sur l'histoire du monde», Paris, Le Labyrinthe, 1985.

[2] Les noms de Léviathan et de Behemoth sont empruntés aux chapitres 40 et 41 du Livre de Job.

[3] Alfred Thayer Mahan, plus connu sous le nom d'Alfred Mahan ou celui d'Alfred T. Mahan, (27 septembre 1840 - 1er décembre 1914), était un historien et stratège naval américain. Mahan est surtout reconnu pour son influence sur la doctrine maritime des États-Unis. Son ouvrage «The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783 »(1890) a été le plus influent de son époque en matière de stratégie militaire et de politique étrangère. Mahan insistait sur la nécessité pour les États-Unis de développer une marine de guerre puissante. L’importance de Mahan vient surtout de l’influence qu’il a exercée sur des hommes bien placés (Benjamin Tracy, Henry Cabot Lodge, Theodore Roosevelt) pour définir la politique étrangère américaine. En 1890, le Naval Policy Board affirma la nécessité pour les États-Unis d’avoir une flotte puissante non seulement pour ses défenses côtières, mais aussi capable de contrôler les océans autour des États-Unis. En 1898, lors de la guerre hispano-américaine, l’US Navy comptait 5 cuirassés. En 1900, elle devenait la troisième du monde et en 1908, elle sera la deuxième. Dans les Caraïbes, il était médiocrement intéressé par Cuba, Haïti ou Porto Rico, îles fortement peuplées. Il préférait la possession des îles Hawaii, clé de l’océan Pacifique.

[4] A.T. Mahan, “The problem of Asia and its effect upon international policies”, Sampson Low-Marston, London, 1900, p.63.

[5] Sir Halford John Mackinder (15 février 1861 - 6 mars 1947) est un géographe et géopoliticien britannique. Mackinder est considéré comme l'un des pères fondateurs de la géographie moderne britannique, mais aussi de la géopolitique et de la géostratégie. Mackinder introduit en 1887 l’enseignement de la géographie à l’Université d'Oxford et y fonde l'École de Géographie en 1899. Il occupe la direction de la London School of Economics de 1903 à 1908. Il renonce toutefois à l’identité de «géopolitologue», considérant que ce terme est plus approprié pour désigner les tenants de la Geopolitik allemande, et en tout premier lieu le général Karl Haushofer, proche du régime national socialiste. En accord avec les idées de son temps, il est persuadé de la supériorité raciale anglo-saxonne et de la mission civilisatrice de son pays vis-à-vis des autres peuples. Deux événements historiques contribuent à la formation de sa réflexion: la guerre des Boers (1899-1902) et les événements de Mandchourie en 1904. Il est opposé à l'indépendance irlandaise et partisan de la préférence impériale contre le libre commerce. Sa théorie de «Heartland» a été reprise avec enthousiasme par l'école de Geopolitik allemande, en particulier par son promoteur principal Karl Haushofer. Élu membre de la Chambre des communes en 1910, il y siège sur les bancs conservateurs jusqu'en 1922. En 1919, il publie «Democratic Ideals and Reality».

[6] En 1402, Tamerlan, à la tête de l'Empire timuride, envahit l'Anatolie et défit le sultan ottoman Bayezid Ier à la bataille d'Ankara (20 juillet 1402). Les forces étaient à peu près égales (220.000 pour les Turcs contre 180.000 Timourides). Toutefois, les troupes timourides étaient presque exclusivement montées, alors que la majorité des forces turques étaient composées d'infanterie. De plus, par une habile stratégie de détournement et d'empoisonnement des sources d'eau, Tamerlan était parvenu à assoiffer les forces turques, qui étaient considérablement affaiblies au moment de l'engagement. La bataille s'acheva sur la victoire éclatante de Tamerlan, avec la capture de Bayezid Ier. La légende raconte que Bayezid fut gardé enchainé en cage et mourut au bout de 8 mois en se suicidant. Sa femme et ses filles furent transférées dans le harem de Tamerlan. Les Turcs Ottomans furent tous dispersés. En abattant les forces turques qui projetaient alors la prise de Constantinople, Tamerlan sauva pour une cinquantaine d'années l'Empire byzantin moribond.

[7] Les noms d'Armées blanches, Armée blanche (russe : Бѣлая Армiя/Белая Армия, Belaïa Armia), Mouvement blanc (Бѣлое движенiе/Белое движение, Beloïe dvizhenie) ou, tout simplement Blancs (Бѣлые/Белые, Belye), désigne les armées russes, formées après la révolution d'Octobre 1917, luttant sous le commandement de divers généraux (Wrangel, Dénikine, Koltchak, Alekseiev, Kornilov, Ioudenitch, Bermondt-Avalov, Miller, etc.), contre le nouveau pouvoir soviétique. Pendant la guerre civile russe elles combattirent l'Armée rouge, de 1917 à 1922. Les armées blanches ont reçu l’aide occasionnelle de forces de 14 nations (Japon, États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie, Allemagne, France, Grèce, Tchécoslovaquie...). Dans les dernières semaines de 1918, Clemenceau décide d'une importante intervention en mer Noire pour soutenir les armées blanches dans le sud qui se solde par un échec cuisant. En mars 1920, les Alliés se retirent de Russie à l'exception de l'Empire du Japon qui continua de soutenir les Russes blancs jusqu'en octobre 1922, date du retrait de l'Armée impériale japonaise.

[8] Nicholas J. Spykman (1893-1943) est un universitaire journaliste américain, qui est considéré comme l'un des pères de la géopolitique aux États-Unis. La publication des travaux de Nicholas Spykman se produit dans un contexte particulier: celui de l’intérêt récent d’universitaires américains pour la géopolitique, suite à l’attaque de Pearl Harbor. Il a écrit deux livres de politique étrangère. Le premier de ces livres, «American Strategy in World Politics», a été publié en 1942 après que les États-Unis n'entrent dans la deuxième guerre mondiale. L'auteur analyse dans ce livre les différentes politiques d'un point de vue géopolitique et met en garde les États-Unis contre la conquête allemande de l'Europe et l’expansion Japonaise. Le second livre de Nicholas Spykman, «The Geography of the Peace» a été publié en 1944, soit une année après sa mort. Il illustre dans cet ouvrage sa vision géostratégique en axant son analyse sur la sécurité américaine, qui selon lui passe par un certain équilibre du pouvoir sur le continent eurasiatique. Nicholas Spykman ne croit pas à une paix durable à l’échelle du monde. En effet, la multitude de codes de valeurs selon les différents pays rend l'idée de stabilité illusoire, et empêchant de réduire cette stabilité autour d’un code commun pour tous. C’est pourquoi il affirme que la paix ne peut s’obtenir qu’à travers l’application par un pays d'une politique étrangère suffisamment efficace d’un point de vue sécuritaire pour minimiser les risques d'agression par d'autres pays.

[9] N. Spykman, The geography of the peace, Harcourt-Brace, New-York, 1944, p.5.

[10] Saül B. Cohen, “Geography and politics in a World divided”, Methuen, Londres, 1963, 2e édition 1973, p.307.

[11] Friedrich Ratzel, (30 août 1844, Karlsruhe - 9 août 1904, Ammerland) est un pharmacien, zoologiste et géographe allemand. Ratzel, dans son œuvre majeure publiée de 1882 à 1891, «Anthropogéographie», lie la terre et l’homme dans une vision systématique qui a totalement renouvelé la science géographique. Ratzel est aussi un des pionniers les plus importants de la géopolitique. Très influencé par Darwin et sa théorie de l’évolution, il utilise ces concepts à une échelle plus générale, celle des États, en les comparant à des organismes biologiques qui connaissent croissance ou déclin sur une échelle temporelle. Dans la théorie de Ratzel, les bases de l'extension des hommes sur la terre déterminent l'extension de leurs États. Les peuples primitifs («Naturvölker») de l'Afrique, Océanie, etc. s'opposent par leurs traits aux peuples évolués («Kulturvölker») de l'Ancien et Nouveau Monde, lesquels ont tout naturellement, à ce titre, le droit d’occuper les territoires des premiers pour les civiliser. Cette vision légitime, certes, l'impérialisme allemand, mais Ratzel défend l’idée d’une «Mittelafrika», plutôt que d'une «Grossdeutschland», stratégie reprise dès 1914 par l’état-major allemand contre les colonies alliées en Afrique. Elle est toutefois inverse de celle mise en œuvre par le Troisième Reich après 1933, celui-ci défendant l'idée d'une expansion en Europe au détriment des Slaves.

[12] Karl Haushofer, (27 août 1869, Munich - 10 mars 1946, Pähl, Haute-Bavière), est l'un des plus importants théoriciens de la géopolitique allemande, qui sera récupéré par le nazisme, bien qu'il n'ait jamais été membre du parti nazi. Il participe à la Première Guerre mondiale et termine le conflit avec le grade de Generalmajor. Retraité de l'armée en 1919, il se lance dans une carrière universitaire. La même année, il est nommé professeur de géographie à l'Université de Munich. Influencé par les travaux de Friedrich Ratzel, Rudolf Kjellén et Halford John Mackinder, Haushofer développe ses théories géopolitiques et fonde en 1924 la revue «Zeitschrift für Geopolitik» (La Revue de Géopolitique). Celle-ci obtient rapidement une audience internationale, s'attirant même la collaboration de scientifiques de l'étranger. S'adressant à un large public, la revue ne présente cependant que la position de la géopolitique allemande. Hitler rencontre Haushofer à plusieurs reprises et s'inspire de sa théorie de «l'espace vital» — der Lebensraum — qu'il intègre dans son ouvrage «Mein Kampf». Parmi les étudiants de Haushofer, se trouve notamment le jeune officier Rudolf Hess, futur dignitaire du régime nazi, avec qui il se lie d'amitié. Après le départ de Hess pour l'Angleterre, le 10 mai 41, lui-même et sa famille deviennent suspects. Après la tentative d’assassinat d’Hitler du 20 juillet 1944, la Gestapo fait interner Karl Haushofer à Dachau. Après l'effondrement du Troisième Reich, Haushofer est considéré comme l'un des inspirateurs du nazisme, mais n'ayant pas été directement impliqué dans les crimes du régime, il n'est finalement pas mis en accusation au procès de Nuremberg; en revanche, il est contraint de témoigner au procès de Rudolf Hess. Déchu de son titre de professeur honoraire, Karl Haushofer se serait suicidé le 10 mars 1946.

[13] Carl Schmitt (11 juillet 1888 - 7 avril 1985) était un juriste, penseur, philosophe et intellectuel catholique allemand. Il s'engage dans le parti nazi dès le 1er mai 1933 et se veut le juriste officiel du IIIᵉ Reich.Les interventions de Schmitt en faveur du régime NS furent absolument sans condition.Auteur d'une réflexion sur la nature de l'État et des constitutions, il fait du rapport «ami-ennemi» la clef de voûte de la théorie politique. Cela conduit au développement d'une philosophie de la décision d'urgence, de la guerre et du combat, d'où les notions de mal et d'Antéchrist ne sont pas absentes. L'autonomie étatique, selon Schmitt, repose sur la possibilité de l'État de s'autoconserver, en dehors même de la norme juridique, par une action qui prouvera cette souveraineté. En situation d'urgence économique et sociale, c'est l'état exceptionnel de la dictature présidentielle qui gouverne par décrets-lois, qui doit s'élever au-dessus de toute alternative fondamentale. Au début de la seconde guerre mondiale Schmitt cherche à fonder la politique expansionniste d'Adolf Hitler sur le droit international et il développe le concept géopolitique de völkerrechtlichen Großraumordnung (aménagement du macro-espace du droit international), qu'il comprenait comme une «doctrine Monroe» allemande. Ainsi Schmitt prend part à ce qu'on nomme l'Aktion Ritterbusch où de nombreuses personnalités accompagnent au titre de conseillers, la politique national-socialiste en matière de peuplement ou de territoire. Les controverses liées à la pensée de Schmitt sont étroitement liées à sa vision absolutiste de la puissance étatique et son antilibéralisme, qui sont contrebalancés par la posture de l'auteur dans ses engagements vers le «conservatisme libéral» ou le «libéralisme conservateur». Ses principales œuvres sont: «Théologie politique» (1922), «Théorie de la Constitution» (1928), «La notion du politique» (1933), «Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes» (1938), «Le Nomos de la Terre» (1950), «Théorie du partisan» (1963), «Terre et Mer, un point de vue sur l'histoire du monde» (1985).

[14] Carl Schmitt «La notion du politique - Théorie du partisan», Paris, Calmann-Lévy, 1972 [en édition de poche, Paris, Flammarion, 1992]

[15] La «doctrine Monroe» a caractérisé la politique étrangère des États-Unis durant le XIXe et le début du XXe siècle. Tirée du nom d'un président républicain des États-Unis, James Monroe, elle condamne toute intervention européenne dans les affaires «des Amériques» (tout le continent), comme celle des États-Unis dans les affaires européennes.

[16]  George Frost Kennan, (16 février 1904 - 17 mars 2005), est un diplomate, politologue et historien américain dont les idées eurent une forte influence sur la politique des États-Unis envers l'Union soviétique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. De mai 1944 à avril 1946, il est chef de mission à Moscou. À la fin de son mandat, il envoie au secrétaire d'État James F. Byrnes un télégramme de 8.000 mots, qui fait état de ce qui constitue selon lui l'idéologie du communisme et son désir d'expansionnisme, proposant en même temps une nouvelle stratégie pour les relations diplomatiques entre les deux pays. En mars 1947, Truman utilise le télégramme  de Kennan pour engager le Congrès dans une série de mesures formant ce qu'on appelle désormais la «doctrine Truman». En juin 1947, sous le pseudonyme de «X», il écrit dans la revue «Foreign Affairs» l’article «Les sources de la conduite soviétique» («The Sources of Soviet Conduct»), dans lequel il reprend et approfondit les idées émises dans son télégramme et conclue sur la nécessité à ce que les États-Unis répliquent par une politique d'endiguement destinée à contenir l'expansionnisme soviétique. Entre avril 1947 et décembre 1948, en tant qu'architecte intellectuel du plan Marshall, il participe à la mise en place de l'endiguement politique et économique de l'Union soviétique. En 1948, il présenta le Mémo PPS23 du Conseil des relations extérieures: «Nous possédons 50% des richesses mondiales, mais nous ne constituons que 6,3 % de la population du globe. Cette disparité est particulièrement importante entre nous-mêmes et les peuples d’Asie. Pour cette raison, nous ne pouvons qu’être l’objet d’envie et de haine. Ce que nous devons faire dans la période qui vient, c’est de concevoir un mode de relation qui nous permettra de perpétuer cette position de disparité sans mettre en péril notre sécurité nationale. Si nous voulons atteindre ce but il nous faut nous débarrasser de toute sentimentalité et ‘rêve éveillé’; et quel que soit le lieu nous devrons concentrer notre attention sur nos objectifs nationaux immédiats. Ne nous mentons pas à nous-mêmes en pensant que nous pouvons nous offrir le luxe aujourd’hui d’être des altruistes et des bienfaiteurs du monde… »; [Mémo PPS23, John Kennan, 1948]. Entre 1949 et 1950, au moment où Dean Acheson est secrétaire d'État, Kennan perd de son influence. Le temps n'est plus à un endiguement politique, mais à une démonstration de force avec armes traditionnelles et nucléaires. C'est l'époque du blocus de Berlin et de la guerre de Corée. Nommé ambassadeur à Moscou pour dénouer une crise politique, il y reste de décembre 1951 à septembre 1952, date à laquelle il est déclaré personna non grata par les autorités soviétiques pour une grave faute diplomatique. De retour à Washington, il participe à l'administration Eisenhower malgré les différends entre Truman et Eisenhower sur la politique d'endiguement. Pendant l'administration Kennedy, de 1961 à 1963, Kennan est ambassadeur en Yougoslavie. En 1963, il quitte l'administration. En 1989, George Bush lui décerne la médaille présidentielle de la liberté. En 2003, à l'âge de 98 ans, il s'élève contre la guerre en Irak dont il dénonce les conséquences potentielles. Le 17 mars 2005, à l'âge de 101 ans, Kennan meurt à son domicile de Princeton.

[17] Terry L. Deibel and John Lewis Gaddis “Containment - Concept and Policy” - Volumes 1 & 2, Edité par National Defense University Press, 1986.

[18] Immanuel Maurice Wallerstein (né le 28 septembre 1930) est un sociologue américain. Nommé professeur de sociologie à l'Université McGill à Montréal en 1971, à partir de 1976 il travailla comme professeur de sociologie à l’Université de Binghamton (SUNY) et ce, jusqu’à sa retraite en 1999. Il travailla en outre comme directeur du centre Fernand Braudel pour l’Étude de l’Économie, des Systèmes historiques et des Civilisations. Wallerstein occupa plusieurs postes de professeur honoraire d’université dans plusieurs pays, reçut de nombreuses récompenses et occupa par intermittence le poste de Directeur d'études associé à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Il fut également le président de l’Association internationale de sociologie entre 1994 et 1998. L’un des aspects de ses travaux pour lequel Wallerstein est reconnu est d’avoir anticipé l’aggravation du conflit Nord-Sud en pleine période de Guerre froide. Wallerstein rejetait complètement la notion de «Tiers-Monde» et affirmait qu’il n’existait qu’un seul monde connecté par un réseau complexe de relations d’échanges économiques. Pour lui, il s'agit d'une «économie-monde», ou «système-monde» (qui historiquement comprenait les nations-États, mais ne s'y limitait pas), dans laquelle la dichotomie du capital et du travail et l’accumulation du capital par des agents en concurrence se traduisent par des contradictions.

[19] Saul B. Cohen est un spécialiste de géographie politique et professeur émérite au Hunter College de l’Université de New York, Président honoraire du Queens College de la ville de New York, ancien directeur de la Graduate School of Geography à l'Université Clark et ancien président de l'Association des géographes américains.

[20] Saul B. Cohen “Geopolitics of the world system”, Rowmann & LittleField, Lanham, Maryland, 2003, 435 pp.

[21] Samuel Phillips Huntington, (18 avril 1927, New York - 24 décembre 2008, Massachusetts), est un professeur américain de science politique auteur d'un livre intitulé «Le Choc des civilisations». Diplômé de l'université Yale à dix-huit ans, il commença sa carrière d'enseignant à vingt-trois ans à l'université Harvard, université où il travailla pendant cinquante-huit ans. De tendance conservatrice, il a aussi été membre du Conseil de sécurité nationale au sein de l’administration Carter. Il est l'auteur, coauteur ou éditeur de dix-sept ouvrages et de quatre-vingt-dix articles scientifiques traitant de sujets politiques divers: la politique américaine, la démocratisation, la politique militaire, la stratégie ou encore la politique de développement. Son ouvrage le plus connu «Le Choc des civilisations» est issu d'un article, «The Clash of Civilizations», publié à l'été 1993 par la revue Foreign Affairs et inspiré de l'ouvrage de l'historien français Fernand Braudel «Grammaire des civilisations» (1987). Cet article a permis à Samuel Huntington d'accéder à la notoriété. Il l'a ensuite développé pour en faire un livre, traduit en France en 1997 aux éditions Odile Jacob. Les attentats du 11 septembre 2001 ont projeté sa vision géopolitique sur le devant de la scène et déclenché une controverse.

[22] L'Accord de libre-échange nord-américain - ALENA (en anglais, North American Free Trade Agreement - NAFTA, en espagnol Tratado de Libre Comercio de América del Norte - TLCAN) est un traité, entré en vigueur le 1er janvier 1994, qui a créé une zone de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique.

 


 

LES GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION

PARTIE II

 «Le Grand échiquier» de Zbigniew Brzezinski

 

     "L’Anschluss de l’Autriche était dans le «Mein Kampf» d’Adolf Hitler, le contrôle de l’Ukraine-est dans le «Grand Echiquier» de Zbigniew Brzezinski…"

 

     Beaucoup plus influent que Samuel Huntington, Zbigniew Kazimierz Brzeziński [1] a repris une partie de ses thèses, en les reformulant à partir de fondements de référence acceptables par les diverses tendances des élites USA. Brillant, cynique et puissant, incarne la ligne alternative au néo-conservatisme au sein de l’impérialisme américain. Aujourd’hui conseiller hors organigramme du Président Barack Husein Obama, il impulse une orientation stratégique nouvelle à la politique étrangère des Etats-Unis: plus calculateur, plus prudent que les «neocons» [2], il partage leur impérialisme, mais pas leur unilatéralisme. Sa pensée ne constitue pas une alternative à l’idéologie du «choc des civilisations», mais une formulation alternative de cette idéologie.

     Brzezinski présente un profil idéal pour constituer une passerelle entre les milieux néoconservateurs et les conservateurs réalistes: issu au départ du Parti Démocrate, d’origine judéo-polonaise [origine juive incertaine], animé par une aversion notoire à l’égard de la Russie, il peut se permettre de critiquer les milieux juifs et la gauche américaine plus aisément qu’un WASP [3] ouvertement marqué à droite, comme Huntington – ce qui n’est pas sans importance dans le contexte actuel aux Etats-Unis. Ami de David Rockefeller, avec qui il cofonde la «Commission Trilatérale» [4] en 1973, il a l’appui presque inconditionnel du «big business», dont il a toujours défendu les intérêts (il est l’inventeur, entre autres choses, de la théorie du «tittytainment», selon laquelle la société future assurera la domination des très riches en enfermant 80 % de la population dans l’abêtissement généralisé) [5]. Théoricien de l’inégalité positive, il fait en réalité partie de ces hommes d’extrême droite qui ont compris qu’un discours pseudo-progressiste constituait, désormais, le masque nécessaire de l’impérialisme. Son «coup d’éclat» remonte à la fin des années 70 quand, en sa qualité de conseiller des Présidents Carter et Reagan, il déstabilisa l’URSS en soutenant et en armant les "moudjahidines" dans leur lutte contre les soviétiques engagés en Afghanistan, les  obligeant à se retirer (les américains tomberont dans le même guêpier quelques années plus tard). Il est hors de doute que son niveau de réflexion est très supérieur à la moyenne des néoconservateurs du «Project for a New American Century».

     En 1997, Brzezinski écrivit «L'Amérique et le reste du monde - Le Grand Echiquier» [6]. L’ouvrage décrit la partie d'échecs que doivent jouer les USA sur ce qu'il nomme "l’échiquier eurasien", échiquier à quatre grosses cases inégales, si l'Amérique veut conserver la maîtrise du jeu et conserver son hégémonie mondiale. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, après lesquels il était devenu difficile de prôner trop ouvertement le soutien aux islamistes en vue de les instrumentaliser comme arme de déstabilisation (comme cela fut le cas lors de la 1ère guerre d’Afghanistan en 1979-1989), il proposa une théorie actualisée avec son ouvrage «Le Vrai Choix: domination mondiale ou leadership mondial» [7]. Fondamentalement, ce second livre ne modifie cependant pas les thèses avancées dans «Le Grand Echiquier».

     Dans son inspiration, on retrouve un idéalisme très américain: les USA ont pour mission d'assurer la paix mondiale. Cet objectif n'est pas entièrement désintéressé et l'idéalisme se teint très vite d'un réalisme qui n'évite le cynisme que par la franchise avec laquelle il est avoué: la suprématie américaine ne peut pas durer éternellement et il s'agit de mettre en place les piliers d'un ordre mondial dans lequel les USA conserveraient une place centrale, malgré le fait que d'autres pays les rejoindraient comme grandes puissances. Puisque la puissance sans précédent des Etats-Unis est vouée à décliner au fil des ans, la priorité géostratégique est donc de gérer l'émergence de nouvelles puissances mondiales de façon à ce qu'elles ne mettent pas en péril la suprématie américaine.

     Toutes ces puissances émergentes se trouvent, selon l'auteur, sur le «continent eurasien», espace géographique qui comprend tous les territoires compris entre Lisbonne et Tokyo, en passant par Berlin, Moscou, Tachkent, Pékin, New Dehli. C'est là que se jouent l'avenir du monde et la primauté des USA [8]. Ce continent est découpé pour l'analyse en quatre zones: l'Europe de l'ouest, la Russie, les Balkans asiatiques (les pays du Caucase, les républiques musulmanes détachées de l'ex-URSS, l'Ukraine) et l'Asie (Chine, Japon, Inde). Les relations et intérêts des USA sont donc passés en revue dans chacune de ces zones. C'est extrêmement éclairant, car Brzezinski décrit très directement les intérêts américains, sans les déguiser – même s'il passe sous silence les moyens employés à leur service. Le programme américain est donc le suivant :

- En premier lieu identifier les Etats possédant une réelle dynamique géostratégique et capables de susciter un bouleversement important dans la distribution internationale du pouvoir et aussi identifier les Etats les plus sensibles du point de vue géopolitique, ceux qui, par leur situation géographique ou du simple fait de leur existence, peuvent avoir des effets catalyseurs sur des acteurs géostratégiques plus importants ou sur les conditions régionales.

- En second lieu, formuler des politiques spécifiques pour contrebalancer les effets néfastes des politiques initiées par ces Etats; définir les moyens de les associer ou de les contrôler, de façon à préserver et à promouvoir les intérêts vitaux des Etats-Unis; élaborer une réflexion stratégique globale qui intègre et harmonise, à l'échelle planétaire, les diverses politiques régionales des Etats-Unis conçues pour les intérêts des Etats-Unis et non pas pour ceux de l’Humanité. L’ONU, est peine mentionnée au détour d'une phrase.

     On notera au passage, la différence de qualité de pensée stratégique entre les politiciens européens et les têtes américaines. Ce qui pèche chez les Américains, c'est la réalisation, mais la pensée stratégique est là et bien là! [9]

     Dès l’introduction, le lecteur est averti sur la portée de l’ouvrage; il ne s’agit pas d’un travail de géopolitique habituel, mais bien d’une vision de géostratégie s’inscrivant dans une eschatologie terrifiante. Le but est clair: asseoir et renforcer le rôle dominant des Etats-Unis comme première puissance mondiale; pour cela, nous dit Brzezinski, il faut à tout prix empêcher l’émergence d’une puissance sur le continent eurasien capable de rivaliser avec les Etats-Unis. En effet, nous dit-il, celui qui tiendrait ce continent serait le maître du monde ; Hitler et Staline, qui l’avaient compris, s’y sont d’ailleurs essayés dans le passé mais sans succès. Les Etats-Unis doivent veiller au respect légitime de la primauté américaine sur cette Eurasie, car ses objectifs sont «généreux». Ainsi, dans cette logique implacable, défier l’Amérique serait agir contre «les intérêts fondamentaux de l’humanité». Tout est dit.

     Dans le premier chapitre, nous est brossé le tableau de l’évolution de la puissance américaine depuis 1898 (guerre des Etats-Unis contre l’Espagne) jusqu’à son état actuel de première puissance mondiale. Nous y voyons cette attitude anti-européenne constitutive de la création des Etats-Unis: cette Europe aux «privilèges archaïques et aux hiérarchies sociales rigides». La première irruption des Etats-Unis dans la géopolitique européenne n’est pas abordée du point de vue de ses portées réelles meurtrières (les quatorze points de Woodrow Wilson portant en germe les conflits européens à venir) [10], mais sous l’angle du formidable idéalisme américain allié à une puissance militaire, économique sans précédent qui font que ses principes soient pris en compte dans la recherche de solutions aux problèmes européens.

     La fin de la seconde guerre mondiale fait émerger un monde bipolaire et le temps de la guerre froide voit se mettre en place des enjeux géopolitiques clairement définis: les Etats-Unis contre l’Eurasie (URSS), avec le monde comme enjeu. Avec l’effondrement et l’éclatement de l’Union Soviétique en 1991, les Etats-Unis deviennent, nous dit Brzezinski, «la première puissance globale de l’histoire». L’auteur établit ensuite la liste des empires ayant eu une aspiration à la domination mondiale; il y en a eu trois: l’empire romain, la Chine impériale et l’empire mongol. Parmi ces trois, d’après Brzezinski, seul l’empire mongol approche la définition moderne de puissance mondiale. Admirateur de l’empire mongol et du déferlement des hordes sauvages mongols en Eurasie, Brzezinski considère que seul lui peut être comparé aux Etats-Unis d’aujourd’hui ! Mais, après deux siècles d’existence (du XIIIème au XVème siècle), cet empire disparaissait sans laisser de traces; ce qui devrait faire réfléchir d’avantage l’auteur du «Grand échiquier», l’histoire des Etats-Unis en tant que nation n’ayant pas encore atteint une durée de trois siècles…

     L’Europe devient ensuite le foyer de la puissance globale et le lieu où se déroulent les luttes pour l’acquérir, sans toutefois être dominé par un Etat en particulier. Brzezinski note que la France en premier lieu (jusqu’en 1815), puis la Grande-Bretagne (jusqu’en 1914) ont eu leur période de prééminence. Mais, aucun de ces empires n’a vraiment été global. Le fait que les Etats-Unis se soient élevés au rang de puissance globale est, lit-on, unique dans l’histoire. Ce pays a un appareil militaire qui est le seul à avoir un rayon d’action global. Cette prééminence fait de l’ombre à la Russie et à la Chine. Néanmoins, le retard technologique de ces deux pays fait qu’ils n’ont pas de politique significative sur le plan mondial. Dans les quatre domaines clés (militaire, économique, technologique et culturel) les Etats-Unis sont dominants, et ceci leur confère la position de seule superpuissance globale.

     Brzezinski développe ensuite ce «système global» propre aux Etats-Unis. La puissance globale des Etats-Unis viendrait d’une part du pluralisme de sa société et d’autre part de son système politique. Incidemment, nous apprenons que par le passé les Européens, dans leurs visées impériales, n’ont été que des «aventuriers». Autre élément de ce système: les idéaux démocratiques sont aujourd’hui identifiés dans le monde comme issus de la tradition politique américaine; les Etats-Unis sont devenus «le modèle incontournable». La doctrine américaine, mélange actif d’idéalisme et d’égoïsme, est la seule qui prévaut.

     Mais cette suprématie américaine repose également, apprend t-on, sur un système élaboré d’alliances couvrant la planète. L’OTAN, le FMI, l’OMC, l’APEC[11], etc. (dans lesquelles les Etats-Unis ont un rôle prépondérant, sinon directif) constituent un réseau mondial actif et incontournable dans la constitution et la conservation de la puissance globale américaine. Les Etats-Unis se doivent de conserver cette position d’hégémonie globale sans précédent. Cela doit être considéré, selon Brzezinski, comme une «mission» confiée à ce pays. Il lui faut impérativement prévenir toute émergence de rivaux, maintenir le statu quo; ceci au nom du bien-être de l’Humanité, bien entendu…

     Dans le second chapitre, et avec la même logique, on apprend que le maintien de la prééminence des Etats-Unis dans le monde va de pair avec la paix dans le monde. Pour Brzezinski, c’est l’Eurasie qui est «l’échiquier», c’est là que se déroule le jeu pour la domination mondiale. Il fait alors apparaître la phobie des Etats-Unis, une éventuelle unité politique de l’Eurasie, et il établit l’inventaire des différents cas de figure qui feraient que les Etats-Unis seraient en position d’affaiblissement. Nous apprenons ainsi que l’hégémonie américaine est superficielle et qu’elle ne passe pas par un contrôle direct sur le monde. De plus, toujours dans les faiblesses du «géant», il y a le fait que le système de la démocratie «exclue toute mobilisation impériale»; mais on peut en douter justement par ces moyens d’alliances et de coalitions très «incitatifs» mis en place. Il est également surprenant que, dans la vision que Brzezinski prête aux Américains face à leur statut de superpuissance mondiale sans rivale, il ne considère pas que ce statut leur confère des avantages particuliers. Les faits prouveraient plutôt autre chose.

     En abordant les thèmes de la géostratégie et de la géopolitique, Brzezinski reste dans la ligne tracée par Halford J. Mackinder au début du siècle à savoir que «qui gouverne l’Europe de l’Est domine le heartland, qui gouverne le heartland domine l’île-monde, et qui gouverne l’île-monde domine le monde», (cf.supra). L’Amérique doit donc suivre cette voie pour parvenir au maintien de son rang. Il en suit une analyse des principaux acteurs et une reconnaissance appropriée du terrain. Les Etats eurasiens possèdent une réelle dynamique géostratégique et gênent les Etats-Unis. Il faut donc agir et formuler des politiques spécifiques pour contrebalancer cet état de fait. Ceci peut se faire par trois grands impératifs: «éviter les collusions entre vassaux et les maintenir dans l’état de dépendance que justifie leur sécurité; cultiver la docilité des sujets protégés; empêcher les barbares de former des alliances offensives». Tout le programme géostratégique des Etats-Unis est là. [12]

     Pour la poursuite de son analyse, Brzezinski distingue les «acteurs géostratégiques»(France, Allemagne, Russie, Chine et Inde) des «pivots géopolitiques» (Ukraine, Azerbaïdjan, Corée, Turquie et Iran). Les premiers sont en mesure de modifier les relations internationales, «au risque d’affecter les intérêts de l’Amérique»; les seconds ont une position géographique leur donnant «un rôle clé pour accéder à certaines régions ou leur permet de couper un acteur de premier plan des ressources qui lui sont nécessaires».

     Brzezinski reconnait que  la France et l’Allemagne sont deux acteurs géostratégiques clés qui, par «leur vision de l’Europe unie», (…) «projet ambitieux», (…) «s’efforcent de modifier le statu quo». Ces acteurs sont l’objet «d’une attention toute particulière des Etats-Unis». Cependant, on peut se poser la question de la «réelle volonté d’indépendance européenne» instiguée par ces deux pays (cf. infra).  La Russie, joueur de premier plan malgré son affaiblissement, n’a pas tranché quant à son attitude vis à vis des Etats-Unis: partenaire ou adversaire ? La Chine, puissance régionale importante, a des ambitions élevées: la Grande Chine. Le Japon est puissance internationale de premier ordre, mais qui ne souhaite pas s’impliquer dans la politique continentale en Asie. Maintenir les relations avec le Japon est un impératif pour les Etats-Unis, ne serait-ce que pour maintenir la stabilité régionale. L’Inde, qui se définit comme un rival de la Chine, est le seul pôle de pouvoir régional en Asie du Sud; cependant ce pays n’est pas gênant pour l’Amérique, car il ne contrarie pas les intérêts américains en Eurasie. Brzezinski pointe du doigt l’Ukraine [13] et l’Azerbaïdjan [14]: le sort de ces deux pays dictera ce que sera ou ne sera pas la Russie à l’avenir.

     La Turquie, que Brzezinski considère comme facteur de stabilité dans la Mer Noire, sert de contrepoids à la Russie dans le Caucase, d’antidote au fondamentalisme islamique, et de point d’ancrage au Sud pour l’OTAN. Brzezinski nous fait là un chantage à l’islamisme pour que la Turquie intègre l’Union Européenne: «l’Amérique va profiter de son influence en Europe pour soutenir l’admission éventuelle de la Turquie dans l’UE, et mettre un point d’honneur à la traiter comme un état européen» afin qu’Ankara ne glisse vers les intégristes islamiques. Mais les motifs américains sont aussi plus prosaïques: les Etats-Unis soutiendront «avec force l’ambition qu’ont les Turcs de mettre en place un pipeline reliant Bakou à Ceyhan qui servirait de débouché à la majeure partie des ressources en énergie du bassin de la mer Caspienne».

     L’Iran est, curieusement, considéré comme un élément stabilisateur dans la redistribution du pouvoir en Asie Centrale; il empêche la Russie de menacer les intérêts américains dans la région du golfe persique. «Il n’est pas dans l’intérêt des Etats-Unis de continuer à avoir des relations hostiles avec l’Iran», et ceci «malgré son sentiment religieux, à condition que celui-ci ne se traduise pas par un sentiment anti-occidental». Mais les véritables raisons pointent quelques lignes plus bas, avec «la participation des Etats-Unis au financement de projets de pipelines entre l’Iran, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan».

     Vis à vis de l’Europe, les USA sont, dans les principes tout au moins, pour la construction européenne; cependant, leur souhait est une Europe vassale. L’OTAN est non seulement le support essentiel de l’influence américaine, mais aussi le cadre de sa présence militaire en Europe de l’Ouest. Pour autant, c’est un réel partenariat que souhaite l’Amérique; on peut se demander toutefois, à l’aune de ces points de vues contradictoires (une Europe à la fois vassale et partenaire), quelle est la marge de manœuvre laissée à l’Europe par les Etats-Unis, et dans quels domaines elle pourrait s’exercer.

     La problématique géostratégique européenne sera, lit-on, directement influencée par l’attitude de la Russie et de sa propre problématique. Et pour faire face à toute éventualité, les Etats-Unis doivent empêcher la Russie de «recouvrer un jour le statut de deuxième puissance mondiale»; à terme, ce pays posera un problème pour les USA lors de son rétablissement comme «empire». L’Asie centrale, zone inflammable, pourrait devenir le champ de violents affrontements entre Etats-nations.

     Le Golfe persique est une chasse gardée des Etats-Unis; «la sécurité dans cette zone est du ressort de l’Amérique». On comprend ainsi mieux les enjeux de la guerre menée par George W. Bush (poussés par les «neocons») contre l’Irak, à laquelle cependant Brzezinski s’est fortement opposé. Le défi du fondamentalisme islamique quant à lui «n’est guère stratégique», ce qui expliquerait l’attitude ambiguë des USA à l’égard de celui-ci.

     La Chine pour sa part évolue, mais l’incertitude demeure quant à sa démocratisation. Brzezinski note que dans le cas de l’émergence d’une «grande Chine», le Japon resterait passif; cette neutralité cause quelques craintes aux Etats-Unis. De plus, les Etats-Unis doivent se prémunir contre l’éventualité d’un développement de l’axe sino-japonais. L’Amérique doit faire des concessions à la Chine si elle veut traiter avec elle et «il faut en payer le prix». Toujours dans cette zone, la mesure impérative de la stratégie US est «le maintien de la présence américaine en Corée du Sud»; elle est d’«une importance capitale». Une autre crainte américaine serait la naissance d’une grande coalition entre la Chine, la Russie et peut-être l’Iran ; une coalition anti-hégémonique, «unie par des rancunes complémentaires». Enfin, pour maintenir la primauté américaine, la solution adoptée et recommandée est «l’intégration de tous ces Etats dans des ensembles multilatéraux, reliés entre eux, et sous l’égide des Etats-Unis», bien sûr...

     Le chapitre suivant aborde l’Europe, «tête de pont de la démocratie», (où il faut entendre en fait «tête de pont des Etats-Unis»). L’Union européenne, union supranationale, dans le cas où elle réussirait, deviendrait une puissance globale, apprend t-on, (ce qui veut dire qu’elle ne l’est pas aujourd’hui). La réussite de ce projet, permettrait à ces pays européens «de bénéficier d’un niveau de vie comparable à celui des Etats-Unis», mais est-ce vraiment la panacée, et a-t-on besoin de cette Europe-là pour y parvenir ? Par ailleurs, ce niveau de vie n’est-il pas déjà atteint voire dépassé dans certains pays européens ? Dans l’appréciation de cette idée de projet européen, on note toujours un «oui, mais»; en effet, cette Europe est placée incidemment «sous l’égide américaine». Nous pouvons à juste titre nous demander où est le réel «partenariat», «la réelle équité» tant vantée par l’auteur ?

     Brzezinski nous fait un tableau sans concession de l’Union européenne: les Etats européens dépendent des Etats-Unis pour leur sécurité; une «Europe vraiment européenne n’existe pas»; et poursuit-il, «sans détour, l’Europe de l’Ouest reste un protectorat américain et ses Etats rappellent ce qu'étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires» ! Tout ceci est un soufflet à ceux qui pensent que l’Europe, grâce à l’Union européenne, est la structure permettant une indépendance vis à vis des Etats-Unis. Comme la situation de l’Union européenne est floue, indécise, «les Etats-Unis ne doivent pas hésiter à prendre des initiatives décisives».

     A la question «quel type d'unité européenne a les faveurs de l'Amérique et comment l'encourager ?», la réponse vient très vite: «Le problème central pour l’Amérique est de bâtir une Europe fondée sur les relations franco-allemandes, viable, liée aux Etats-Unis et qui élargisse le système international de coopération démocratique dont dépend l’exercice de l’hégémonie globale de l’Amérique». [...] «Si l'Europe s'élargissait, cela accroîtrait automatiquement l'influence directe des Etats-Unis». [...] «L’Europe deviendrait, à terme, un des piliers vitaux d'une grande structure de sécurité et de coopération, placée sous l'égide américaine et s'étendant à toute l'Eurasie». Ainsi, comme partout ailleurs, les USA se moquent [15] de leurs «alliés» du moment; seuls comptent les intérêts finaux américains.

     Observant la politique européenne et son évolution récente, Brzezinski nous dit que la lutte contre la montée «de l’extrémisme politique et du nationalisme étriqué» doit se faire par la constitution «d’une Europe plus vaste que la somme de ses parties – c’est à dire capable de s’assigner un rôle mondial dans la promotion de la démocratie et dans la défense des droits de l’homme». Le procédé est toujours le même; pour asseoir ses fins, il faut «diluer» les entités dans des ensembles plus vastes. De plus, dans le processus de construction «européenne», l’UEO apparaît de fait comme l’antichambre de l’OTAN. Il est trop tôt, nous dit Brzezinski, pour fixer catégoriquement les limites orientales de l’Europe. Cependant, pour ce qui est du connu, «l’objectif géostratégique central de l’Amérique en Europe est de consolider sa tête de pont sur le continent eurasien». «A l'ouest [de l’Eurasie], l'Amérique exerce directement son pouvoir». Ceci pour constituer un tremplin dans le but «d’instaurer en Eurasie un ordre international fondé sur la démocratie et la coopération», en fait sur la domination américaine. On ne saurait être plus clair.

     Le rôle de l’Allemagne est celui du bon vassal, «bon citoyen de l’Europe, partisan déterminé des Etats-Unis», elle n’a jamais remis en cause «le rôle central des Etats-Unis dans la sécurité du continent». C’est l’effondrement du bloc soviétique qui a fait que «pour l’Allemagne, la subordination à la France n’offrait aucun bénéfice particulier». Elle a aujourd’hui un rôle entraînant; «en entretenant des relations étroites avec la puissante Allemagne, ses voisins bénéficient de la protection rapprochée des Etats-Unis». Avec le rapprochement germano-polonais, «l’Allemagne peut exercer son influence jusque dans les pays baltes, l’Ukraine, la Biélorussie». La sphère d’influence allemande s’est déplacée vers l’Est, et «la réussite de ces initiatives confirme la position dominante de l’Allemagne en Europe centrale». Sans l’élargissement de l’OTAN aux pays de l’Est, «l’Amérique essuierait une défaite d’une ampleur mondiale», note Brzezinski. Ainsi, la collaboration américano-germanique est-elle «nécessaire pour élargir l’Europe vers l’Est» et ce,afin de replacer l'orbite européenne sous influence américaine grâce à ce chef d'œuvre américain qu'a été l'élargissement [16]. Par ailleurs, nous apprenons que «l’Europe ne se réalisera pas sous l’égide de Berlin»; cela veut dire que, pour l’auteur, cela s’envisage bien plutôt «sous l‘égide de Washington».

     L'auteur du «Grand échiquier» reconnaît que la France a (avait !) un projet européen différent, qui visait à rendre l'Europe indépendante de l'Amérique. Il considère cependant que la France «puissance moyenne post-impériale» ne dispose ni de la force, non plus des moyens nécessaires de ses prétentions par des notations telles que celle-ci: «La France n'est assez forte ni pour faire obstacle aux objectifs géostratégiques fondamentaux de l'Amérique en Europe, ni pour construire une Europe à ses vues. De ce fait, ses particularismes et même ses emportements peuvent être tolérés» [17]. Pour autant, la France est tout de même «un partenaire indispensable pour arrimer définitivement l’Allemagne à l’Europe». Cependant Brzezinski se méfie de la France qui pourrait avoir des velléités pour traiter directement avec la Russie, et ainsi s’affranchir relativement des Etats-Unis et il fait, par contre, confiance à l'Allemagne (et à ce chef d'œuvre américain qu'a été l'élargissement intervenu depuis), pour replacer l'orbite européenne sous influence américaine: «pour favoriser la construction européenne, l'Allemagne, en gage de bonne volonté, a laissé s'exprimer la fierté française, mais, soucieuse de la sécurité européenne, elle s'est refusée à suivre les yeux fermés ses orientations. Elle a continué à défendre ses convictions propres et, donc, le rôle central des Etats-Unis dans la sécurité du continent».

     Quant au couple franco-allemand, il est primordial pour les intérêts américains; une remise en cause de cette alliance «marquerait un retour en arrière de l’Europe», et serait «une catastrophe pour la position américaine sur le continent». Il est clair également que les Etats-Unis se servent de l’Allemagne (dominant économiquement en Europe) pour canaliser et «tenir sous contrôle» la France. Brzezinski souligne l’alliance germano-américaine pour les aspects politiques du projet européen par une antiphrase qui définit le mieux: «C'est le point de vue que partagent les Etats-Unis et l'Allemagne: le projet européen est soutenu par une dynamique historique et politique et ne comporte aucune arrière-pensée à l'égard de la Russie, ni animosité, ni peur, ni désir de l'isoler». Quinze années plus tard, la politique actuelle de la Chancelière Merkel confirme la validité de cette analyse.

     Comme en plusieurs endroits, les bonnes intentions ne valent qu'à terme, et ne sont que vaguement définies. A court terme, les intérêts américains sont explicitement et précisément déclarés, et ne vont pas dans le sens d'un partage du pouvoir. Ce qui compte est d'avoir une Europe vaste, faible et inféodée: «l'élargissement de l'Europe et de l'OTAN serviront les objectifs aussi bien à court terme qu'à plus long terme de la politique américaine. Une Europe plus vaste permettrait d'accroître la portée de l'influence américaine – et, avec l'admission de nouveaux membres venus d'Europe centrale, multiplierait le nombre d'Etats pro-américains au sein des conseils européens – sans pour autant créer une Europe assez intégrée politiquement pour pouvoir concurrencer les Etats-Unis dans les régions importantes pour eux, comme le Moyen-Orient». L'actualité fournit un exemple criant de cet état de fait: les USA mettent le feu au Moyen-Orient et les européens sont censés fournir les sparadraps ensuite.

     En conclusion, qu'est-ce que l'Europe à l'heure américaine ? L'objectif est double:

- Il faut d'abord neutraliser les querelles des pays de la région dont aucun n'est assez fort pour s'imposer aux autres et qui, sans la tutelle américaine risqueraient de tomber dans des conflits incessants;

- l'Europe de l'ouest ainsi stabilisée et neutralisée aurait pour rôle, via l'Union européenne pour les aspects politico-économiques et via l'OTAN pour les aspects militaires, de bloquer la Russie dans ses frontières et de restreindre au maximum son influence, jusqu'en Ukraine et dans les pays proches. Les USA sont si certains de leur influence au sein de l'Union européenne que Brzezinski peut écrire que «tout état en position d'entreprendre des discussions avec l'Union européenne et invité à les poursuivre devrait être regardé comme bénéficiant d'une protection de facto de l'OTAN». De fait, de nombreuses pages sont consacrées à décrire le calendrier d'entrée de différents pays européens dans l'UE, puis dans l'OTAN, depuis les pays baltes (c'est fait depuis), jusqu'à l'Ukraine (en train de se faire…) [18].

     Pour la Turquie, ce n'est pas par rapport à la Russie que l'intégration à l'UE est jugée nécessaire, c'est parce que la Turquie doit servir de rempart à l'Iran islamiste et parce que cette intégration permettra d'obtenir l'accord de la Turquie nécessaire à l'extension de l'OTAN aux pays de l'Europe de l'est. Ainsi, «l'Amérique devrait-elle user de son influence en Europe pour soutenir l'admission éventuelle de la Turquie au sein de l'UE, et mettre un point d'honneur à la traiter comme un Etat européen» [19]. C’est une proposition d’au moins étonnante de la part d’un expert en géopolitique averti du choc des civilisations…Voilà donc pourquoi les contours de l'Union européenne sont tracés ailleurs, et ce depuis longtemps.

     Le chapitre suivant, intitulé «Le trou noir» (Blackhole), traite de la Russie à l’issue des changements survenus depuis la fin de l’Union Soviétique et la naissance de la Communauté des Etats Indépendants. Brzezinski part du postulat que «il est indispensable que l’Amérique contre toute tentative de restauration impériale au centre de l’Eurasie» qui ferait obstacle à ses objectifs géostratégiques. Après l’effondrement de l’Empire, qui a vu un vide politique (le «trou noir») s’instaurer au cœur même de l’Eurasie et qui a ramené la Russie «au niveau d’une puissance régionale du tiers monde», Brzezinski constate que cet état a très peu d’espaces «géopolitiquement sûrs». En effet, après 1991 les frontières actuelles de la Russie ont reculé de plus de mille kilomètres vers le Nord, et les états qui l’entourent actuellement constituent une ceinture, un obstacle à son épanouissement, à son développement; ceci tant vers l’Est que vers la Mer Noire et le Sud-Est de l’ancien Empire. L’auteur fournit une réponse américaine aux questions russes: l’Amérique se préoccupe de savoir «ce qu’est la Russie, et ce que doivent être ses missions ainsi que son territoire légitime». Mais la raison essentielle qui fait le regard systématique américain vis à vis de la Russie est qu’elle a «une identité eurasienne», une «personnalité eurasienne», ce que les Etats-Unis n’ont pas par nature. Et si les Etats-Unis soutiennent inconditionnellement l’Ukraine c’est que, sans elle, aucune restauration impériale n’est possible pour la Russie. Il faut donc absolument appliquer la technique du «roll back», celle du refoulement de la Russie vers l’Asie.

     Pour la Russie, le projet américain prévoit une partition en trois Etats: «une Russie européenne, une république de Sibérie et une république extrême-orientale». On voit bien l'idée: la Russie européenne adhèrerait à l'Union européenne et serait ainsi neutralisée, tandis que la Sibérie et la république extrême orientale pourraient soit tomber sous in fluence américaine ou servir de monnaie d'échange dans des discussions avec la Chine ou l'Iran. Quelle légèreté! Imagine-t-on un auteur européen écrire que pour résoudre le problème hispanique aux USA il conviendrait d'unir au Mexique, la Californie, le Texas et l'Arizona, dans une confédération des Etats de l'Amérique nord-hispanique ? La différence est que l'auteur européen serait bien en peine d'avoir une quelconque influence en ce sens, alors que les USA s'attellent tous les jours à appliquer ce programme.

     Plus loin, Brzezinski note que les Etats de l’ex-URSS, pour échapper aux nouvelles visées «impériales» russes, «ont cherché à tisser leurs propres réseaux de relations internationales, avec l’Ouest pour l’essentiel, mais aussi avec la Chine ou les pays musulmans au Sud». La seule solution honorable pour la Russie, nous dit l’auteur, est «une direction partagée avec l’Amérique»; ce pays «devrait se résoudre à jouer un rôle de tampon entre l’expansionnisme chinois et l’Ouest», à choisir l’Europe, alliée des Etats-Unis, pour faire face à d’éventuelles visées expansionnistes chinoises. Reste donc pour Moscou le «choix européen, seule perspective géostratégique réaliste»; et, par choix «européen» on peut entendre, en fait, choix «occident-américain». Pour les Etats-Unis, «la Russie paraît vouée à devenir un problème», et d’autant plus si d’aventure une alliance avec la Chine et l’Iran se concrétisait. C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis doivent «éviter de détourner la Russie de son meilleur choix géopolitique» à savoir, l’Europe atlantiste. La Russie doit s’intégrer à l’Europe, en suivant un processus graduel, commençant par sa «participation au Conseil de l’Europe», à l’instar de la Turquie Kémaliste qui «s’est engagée sur la voie de la modernisation, de l’européanisation et de la démocratisation». La deuxième étape de cet arrimage européen de la Russie serait la proposition d’une charte avec l’OTAN par l’Europe et l’Amérique. Enfin, ultime étape dans ce processus, l’intégration de la Russie dans l’Union Européenne, par contre, l'entrée de la Russie dans l'OTAN est explicitement rejetée car cela lui permettrait de regagner de l'influence par rapport à ses voisins, dont il importe au contraire de la couper. Cependant, précise l’auteur, le choix de l’Europe pour la Russie se fera plus facilement une fois l’Ukraine intégrée elle-même à l’Union Européenne et à l’OTAN [20].

     Un très bon chapitre est consacré aux «Balkans eurasiens», et permet de mieux comprendre les relations entre les pays peu connus que sont l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kazakhstan, l'Arménie, la Géorgie, le Kirghizistan, le Turkménistan, l'Azerbaïdjan, l'Afghanistan – tous sauf le dernier, anciennes républiques de l'URSS. Brezinski excelle à expliquer les intérêts turcs, iraniens, russes et américains dans la région – et dans une mesure moindre, ceux de la Chine. Les facteurs d’instabilité de ces «Balkans eurasiens» sont nombreux: de graves difficultés nationales, des frontières contestées des voisins ou des minorités ethniques, peu d’homogénéité nationale, des luttes territoriales, ethniques ou religieuses. Toutes les options peuvent donc être envisagées quant à l’avenir de cette région, selon Brzezinski.

     Les voisins intéressés nourrissant des visées politiques sur la région sont la Russie, la Turquie, l’Iran et la Chine. La Russie qui veut retrouver sa zone d’influence, renouer avec ses républiques d’hier, et dont les visées géopolitiques vont vers le Sud, en direction de l’Azerbaïdjan et du Kazakhstan; la Turquie qui se considère comme le leader potentiel d’une communauté turcophone aux frontières très floues; l’Iran, dont le principal souci est le renouveau de l’islam en Asie centrale; enfin la Chine que les ressources énergétiques de la région attirent et qui veut y avoir un accès direct hors contrôle de Moscou. En effet, «la région renferme une énorme concentration de réserve de gaz naturel, d’importantes ressources pétrolières, auxquelles viennent s’ajouter des gisements de minerais, notamment des mines d’or».

     D’autres pays ont leurs regards tournés vers cette région: le Pakistan qui veut exercer une influence politique en Afghanistan et profiter à terme de la construction de pipelines reliant l’Asie centrale à la Mer d’Oman. L’Inde qui, pour faire face aux projets du Pakistan et à la montée de l’influence chinoise, est favorable au développement de l’influence iranienne en Afghanistan, ainsi qu’à une présence russe plus importante dans ses anciennes républiques. Les Etats-Unis enfin, qui «agissent en coulisse», cherchent à ménager le pluralisme géopolitique, et tentent «d’empêcher la Russie d’avoir la suprématie». La dynamique russe et les «ambitions anachroniques» de Moscou dans cette région sont «nuisibles à la stabilité de celle-ci». Et nous apprenons que «les objectifs géostratégiques américains recouvrent en fait les intérêts économiques de l’Europe et de l’Extrême-Orient»; nous sommes donc toujours dans cette logique «philanthropique» américaine. L’engagement des Etats-Unis dans cette région, nous dit Brzezinski, est considérée par les pays concernés comme «nécessaire à leur survie». Les motifs généraux américains sont les pipelines et leurs tracés actuels, le but des Etats-Unis étant de ne plus passer par des pipelines courant sur le territoire russe, donc pas par le Nord, mais par le Sud et la médiane de cette région des Balkans eurasiens: «Si un pipeline traversait la Mer Caspienne pour atteindre l’Azerbaïdjan et, de là, rejoignait la Méditerranée en passant par la Turquie, tandis qu’un autre débouchait sur la Mer d’Oman en passant par l’Iran, aucune puissance unique ne détiendrait le monopole de l’accès à la région». Vu ce qui précède, on comprend aisément les actions et les soutiens américains à tel ou tel pays; on peut saisir ainsi la bienveillance des Etats-Unis pour les Pachtouns de Kaboul «étudiants en théologie», au détriment des Tadjiks d’Ahmed Shah Massoud simples guerriers concentrés dans les régions du Nord de l’Afghanistan. Dans l’avenir, Brzezinski voit dans ses Balkans eurasiens une montée de l’islamisme, des conflits ethniques, un morcellement politique, et une guerre ouverte le long de la frontière méridionale de la Russie. Cependant, il oublie d’avouer qu’il fut parmi les protagonistes de la résurrection de ces troubles par l’appui et l’armement fournis aux moudjahidines durant l’administration Reagan durant les années 1980 pour attirer les Soviétiques dans le guêpier d’Afghanistan. 

     Pour ce qui est de la partie est de l'Eurasie, un descriptif très complet est encore donné des relations extraordinairement complexes entre la Chine, le Japon, l'Inde, la Corée et d'autres Etats de la région. Quelle doit être la politique américaine en extrême orient ? Pour être efficace, elle doit avoir un point d’ancrage dans cette région, nous dit Brzezinski. Il est essentiel, poursuit-il, que les Etats-Unis aient d’étroites relations avec le Japon et qu’ils établissent une coopération avec la Chine. Si l’extrême orient connaît aujourd’hui un dynamisme économique extraordinaire, il va néanmoins de pair avec une incertitude politique croissante. C’est «un volcan politique en sommeil»; il ne possède pas de «structures de coopération multilatérale» comme l’Union européenne et l’OTAN, et ce malgré l’ASEAN [21]. Cette région est devenue, selon l’Institut International d’Etudes Stratégiques, «le plus gros importateur d’armes, dépassant l’Europe et le Moyen-Orient».

     Il existe dans cette partie du monde de nombreux points de frictions: les relations entre la Chine et Taiwan; les îles Paracels et Spratly, objets de multiples convoitises; les îles de l’archipel Senkaku ou (îles Diaoyutai) qui sont disputées par la Chine et le Japon; la division de la Corée et l’instabilité inhérente à la Corée du Nord; les îles Kouriles, sujets à des controverses entre la Russie et le Japon; enfin, des conflits territoriaux et/ou ethniques divers, le long de la frontière chinoise, également entre le Japon et la Corée, enfin entre la Chine et l’Indonésie à propos des limites océaniques. La Chine est «la puissance militaire dominante de la région». Dans l’absence d’équilibre entre les puissances, l’Australie et l’Indonésie se se sont lancées dans une plus grande coopération militaire; Singapour a également développé, avec ces deux pays, une coopération en matière de sécurité. La probabilité de voir se réaliser des conflits dans cette région dépendra «de la présence et du comportement américains».

     Brzezinski vante la Chine du passé, «pays qui [au XVIIème siècle] dominait le monde en termes de productivité agricole, d’innovation industrielle et par son niveau de vie». Puis, il compatit avec les «cent cinquante années d’humiliation qu’elle a subies»; la Chine doit être «lavée de l’outrage causé à chaque chinois», et «les auteurs doivent être châtiés». Brzezinski rappelle que parmi les auteurs, la Grande-Bretagne a été dépossédée de son Empire, la Russie a perdu son prestige et une partie de son territoire; restent les Etats-Unis et le Japon qui sont le principal souci de la Chine aujourd’hui. Selon Brzezinski, la Chine refuserait «une véritable alliance sino-russe à long terme, car elle aurait pour conséquence de renforcer l’alliance nippo-américaine» car «cette alliance empêcherait la Chine d’accéder à des technologies modernes et à des capitaux, indispensables à son développement».

     Ensuite Brzezinski esquisse les différents cas de figure possibles. Il fait état des prévisions prometteuses relatives à la Chine; cependant, il doute de ses capacités à «maintenir pendant vingt ans ses taux de croissance spectaculaire». Actuellement, nous dit-il, la croissance rapide de la Chine accentue la fracture sociale liée à la répartition des richesses; ces inégalités ont un impact sur la stabilité du pays. Mais le rayonnement de la Chine «pourrait bien amener les riches chinois d’outre-mer à se reconnaître dans les aspirations de la Chine». Autre cas de figure évoqué, l’éventualité d’un repli sur soi de la Chine.

     Dans son espace régional, la Chine joue le Pakistan et la Birmanie contre l’Inde son «rival géopolitique». L’objectif de Pékin serait «une plus grande influence stratégique sur l’Asie du Sud-Est», contrôler le détroit de Malacca et le goulet de Singapour. La Chine élabore «une sphère d’influence régionale» ceci en particulier vers ses voisins de l’Ouest qui cherchent un contrepoids à l’influence russe. Brzezinski traite des relations américano-chinoise, mais sans comprendre l’attitude de Pékin, et en jouant les naïfs: «(…) en raison de ce qu’ils sont et de leur simple présence, les Etats-Unis deviennent involontairement l’adversaire de la Chine au lieu d’être leur allié naturel». Mais il admet que les Chinois savent que «leur influence dans la région se trouverait automatiquement renforcée par la moindre attaque qui viendrait miner le prestige américain». L’objectif central de la politique chinoise serait d’affaiblir l’Amérique pour que cette dernière ait besoin d’une Chine «dominant la région» et «mondialement puissante pour partenaire».

     Autre point d’extrême orient analysé par l’auteur: le Japon, dont les relations avec l’Amérique, nous dit-il, feraient dépendre l’avenir géopolitique de la Chine. Le paradoxe du Japon est qu’il «a beau être riche, dynamique et économiquement puissant, il n’en est pas moins un Etat isolé dans sa région et politiquement limité dans la mesure où il est tributaire d’un allié puissant qui s’avère être non seulement le garant de l’ordre mondial mais aussi son principal rival économique» (les Etats-Unis). Mais, «la seule véritable question politique pour le Japon consiste à savoir comment utiliser la protection des Etats-Unis afin de servir ses propres intérêts». Le Japon est, apprend-t-on, un pays «qui ne se satisfait pas du statu quo mondial». Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, note Brzezinski, on observe une redéfinition de la politique étrangère de ce pays. Cette redéfinition porte le Japon à «ménager la Chine plutôt que de laisser le soin aux Etats-Unis de la contenir directement». Cependant «très peu [de japonais] se prononcent en faveur d’une grande entente entre le Japon et la Chine» car cela déstabiliserait la région, et provoquerait le désengagement des USA, subordonnant la Corée et Taiwan à la Chine, mettant «le Japon à la merci de cette dernière».

     Les Etats-Unis veilleront à ce que le Japon «mette en place une coopération véritablement internationale, mieux institutionnalisée» à l’instar du Canada, «Etat respecté pour l’utilisation constructive de ses richesses et de son pouvoir, et qui ne suscite ni craintes ni ressentiments». Les objectifs globaux des USA sont de faire du Japon «le partenaire essentiel et privilégié de la construction d’un système» de coopération mondiale.

     Cependant la partie n’est pas gagnée d’avance en extrême orient pour les Etats-Unis, concède Brzezinski, car «la création d’une tête de pont démocratique est loin d’être imminente (…) contrairement à ce qui s’est passé en Europe». On note la prudence des Etats-Unis vis à vis de la Chine: «il est préférable de la traiter comme un acteur crucial sur l’échiquier mondial», et la faire participer au G7, lui accordant ainsi du crédit et satisfaisant son orgueil. Les USA doivent également «se montrer conciliant sur certaines questions, tout en restant ferme sur d’autres», poursuit Brzezinski. Et revenant sur le problème de Taiwan, nous apprenons que «les Etats-Unis interviendraient pour défendre non pas l’indépendance de Taiwan, mais leurs propres intérêts géopolitiques dans la région Asie-Pacifique»; voilà qui est clair. Pour ce qui concerne la Corée et le Japon, l’Amérique peut «jouer un rôle décisif en soutenant la réconciliation»; la stabilité apportée faciliterait «le maintien de la présence des Etats-Unis en extrême orient», et cette réconciliation «pourrait servir de base à une éventuelle réunification» de la Corée.

     Toutefois, nous dit Brzezinski, les Etats-Unis ne sont pas seulement la première superpuissance globale, mais seront très probablement la dernière, ceci à cause de la diffusion de plus en plus généralisée du savoir et de la dispersion du pouvoir économique. Si les Etats-Unis ont pu exercer une prépondérance économique mondiale, ils le doivent à «la nature cosmopolite de [leur] société (…) qui [leur] a permis (…) d’asseoir plus facilement leur hégémonie (…) sans pour autant laisser transparaître [leur] caractère strictement national». Il est peu probable qu’un autre pays puisse faire de même; «pour simplifier, n’importe qui peut devenir Américain, mais seul un Chinois peut être Chinois». Il transparaît dans ces propos une négation radicale de l’altérité. Les Etats-Unis ne veulent pas «l’autre», ils ne le conçoivent même pas; ils ne connaissent que l’autre en tant que «même», un clone en quelque sorte; piètre intelligence du monde, de la richesse, de la diversité de l’homme que ce rapport à l’autre, spécifiquement américain.

     Comme la puissance Américaine ne saurait durer sans fin (nous ne sommes pas arrivé avec le triomphe de l’Amérique et de ses «idéaux» à la fin de l’Histoire), Brzezinski nous trace «l’après domination états-unienne». Le legs de l’Amérique au monde, à l’histoire, doit être une démocratie planétairement triomphante, nous dit-il, et surtout, la création d’une «structure de coopération mondiale (les Nations Unies sont «archaïques») (…) qui assumerait le pouvoir de «régent» mondial». Voilà donc un testament établi pour la poursuite mondiale – et jusqu’à la fin des temps – du «rêve américain». Mais chacun sait que les temps comme les rêves ont toujours une fin.

     Si la recension des objectifs géostratégiques américains est clairement établie, la formulation et la structure interne de l’ouvrage sont assez confuses puisque l’on retrouve souvent des éléments concernant un sujet deux ou trois chapitres plus loin. Plus généralement, si la logique de ce discours puisse être comprise de la part d’un américain, dès lors que l’on n’est pas américain, on ne peut pas décemment souscrire aux thèses énoncées dans ce livre; ce serait sinon, pour prendre l’exemple d’un animal, comprendre les motivations de son prédateur, et accepter de se laisser dévorer par lui. Si certains constats de l’auteur sont justes car relevant d’une analyse géopolitique tenant compte des faits historiques et de leurs conséquences, il n’en demeure pas moins qu’il faut combattre ces objectifs impériaux/impérialistes américains, malgré cette apathie qui caractérise malheureusement les Européens en général et les Français en particulier.

     «Le Grand échiquier» est d’une manière générale un livre intéressant parce que Brzezinski, avec un cynisme assez remarquable, y avoue crûment les manipulations (et les erreurs) que les Américains en général, et les néoconservateurs en particulier, ont accomplies en les dissimulant derrière un rideau de fumée américaniste supposé libéralisateur. La lecture du «Grand échiquier» confirme en fait qu’il y a depuis plus d’une décennie concurrence, au sein des élites américaines, entre une ligne impulsée par le «lobby pro-Israël» et une autre ligne, défendue par Brzezinski, lequel se soucie davantage des intérêts américains en Eurasie que du devenir de l’Etat juif. Pour Brzezinski, le principal objectif de la grande stratégie USA au début du XXI° siècle doit être de lutter contre l’alliance Chine/Russie, si possible en l’empêchant de se constituer, à défaut en en limitant la portée et la puissance. Dans cette optique, Brzezinski (un polonais motivé par sa notoire russophobie) considère que la principale menace vient de la Russie, dans la mesure où, bien que moins puissante économiquement que la Chine, elle a davantage les ressources et moyens de sa pleine souveraineté. Il préconise l’encerclement de la Russie par l’implantation progressive de bases militaires, ou à défaut de régimes amis, dans les anciennes républiques soviétiques (notamment en Ukraine), ainsi que l’affaiblissement de Moscou par le pillage de son économie (rappelons que le livre a été écrit en 1997, alors que les oligarques se partageaient les entreprises russes privatisées, une année avant le krach de 1998).

     Enrichi des enseignements de Kissinger et fort de sa longue expérience en tant que conseiller de Carter et de Reagan, Brzezinski tire la conclusion - cruciale pour qui veut comprendre sa formule de pensée - que l’Amérique doit privilégier les stratégies d’influence, afin d’être autocratique sans que cela soit vu par la population américaine elle-même. Cela est nécessaire pour comprendre que les prises de positions ultérieures de Brzezinski, à partir de 2004 opposé à la «guerre contre le terrorisme», ne traduisent pas de sa part une réfutation de la réalité de cette guerre – il sait parfaitement qu’elle n’a jamais été autre chose qu’un prétexte, il a d’ailleurs lui-même prôné l’utilisation de ce prétexte. Ses prises de positions traduisent plutôt son inquiétude sur la manière dont les «neocons» utilisent cette «guerre prétexte» (c'est-à-dire avec une manifeste absence de subtilité). Sa stratégie repose sur une priorité accordée à l’influence, la guerre ouverte ne venant qu’en dernier recours. Il préconise en particulier l’infiltration des élites eurasiennes, la détection des membres influençables de ces élites, afin de les favoriser (par l’outil médiatique en particulier) pour qu’ils deviennent prédominants au sein de leur oligarchie spécifique. Là où les «neocons» bombardent et occupent militairement, Brzezinski propose de corrompre, diviser, manipuler, pour imposer des gouvernements au solde des USA. Brzezinski, c’est la ligne «big business» à l’état pur, sans les compromis de Huntington avec l’identité américaine  et des «neocons» avec le lobby pro-Israël. Son fils Ian fut Conseiller volontaire (Volunteer advisor) du gouvernement ukrainien en 1993-94… Sachant que Brzezinski est aujourd’hui le principal conseiller d’Obama, en lisant «Le Grand échiquier», on mesure à quel point la présentation médiatique dominante de l’actuel président US (un homme de paix) est erronée, pour ne pas dire ridicule.

     Cependant, dans le même temps où les USA poursuivaient leurs stratégies et politiques dans la voie si remarquablement définie par Brzezinski, deux acteurs majeurs se sont renforcés: la Chine dont la croissance ne s'est pas essoufflée d'une part, comme le suppose Brzezinski en 1997, et d'autre part la Russie, forte de la hausse du prix des matières premières et de la fermeté de Vladimir Poutine, recouvre les moyens de ses ambitions.

     Cela devrait les inciter de réfléchir et de revenir à des stratégies coopératrices avant que le décalage entre une politique impériale et une puissance déclinante sur le long terme – selon les termes même de Brzezinski – ne devienne intenable.

 


[1] Zbigniew Kazimierz Brzeziński (né le 28 mars 1928 à Varsovie) est un politologue et stratège américain d'origine polonaise. Il a été conseiller à la sécurité nationale du Président des États-Unis Jimmy Carter, de 1977 à 1981. En tant que tel, il a été un artisan majeur de la politique étrangère de Washington, soutenant alors à la fois une politique plus agressive vis-à-vis de l'URSS, en rupture avec la Détente antérieure, qui mettrait l'accent à la fois sur le réarmement des États-Unis et l'utilisation des droits de l'homme contre Moscou. Il fut également le mentor de Barak Obama, à l’Université de Colombia.

[2] Abréviation pour «néoconservateurs». Le néo-conservatisme ou néoconservatisme est un courant de pensée politique d'origine américaine apparu à la fin du XXe siècle. Il s'agit d'une conception qui a émergé aux États-Unis par opposition au relativisme culturel et à la contre-culture de la Nouvelle gauche («New Left») des années 1960. Cette philosophie a influencé les politiques menées par Ronald Reagan et George W. Bush, signifiant un réalignement de la politique américaine et le passage de quelques libéraux sociaux à la droite du spectre politique, d'où le terme qui fait référence aux «nouveaux» conservateurs («neocons»).

[3] WASP est un acronyme qui fait référence à «White Anglo-Saxon Protestant» et qui désigne les blancs américains d'origine anglaise et protestante dont la pensée et le mode de vie furent structurels pour les États-Unis. Par rétroacronymie, WASP peut avoir aussi le sens caché de White race, Anti-Semite, Puritan («race blanche, antisémite, puritain»), mouvement lié au Ku Klux Klan. Il convient de rappeler que Wasp est un mot qui en anglais signifie «guêpe».

[4] La Commission Trilatérale (en anglais: Trilateral Commission - TC),) a été fondée le 1er juillet 1973 à Tokyo au moment où les membres du «Council on Foreign Relations» - CFR (à ne pas confondre avec le «Committee on Foreign Relations» et du Groupe Bilderberg (alliés ou ralliés) décidèrent de créer une organisation très discrète entre les 3 régions démocratiques et industrialisées à  économie de marché qui sont l’Europe, l’Amérique du Nord, et le Japon. La TC a été créée par David Rockefeller (qui était le Chairman du CFR), les membres choisis par David Rockefeller, le but défini par David Rockefeller et son financement fourni par David Rockefeller. Le but de la TC est de faire avancer l’agenda du nouvel ordre mondial plus rapidement. Elle se rassemble en session plénière chaque année (dernière réunion le 17 mars 2013 à Berlin). Chaque sujet fait l’objet de rapports annuels (The Trialogue) et de travaux thématiques (Triangle Papers). La TC est formée de la crème du CFR, du Group Bilderberg et de la Franc-maçonnerie anglaise qui est mère de toutes les loges franc-maçonniques dans le monde. Au départ, la TC était composée de 17 membres, Zbigniew Brzezinski ayant été désigné comme président lors de sa fondation. Actuellement la TC compte 325 membres (dont 150 européens, 100 américains et canadiens et 85 japonais) tous interviewés et choisis par David Rockefeller. Parmi les personnages connus des Français, on pourrait citer Jimmy Carter, Bill Clinton, Raymond Barre, Roland Dumas, Jacques Delors, Alain Poher, Jacques Chirac, Elisabeth Guigou et beaucoup d’autres. Rares sont ceux qui savent que cette mystérieuse organisation existe et qu’elle exerce un contrôle rigoureux sur les Etats-Unis et l’économie internationale par l’intermédiaire des affiliés (affiliates) qu’elle compte dans la finance, la politique, la diplomatie, l’administration et les médias. Il convient de signaler que, quelques semaines avant les premiers rassemblements sur la place de l’Indépendance de Kiev, Arseni Iatseniouk («Yats» pour la secrétaire d’Etat adjointe des USA Victoria Nuland) participa le 27 Octobre 2013 à Cracovie (Pologne) à une réunion de la Commission Trilatérale présidée par Jean-Claude Trichet (ancien président de la BCE, membre du Groupe Bilderberg) dont le sujet portait sur "l’Ukraine et l’Union Européenne"…

[5] Le mot «tittytainment» a été utilisé en 1995 par Zbigniew Brzezinski, membre de la commission trilatérale et ex-conseiller du Président des États-Unis Jimmy Carter, pendant la conclusion du premier State Of The World Forum, dans l'Hôtel Fairmont de la ville de San Francisco aux USA. L'objectif de la rencontre était de déterminer l'état du monde, de suggérer des objectifs désirables, de proposer des principes d'activité pour les atteindre, et d'établir des politiques globales pour obtenir leur mise en œuvre. Les dirigeants réunis à (Mikhaïl Gorbatchev, George Bush, Margaret Thatcher, Václav Havel, Bill Gates, Ted Turner, etc.) sont arrivés à la conclusion que «dans le siècle à venir, 20% de la population active suffiraient à maintenir l'activité de l'économie mondiale». Le problème se poserait alors sur la manière de gouverner les 80 % de la population restante, superflue dans la logique libérale, ne disposant pas de travail ni d'occasions d'aucun type, ce qui nourrirait une frustration croissante. C'est ici qu'est entré en jeu le concept de «tittytainment» proposé par Brzezinski, qui consisterait d’un mélange d'aliment physique et psychologique qui endormirait les masses et contrôlerait leurs frustrations et leurs protestations prévisibles. Le même Brzezinski explique l'origine du terme «tittytainment», comme une combinaison des mots anglais entertainment et tits, le terme qui désigne les seins. Brzezinski ne pense pas au sexe, ici, mais plutôt au lait qui coule de la poitrine d'une mère qui allaite. Pour lui, et ses compères qui approuvent, il faudra trouver une façon pour concocter un cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante qui permettrait de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète...(Cf.: «Le piège de la mondialisation - L'agression contre la démocratie et la prospérité», Hans-Peter Martin Harald Schumann (Auteurs),  Olivier Mannoni (Traduction), Editions Solin (Actes Sud, 1997).    

[6] Zbigniew Brzezinski “The Grand Chessboard : American Primacy and Its Geostrategic Imperatives”, New York, Basic Books, 1997 (ISBN 0-465-02726-1)

[7] Zbigniew Brzezinski, «Le vrai choix ; l’Amérique et le reste du monde», Odile Jacob, 2004 (titre anglais: Global Domination or Global Leadership)

[8] Citation du «Grand Echiquier» de  Zbigniew Brzezinski:

[...] «Le jeu se déroule sur cet échiquier déformé et immense qui s'étend de Lisbonne à Vladivostok. Si l'espace central peut être attiré dans l'orbite de l'Ouest (où les Etats-Unis jouent un rôle prépondérant), si le Sud n'est pas soumis à la domination exclusive d'un joueur et si l'Est ne réalise pas son unité de sorte que l'Amérique  se trouve expulsée de ses bases insulaires, cette dernière conservera une position prépondérante. Mais si l'espace central rompt avec l'Ouest et constitue une entité dynamique capable d’initiatives propres, si dès lors, il assure son contrôle sur le Sud ou forme une alliance avec le principal acteur oriental, alors la position américaine en Eurasie sera terriblement affaiblie. A l'Est, l'union des deux principaux acteurs aurait des conséquences similaires. Enfin, sur la périphérie occidentale, l'éviction des Etats-Unis par ses partenaires signerait la fin de la participation américaine au jeu d'échecs eurasien ».

[9] Herman Van Rompuy, Président du Conseil Européen, a déclaré lors de la 50e Conférence sur la Sécurité de Munich le 1er février 2014: [...] «parce que pour les Européens et les Américains, les économies sont basées sur des règles, les sociétés sont basées sur des valeurs – c’est ce que nous sommes, c’est ce que nous représentons pour beaucoup de gens, et c’est – ensemble – ce pour quoi nous devons lutter dans le monde». Des mots désespérément vides, comme si leurs règles ou leurs valeurs avaient réussi à libérer des nations de la décadence socio-économique, politique ou intellectuelle ou à restaurer leurs identités, leurs principes moraux ou leur esprit; (cf. http://www.realpolitik.tv/2014/04/le-coup-detat-euro-americain-en-ukraine-3/).

[10] Le début de l'année 1917 marque un tournant et plusieurs facteurs vont entraîner les Etats-Unis à changer de position et à entrer dans la guerre. Le président Wilson a été réélu à la fin de l'année 1916 et la volonté de maintenir les Etats-Unis à l'écart du conflit ne constitue donc plus un enjeu électoral dans un pays où l'opinion reste profondément attachée au neutralisme. Les Allemands sont revenus sur la promesse faite au président américain en relançant à partir du 1er février une guerre sous-marine qui provoque rapidement d'importants ravages parmi les navires neutres et menace les liens commerciaux américains avec l'Entente. Enfin, les Allemands ont commis une véritable provocation aux yeux des Américains en proposant une alliance militaire avec le Mexique, avec la possibilité pour les Mexicains de recouvrer certains Etats (Texas, Nouveau-Mexique, Arizona) pris par les Américains suite à la Guerre américano-mexicaine (1846-1848). Cette affaire sera quelque peu instrumentalisée par les Anglais (qui transmettent la correspondance entre le ministre allemand des Affaires étrangères Zimmermann et son ambassadeur à Mexico) afin de convaincre les Américains de la "perfidie allemande". Enfin, la révolution russe (février 1917) et la mise en place d'un gouvernement libéral à Petrograd permet désormais à Wilson de présenter à l'opinion le conflit comme celui de la démocratie contre l'autocratie incarnée par les Empires centraux. Toutes ces conditions nouvelles permettent donc de rompre avec la politique neutraliste menée depuis 1914 et le 5 avril 1917 les États-Unis déclarent la guerre à l'Allemagne. L'Autriche-Hongrie ne recevra l'ultimatum que le 7 décembre 1917 et les Etats-Unis ne déclareront pas la guerre à tous les pays de l'alliance, conservant notamment des rapports normaux avec la Bulgarie et l'Empire ottoman. Cette politique témoignait de la volonté américaine de conserver une certaine indépendance face à ses alliés anglais et français. À partir de juillet 1918, les troupes américaines sous le commandement du général Pershing (celui qui avait mené l’«expédition punitive» contre l’invasion du territoire américain par les guérilleros mexicains de Pancho Villa en 1916) joueront un rôle décisif. Mais les États-Unis n'adhèrent pas à la convention du 5 septembre 1914 entre les Alliés et ils définissent au début de 1918 leurs propres buts de guerre. Wilson énonce les 14 points, qu'il précise ensuite dans plusieurs déclarations ultérieures. Au moment de la conclusion de l'armistice, il offre ainsi des garanties à l'Allemagne, qu'il pense convertie à la démocratie et qui doit devenir un rempart contre le bolchevisme, en même temps qu'un partenaire commercial prospère: maintien de l'unité du Reich et montant des réparations fondé sur sa «capacité de payer». Il ne tient pas compte de sa défaite électorale (les républicains remportent les élections au Congrès le 5 novembre 1918), et veut appliquer rigoureusement son programme au cours des négociations de paix, au cours desquelles il se pose parfois en arbitre pour le présent et pour le futur (voir par exemple les articles 339, 357 ou 374 du traité de Versailles). Ce souci de ménager l'Allemagne provoquera des tensions avec la Belgique, l'Italie et surtout la France, dont il écarte les revendications territoriales et les exigences de garanties militaires. Avec le soutien de Lloyd George, il propose, en échange, à Clemenceau (lettre du 6 mai 1919), un pacte tripartite contre une éventuelle agression allemande, que le Sénat des États-Unis n'examinera même pas, et il impose un illusoire système de garantie collective fondé sur le pacte de la Société des Nations, que le même Sénat repoussera. Il obtient le prix Nobel de la paix en 1919.

[11] Abréviation de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (en anglais: Asia-Pacific Economic Cooperation ou APEC), qui est un forum économique intergouvernemental créé en 1989 et visant à faciliter la croissance économique, la coopération, les échanges et l'investissement de la région Asie - Pacifique. L'APEC est composée de 21 membres, qui représentent plus du tiers de la population (2,6 milliards de personnes), 60 % du PIB et 47 % du commerce au niveau mondial. Elle représente également la zone économique la plus dynamique dans le monde, ayant participé à presque 70 % de la croissance économique globale entre 1994 et 2004. À la différence de l’Union européenne ou d'autres organisations économiques multilatérales, l'APEC n'a aucun traité engageant ses membres. Les décisions prises par l'APEC sont obtenues par le consensus et les engagements sont entrepris sur une base volontaire.

[12] Remarque : pendant ce temps, en France, le Conseil d'analyse stratégique, ex-Commissariat au Plan, s'est fixé comme objectif «d'appliquer la stratégie de Lisbonne» ! Voilà ce qui définit la stratégie géopolitique française… Il est grand temps pour la France de définir une politique internationale digne et dégager du carcan par trop proaméricain «OTAN/Union européenne», comme aux temps du président Clémenceau et du général De Gaulle.

[13] Citations du «Grand Echiquier» de  Zbigniew Brzezinski:

[...] "L'indépendance de l'Ukraine modifie la nature même de l'État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l'échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un empire en Eurasie. Et quand bien même elle s'efforcerait de recouvrer un tel statut, le centre de gravité en serait alors déplacé, et cet empire pour l'essentiel asiatique serait voué à la faiblesse, entraîné dans des conflits permanents avec ses vassaux agités d'Asie centrale".

[...] C’est la perte de l’Ukraine qui a soulevé les questions les plus épineuses. L’apparition d’un Etat ukrainien indépendant constitue une régression géopolitique radicale qui a contraint les Russes à s'interroger sur les fondements de leur identité politique et ethnique. En tirant leur révérence de manière abrupte, les Ukrainiens ont mis un terme à plus de trois cents ans d’histoire impériale. Ils ont dépossédé leurs voisins d'une économie à fort potentiel, riche de son industrie, de son agriculture et d’une population de cinquante-deux millions d’habitants, dont les origines, la civilisation et la tradition religieuse étaient si proches de celles des Russes, que les liens impériaux ont toujours, pour ces derniers, relevé de l’évidence. Par ailleurs, l’indépendance ukrainienne a privé la Russie de sa position dominante sur la mer Noire, alors qu’Odessa servait traditionnellement de point de passage pour tous les échanges commerciaux russes avec le monde méditerranéen et au-delà».

[...] «La perte du pivot géopolitique ukrainien réduit les choix géostratégiques de la Russie. Amputée de la Pologne et des Etats baltes, mais contrôlant l’Ukraine, elle pourrait encore tenir un empire eurasien dynamique, s’étendant, vers le sud et le sud-est, sur les domaines non slaves de l’ex-Union soviétique. Sans l’Ukraine et ses cinquante-deux millions de «frères slaves», toute tentative de restauration impériale commandée par Moscou est vouée à rencontrer la résistance prolongée de populations devenues très sourcilleuses sur la question de leur identité nationale et religieuse».

[...] «Quant à l'émancipation de l'Ukraine, elle a privé la Russie de sa mission la plus symbolique, d'une vocation confinant au droit divin: son rôle de champion de l’identité panslave».

[...] «L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. Et quand bien même elle s’efforcerait de recouvrer un tel statut, le centre de gravité en serait alors déplacé, et cet empire pour l’essentiel asiatique serait voué à la faiblesse, entraîné dans des conflits permanents avec ses vassaux agités d’Asie centrale».

[...] «Pour Moscou, en revanche, rétablir le contrôle sur l’Ukraine - un pays de cinquante-deux millions d’habitants doté de res­sources nombreuses et d’un accès à la mer Noire-, c’est s’assurer les moyens de redevenir un Etat impérial puissant, s’étendant sur l’Europe et l’Asie. La fin de l'indépendance ukrainienne aurait des conséquences immédiates pour l'Europe centrale. La Pologne deviendrait alors le pivot géopolitique sur la bordure orientale de l’Europe unie».

[...] «La Russie ne peut pas être en Europe si l’Ukraine n’y est pas, alors que l’Ukraine peut y être sans la Russie. On ne doit jamais perdre de vue ce constat simple et crucial. Dans le cas où la Russie miserait son avenir sur l’Europe, l’intégration de l’Ukraine servirait ses intérêts. De ce point de vue, les relations entre l’Ukraine et l’Europe peuvent constituer la pierre de touche du destin de la Russie. Cela signifie que Moscou jouit encore d’un court répit avant l’heure des choix…».

[14] [...] «Les États qui méritent tout le soutien possible de la part des États-Unis sont l'Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan et l’Ukraine, car ce sont tous les trois des pivots géopolitiques. En effet, le rôle de Kiev dans la région vient confirmer l’idée que l’Ukraine représente une menace pour l’évolution future de la Russie».

[...] «Le sort de l'Azerbaïdjan et de l’Asie centrale, à l’égal de celui de l'Ukraine, dictera ce que sera ou ne sera pas la Russie à l’avenir».

[15] Le mépris de Brzezinski vis-à-vis de la souveraineté européenne est reflété dans les récents propos de la vice-secrétaire d'Etat des Etats-Unis Victoria Nuland «Qu'ils aillent se faire foutre !» - (Nuland: «...And, you know… fuck the EU !, and Pyatt responded: "Oh, exactly ...".») - tenus lors d’une conversation téléphonique entre Mme Nuland et l’ambassadeur des USA à Kiev, Geoffrey Pyatt, délicatement enregistrée le 28 janvier, 2014 à leur insu par – présume-t-on – les services secrets russes et diffusée le 06.02.2014 sur le YouTube avec le titre «Les marionnettes de Maïdan». L'expression gagne en clarté ce qu'elle perd en élégance…Par ailleurs, la familiarité avec laquelle la vice-secrétaire d'Etat des USA évoque, lors de la même conversation, les dirigeants de l'opposition ukrainienne («Yats» pour Arseni Iatseniouk, «Klitsch» pour Vitali Klitschko) et les postes qu'elle leur attribue dans un gouvernement provisoire traduit une étonnante maladresse, voire arrogance, dans la méthode d’installer des équipes au pouvoir proaméricains dans des pays étrangers depuis plusieurs années.

[16] En effet, l’élargissement de 2004 (dit «Bing Bang») concerne dix pays dont 3 ex-républiques soviétiques (Estonie, Lettonie, Lituanie), 4 pays de l’ex-Pacte de Varsovie (Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie) et un pays issu de la dislocation de l’ex-Yougoslavie (Slovénie). L’élargissement de 2007 concerne deux pays supplémentaires de l’ex-Pacte de Varsovie (Roumanie, Bulgarie), et celui de 2013 un pays supplémentaire issu de la dislocation de l’ex-Yougoslavie (Croatie). La CEE de six en 1957 est donc devenue l’UE de 28 en 2013.  En 2014, cinq candidats officiels à l'élargissement étaient reconnus (Turquie, Serbie, Monténégro, FYROM-Vardarska, Islande). D’autres pays des Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kossovo (non reconnu internationalement)), et certaines anciennes républiques soviétiques d'Europe de l'Est (Ukraine, Biélorussie, Moldavie) et de Transcaucasie (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) sont considérés comme des candidats éventuels à l'élargissement de l'Union européenne, et si ce projet se réalise, l’UE devrait alors changer de nom en UA pour «Union eurasienne».

[17] Le cynisme des propos de Brzezinski reflet le constat où ont mené la France soixante années de soi-disant construction européenne: les Français sont admis à exprimer un rôle folklorique et gentillet pendant que l'Europe se vit à l'heure américaine ! Une véritable gifle pour toute la classe politique française après le général De Gaulle.

[18] Citations du «Grand Echiquier» de  Zbigniew Brzezinski:

[...] «L'Europe est la tête de pont géostratégique fondamentale de l'Amérique. Pour l'Amérique, les enjeux géostratégiques sur le continent eurasien sont énormes. Plus précieuse encore que la relation avec l'archipel japonais, l'Alliance atlantique lui permet d'exercer une influence politique et d'avoir un poids militaire directement sur le continent. Au point où nous en sommes des relations américano-européennes, les nations européennes alliées dépendent des Etats-Unis pour leur sécurité. Si l'Europe s'élargissait, cela accroîtrait automatiquement l'influence directe des Etats-Unis. A l'inverse, si les liens transatlantiques se distendaient, c'en serait finit de la primauté de l'Amérique en Eurasie».

[...] «Indépendamment l’une de l’autre, la France et l’Allemagne ne sont assez fortes ni pour construire l’Europe selon leurs vues propres, ni pour lever les ambiguïtés inhérentes à la définition des limites de l’Europe, cause de tensions avec la Russie. Cela exige une implication énergique et déterminée de l’Amérique pour aider à la définition de ces limites, en parti¬culier avec les Allemands, et pour régler des problèmes sensibles, surtout pour la Russie, tels que le statut souhaitable dans le système européen des républiques baltes et de l’Ukraine».

[...] «Dans le meilleur des cas, les candidats de l'Europe centrale ne devraient pas intégrer l’Union européenne avant l’année 2002. Néanmoins, dès que l’adhésion à l’Union européenne des trois nouveaux membres de l’OTAN sera effective, il sera temps pour les deux organisations de se pencher sur le cas des nouveaux aspirants: républiques baltes, Slovénie, Roumanie, Bulgarie, Slovaquie et peut-être aussi Ukraine».

[19] La Turquie, pendant toute la période de la guerre froide a profité de son ancrage à l’Occident en se transformant en un gigantesque porte-avions visant le ventre mou de l’URSS. Membre de l’OTAN, elle a joué un rôle stratégique primordial. Cet ancrage, qu’elle a brillamment marchandé, a été aussi son meilleur bouclier pour ne pas se transformer en démocratie réelle. On lui a toujours pardonné ses coups d’Etat parfois sanglants, la pendaison de plusieurs de ses hommes politiques, la répression des années 1970, l’existence d’une extrême droite ultranationaliste et mafieuse, la négation du génocide arménien et pontique, l’invasion et la partition de Chypre, les violations répétées de l’espace aérien et maritime grec, ses guerres sales anatoliennes ou urbaines, son refus de reconnaître la minorité kurde, etc. La fin de l’Union soviétique étant très présente en Asie centrale, aurait pu sonner le glas de cette attitude tolérante. La première guerre en Iraq, les guerres en Yougoslavie, son rapprochement spectaculaire avec Israël, sans oublier le développement touristique qu’elle a mis en place sur sa façade méditerranéenne reprise aux grecs en 1922, bref, la reconduction de sa position stratégique, ont perpétué le laxisme occidental vis-à-vis de ce pays. La déliquescence de sa classe politique, l’avènement d’un mouvement politique confessionnel aujourd’hui au pouvoir qui la remplaça, la «criminalisation du politique» et même l’apparition de mouvements islamistes ultras, ne changèrent pas la donne. Les nouveaux périls ne remplacent pas les anciens. Ils se superposent, tandis que les vieilles crispations nationalistes (question kurde et arménienne) restent toujours intactes. Le processus d’intégration de la Turquie est de plus ancien. Or, force est de constater que l’Union douanière et les négociations durant les années 1970-1995 n’ont pas changé grand-chose sur la situation interne turque et cela n’a pas changé depuis. Les résultats d’un Sondage Ifop, réalisé du 7 au 14 janvier 2014, indiquent que l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne est rejetée par la majorité des opinions publiques européennes: 83 % des Français y sont hostiles tout comme 72 % des Allemands, 68 % des Belges et 64 % des Britanniques. Les Espagnols (curieusement) font l’exception (pour 56 % contre 44%).

[20] Citation du «Grand Echiquier» de Zbigniew Brzezinski:

[...] «Au cours de la période suivante (soit de 2005 à 2010), l’Ukraine pourrait à son tour être en situation d'entamer des négociations en vue de rejoindre l’UE et I’Otan. Cela exige des progrès dans les réformes et, à l’extérieur, une meilleure perception de son identité centro-européenne».

[...] «L’Ukraine constitue cependant l’enjeu essentiel. Le processus d’expansion de l’Union européenne et de l’Otan est en cours. À terme, l’Ukraine devra déterminer si elle souhaite rejoindre l’une ou l’autre de ces organisations. Pour renforcer son indépendance, il est vraisemblable qu’elle choisira d’adhérer aux deux institutions, dès qu’elles s’étendront jusqu’à ses frontières et à la condition que son évolution intérieure lui permette de répondre aux critères de candidature. Bien que l’échéance soit encore lointaine, l’Ouest pourrait dès à présent annoncer que la décennie 2005-2015 devrait permettre d’impulser ce processus. Ainsi, les Ukrainiens auraient la certitude que l’extension de l’Europe ne s’arrêtera pas à la frontière ukraino-polonaise. Dès à présent, l’Ouest peut renforcer ses liens de coopération et de sécurité avec Kiev».

[21] L’Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE), (en anglais: Association of Southeast Asian Nations, ASEAN), est une organisation politique, économique et culturelle regroupant dix pays d'Asie du Sud-Est. Elle a été fondée en 1967 à Bangkok (Thaïlande) par cinq pays (Indonésie, Malaisie, les Philippines, Singapour et Thaïlande) dans le contexte de la guerre froide pour faire barrage aux mouvements communistes, développer la croissance et le développement et assurer la stabilité dans la région. Aujourd'hui, l'association a pour but de renforcer la coopération et l'assistance mutuelle entre ses membres, d'offrir un espace pour régler les problèmes régionaux et peser en commun dans les négociations internationales. Un sommet est organisé chaque année au mois de novembre. Son secrétariat général est installé à Jakarta (Indonésie).

 


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SOURCES

Sources:

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-wikipedia

 


 

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Copyright: Dr. Angel ANGELIDIS, Brussels, June 2014.

 


 

Commentaires

21.04 | 19:00

trop top..... on va dans la region cet été… merci à vous...

13.01 | 15:03

God save the queen

08.01 | 17:39

Grand merci pour la leçon d'histoire.
Nguyen Van Kiet

29.09 | 15:00

remarquable de précisions et donne l'idée générale de la ruse de guerre pour mieux répartir ses forces.