LA BATAILLE DE SKRA-DI-LEGEN MAI 1918

Description

PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

Le Front d’Orient

«La bataille de Skra-di-Legen»

29-31 mai 1918

 

1. INTRODUCTION

     Skra-di-Legen, ou comme on l'appelle en Bulgarie «Яребична - Jarebichna» était une position fortifiée autour des trois sommets de la montagne de Pajak (Païko) [1], au sudouest de la ville de Gevgelija (Γευγελή – Гевгелија) près de la frontière entre la Serbie et la Grèce, à l'ouest de l’Axiós (Vardar). Il tire son nom du nom aroumain «Skorka di Legen» signifiant «le sommet de la bascule». Cette position était un point culminant et stratégique, permettant de contrôler le passage d'une armée et offrant un excellent poste d'observation, situé à proximité du village actuel de Skra, alors nommé Lioumnitza [2]. La configuration du terrain était très accidentée avec des pentes abruptes, ravins, cimes inaccessibles, rochers à nu et zones infranchissables. Ces défenses naturelles avaient été renforcées par les Bulgares, avec l'aide du génie militaire allemand, par d'importantes fortifications en 1916.

 

2. LA 1ère BATAILLE DU SKRA-DI-LEGEN (MAI 1917)

     La position bulgare avait déjà subi, en mai 1917, une forte offensive frontale par les forces françaises (122ème Division d’Infanterie) sous le commandement du général Maurice Sarrail, qui n'avaient cependant réussi à emporter qu'une partie des positions fortifiées, avant d’être repoussées par une vigoureuse contre-offensive bulgare. La situation s'était alors stabilisée, les deux camps réalisant des travaux d'aménagement des zones occupées respectivement. Les forces bulgares avaient organisé leur défense dans une fortification militaire solide en forme de triangle comprenant de  puissantes rangées de fils de fer, des profondes tranchées creusées dans le roc, des abris en béton armé enfouis dans le granit, un labyrinthe de postes qui se croisaient et qui se flanquaient, des mitrailleuses cachées, une artillerie solide, des nombreux observatoires dominant le plateau du Vardar à la Dzéna. Tout cela donnait l'impression d'un bloc pesant, impénétrable et sans fissures qui devrait décourager toute velléité d'attaque.

 

3. LA 2nde BATAILLE DU SKRA-DI-LEGEN (MAI 1918)

     Une nouvelle offensive alliée fut lancée au printemps 1918, principalement confiée aux forces de l’armée grecque du «Gouvernement provisoire de la Défense nationale» [3], placées sous le commandement du Lieutenant général Emmanuel Zymvrakakis. Les trois divisions grecques directement impliquées dans cette opération étaient la Division «Archipel» commandée par le major-général Dimitrios Ioannou, la Division «Crète» commandée par le général Panagiotis Spiliadis, et la Division «Serrès» commandée par le lieutenant-colonel Epaminondas Zymvrakakis. Le 5ème et 6ème Régiments de la Division «Archipel» ont été placés au centre, les 7ème et 8ème Régiments de la Division «Crète» étaient sur le flanc droit et le 1er Régiment de la Division «Serrès» était sur le flanc gauche.

     Le général Adolphe Guillaumat, commandant suprême des Armées alliés du front d’Orient, qui avait remplacé à ce poste le général Sarrail en décembre 1917, avait établi comme objectif de l’opération la prise du sommet de Skra (altitude : 1.097m), car il constituait une pointe excentrée du dispositif de défense ennemi puissamment armé qui verrouillait l’accès à la Macédoine serbe alors occupée par les Bulgares.

     La décision du nouveau commandant en chef des Armées alliées du front d’Orient de confier cette offensive aux trois divisions grecques s'est appuyée principalement sur la nécessité d'améliorer l’organisation des troupes grecques et l'espoir d'un succès qui rehausserait leur moral et leur capacité combative. Un fort concours français fut donc accordé à cette attaque sous forme d'artillerie (43 batteries d'A.L, d'A.C et d'A.M, plus 2 batteries d'Artillerie de Tranchée) et d’infanterie (le 1er Régiment de Zouaves et deux Régiments de la 122ème Division d'Infanterie, auxquels s'ajouta une Compagnie de lance-flammes). Le 1er Régiment de Zouaves serait subordonné à la Division «Archipel» dès le lancement de l’offensive et il se chargerait de l’organisation du territoire qui serait occupé par les forces hellènes.

     Le général Auguste Clément Gérôme, commandant du 1er groupe des Divisions des forces alliées du front d’Orient, a établi un plan qui prévoyait que l’attaque aurait lieu dans deux temps. Dans un premier temps, un régiment de la Division «Archipel» dont le flanc gauche serait couvert par un deuxième régiment occuperait le sommet de Skra, alors que dans un deuxième temps un autre régiment poursuivrait l’attaque contre les hauteurs «Tumulus» et «Cerf-volant».

     L'action principale serait donc menée par la Division «Archipel» et serait soutenue à l'est par des troupes de la Division «Crète», qui chercherait à occuper les hauteurs «789» et «459» au nord du village de Skra, ainsi qu’à l’ouest par des troupes de la Division «Serrès». L'attaque de la Division «Archipel» serait appuyée par 122 canons grecs et alliés (français et serbes), dont 46 lourds. Les forces serbes et britanniques réaliseraient en même temps des attaques d’harcèlement de l’ennemi sur les flancs gauche et droite des forces grecques, alors que l’aviation alliée réaliserait des bombardements sur la ligne principale du front bulgare située juste derrière les fortifications de Skra-di-Legen.

     Le 15 avril 1918, le général Adolphe Guillaumat, commandant en chef des forces alliées, approuva le plan en observant que l'intervalle entre les deux phases devrait être réduit au minimum. En outre, faisant suite à la suggestion du colonel de l’artillerie grecque Dimitrios Katheniotis pour une pression d'artillerie supplémentaire sur la zone entre les fortifications et la ligne principale du front bulgare, il a augmenté l’appui de l’artillerie initialement prévu en mettant à la disposition de la Division «Archipel» quatre compagnies d’artillerie légère, douze batteries lourdes et deux batteries de tranchées. Le commandant en chef des forces alliées a même obtenu une aide de l'artillerie britannique, qui, lors de l'attaque, déclencherait de coups de feu sur le flanc ouest des fortifications bulgares, entre la rivière d’Axios (Vardar) et le lac Doïran. La deuxième quinzaine de mai 1918 fut fixée comme date de l’offensive.

     Contre les forces alliées, l'ennemi avait aligné la 5ème Division "Dunavska" de la 1ère Armée bulgare disposant de six propres régiments et d’un autre appartenant à la 3ème Armée bulgare. Les troupes bulgares furent disposés en forme de triangle : le 2ème Régiment défendait l’aile droite (ouest), le 50ème Régiment l’aile gauche (est), et au sommet du triangle, occupant la position avant, ont été placés les trois bataillons du 49ème Régiment. Dans le domaine de l'artillerie, les Bulgares avaient - comme les reconnaissances aériennes avaient conclu - 88 canons dans les environs du village d’Uma et 52 dans la région de Gevgelija. Les Bulgares avaient également renforcé leurs réserves, qui comprenaient un régiment allemand et deux à quatre régiments bulgares. Les forces adversaires d’infanterie étaient donc pratiquement équivalentes, mais grâce à l'action du général Guillaumat, les Alliés avaient une supériorité écrasante dans le domaine de l’artillerie.

     Le 27 mai le général Adolphe Guillaumat a visité le siège du 1er groupe de Divisions dans le village de Pigí au nord d’Axioúpolis, où ensemble avec le général Jérôme commandant du 1er groupe de Divisions alliés, il a été décidé de déclencher l’offensive le 30 mai, après une préparation intense d'artillerie. La 122ème Division d’Infanterie française lancerait simultanément une attaque de diversion dans la région d’Eidomeni (limitrophe à Gevgelija).

     Le matin du 29 mai 1918 (16 mai julien), les 430 canons de l'artillerie alliée commencèrent à bombarder de façon continue les fortifications bulgares pour les détruire avant l'attaque de l’infanterie. Les tirs de l’artillerie alliée furent en général bien ciblés, la plupart des nids de mitrailleuses bulgares ont été atteints et des brèches ont été ouvertes sur les rangées des fils de barbelés. L’action de l'artillerie alliée s'est poursuivie dans la nuit avec des tirs de harcèlement et de destruction. Les Britanniques ont entrepris le soir du même jour une opération d’harcèlement à l’ouest de Doïran. Mais, l’action de diversion de la 122ème Division d’Infanterie française à Eidomeni à n’a pas été un succès.

     Le deuxième jour, les trois divisions grecques, en position centrale sur la ligne du front, passèrent à l'action, avec pour mission de déloger les Bulgares et d’occuper leurs positions. L'attaque principale fut lancée entre 04h55 et 06h30 heures par la Division «Archipel», qui, avec trois régiments dans le premier échelon, a avancé rapidement derrière un «barrage roulant» d’artillerie et a pris les hauteurs «Skra» et «Tumulus» après un combat opiniâtre. Dans ses lignes se battaient deux vaillants officiers qui deviendraient postérieurement célèbres, le lieutenant Coronel Geórgios Kondylis [4], commandant du 1er régiment «Serrés», et le Major Nikólaos Plastiras [5], commandant du 2ème bataillon «Archipel». Les autres actions ont été exécutées en même temps : à l'ouest, par la Division «Serrés», qui a occupé les hauteurs au nord-est du village de Lountzi (actuellement. Langadia), tandis qu’à l'est la Division «Crète» a pris les hauteurs de Ljumnitsa-Remma. Le jour de l'offensive, le temps était nuageux et pluvieux et a donc favorisé l'attaque des troupes alliées, car aveuglé les observatoires ennemis.

     L’offensive alliée est un succès foudroyant. En 10 minutes le premier objectif est atteint. A 7 heures du matin, la face des fortifications bulgares a été conquise, les flancs largement débordés, et l'ennemi en déroute s'enfuit vers le nord.

     Cependant, au début de l'attaque générale, une faute tactique fut commise : le signal de l'attaque fut donné une demi-heure trop tôt, et l'artillerie ouvrit le feu sans attendre l'assaut de l'infanterie pour la soutenir. Cette faute empêcha les assaillants de créer l'effet de surprise escompté, et donna aux Bulgares le temps de mieux se préparer. Cependant, le commandant Nikólaos Plastiras, à la tête du 3ème bataillon au sein de la Division «Archipel», en première ligne, se distingua par sa vaillance en réussissant à s'approcher de l'ennemi à distance de tir. Son bataillon franchit les sept lignes successives de défense bulgares, et s'enfonçant sur une profondeur de 1.500 mètres, il attaqua l'ennemi sur le flanc et l'encercla. 150 soldats bulgares sont faits prisonniers avec leurs officiers. Un premier objectif du plan général était alors atteint. Nonobstant l'artillerie anglaise tire encore sur des positions tenues à présent par la Division «Archipel». Plastíras envoie alors au commandement allié ce message urgent : «Suis arrivé au terme de mon objectif. Artillerie alliée tire sur ma ligne. Ordonnez immédiatement cessez-le-feu. Ennemi bat en retraite en désordre. Nécessité lancer poursuite pour exploiter succès». Cette réussite suscite la joie et l'optimisme, tant dans la Division «Archipel» qu'au sein de l'état-major allié. Les plans élaborés pour l'attaque de Skra-di-Legen étaient atteints.

     La brèche ouverte dans les lignes ennemies par le bataillon de Plastíras et son régiment a joué un rôle décisif dans la victoire finale. Plastíras fut félicité par ses supérieurs et le général Ioannou proposa sa promotion au grade de lieutenant-colonel «pour acte de bravoure». Deux jours plus tard, Elefthérios Venizélos en visite sur le front salue en Plastíras «l'homme dont les soldats français parlent avec admiration». En même temps, le général Adolphe Guillaumat, commandant suprême des forces alliées du front d’Orient, décrit l'infanterie grecque comme une «infanterie de bravoure incomparable et d'ardeur exquise».

     A Skra-di-Legen, les troupes hellènes soutenues par les Français remportent donc une victoire éclatante. Elles prennent alors un front de 12 km et occupent tous les observatoires des cimes.  Les hauteurs ciblés «Skra», «Tumulus», «Cerf-volant», «Bastion ouest», «Bastion du seuil»,  «Piton dénudé», «Tête de chien», «Tablette», «Ouvrage blanc», «Petit tranché brunet », «Block Rocher», «Bois de Bulgares», «Cailloux blanc», «Boche», «459», «789» etc., sont désormais dans les mains des Alliés. Surtout, elles font prisonniers le 49ème régiment bulgare avec ses 33 officiers et capturent également l’ensemble des conseillers allemands présents, soit au total 1.850 prisonniers de guerre. Les pertes grecques se chiffrent à 338 morts pour la Division «Archipel», 71 morts pour la Division «Crète» et à 32 morts pour la Division «Serrés», soit au total 441 morts, contre plus de 600 tués côté bulgare. La Division  «Archipel» qui attaquait au centre a accusé les pertes les plus importantes en soldats et en officiers, parmi lesquels le commandant du 1er  Bataillon du 5ème Régiment «Archipel», le major Vassilios Papagiannis [6]. Plusieurs morts du côté grec ont été causés par des coups de feu mal ajustés de l’artillerie amie, ou parce que l’infanterie a été prise dans le champ de tir du «barrage roulant». D’importantes quantités d’armement bulgare d’origine allemand (mitrailleuses, mortiers, canons…) furent aussi capturées.  

     L'offensive du 30 mai 1918 est très importante car elle marque l'entrée en ligne de l'Armée grecque, totalement reconstituée depuis l'accession au pouvoir de Venizélos et de l'action de la Mission française auprès de l'Armée Hellénique. Cette attaque d'un piton fortifié depuis longtemps était pourtant particulièrement difficile. Sa pleine réussite a démenti le mépris de l'Armée Hellénique affiché par les Allemands et les Bulgares. En fait, ils ne penchaient pas que les Grecs arriveraient à percer une telle fortification - où les Français avaient échoué un an auparavant -  dans une longueur de 12 km et sur une profondeur de 1 à 2 km, aboutissant à sa pleine conquête. L'armée bulgare en dépit des efforts désespérés et des féroces contre-attaques pour sa reconquête, a été incapable de récupérer sa position.

     Après la bataille, le général allemand Sholtz et le prince héritier Boris de Bulgarie sont arrivés au siège de la 5ème Division bulgare pour se renseigner sur les causes de la défaite. Ils ont renforcé la division avec le 80ème régiment d'infanterie et planifié une attaque de diversion le long de la Struma par la 2ème Armée bulgare afin que la 1ère Armée bulgare puisse reprendre les hauteurs. Toutefois, ce plan n’est jamais entré en action car le moral des forces de la 5ème Division était si faible qu'une attaque était impossible. Le haut commandement bulgare a ensuite cherché à remédier à la situation en remplaçant le commandant de la 1ère Armée, le général Dimitur Geshov, par l'ancien commandant de la Division «Pleven» le général de division Stefan Nerezov. Mais, cela n’a pas rendu la fortification de Skra-di-Legen aux Bulgares et il n’a pas, non plus, changé l’issue de la guerre.

     La victoire de la 2ème bataille de Skra-di-Legen, où les armées grecques se sont illustrées, eut un grand retentissement en Grèce et en Occident et affermit l'autorité de Venizélos, toujours en butte à la sourde hostilité des partisans du roi Constantin I, favorables à l'Allemagne [7].

     Le général Adolphe Guillaumat, commandant en chef des forces alliées, reconnut publiquement l'importance de la contribution des forces grecques dans cette victoire, affirmant : «La victoire de Skra est aussi glorieuse que la prise de Mort-Homme avant Verdun» [8] [9]. De son côté, le général anglais George Milne écrivit au général grec Panayiotis Danglis : «Sans l'aide des forces grecques, il n'aurait pas été possible de remporter cette victoire». 

     Du point de vue politique, l'issue victorieuse de la bataille de Skra-di-Legen fut particulièrement décisive. Elle a grandement influencé le gouvernement bulgare qui a compris que la combativité de l’armée bulgare avait été sérieusement entamée et que cette armée ne serait pas en mesure de résister à une offensive généralisée des forces alliées sur le front macédonien. La Bulgarie a cherché alors à contacter discrètement les Alliés à Paris afin de tenter de négocier des conditions pour que les Alliés acceptent de fermer le front d’Orient et se retirer des Balkans.

     Heureusement, ces tentatives bulgares ont coïncidé avec la présence à Paris du général Adolphe Guillaumat que le président du Conseil Georges Clemenceau avait révoqué pour lui confier les fonctions de gouverneur militaire de Paris (les armées allemandes ayant avancé à moins de 45 km de Paris !) et aux capacités stratégiques duquel il avait une confiance illimitée. Clemenceau invita le général Guillaumat au Conseil suprême des Alliés et lui demanda qu’il expose ses vues sur les intentions bulgares. Le général Guillaumat se prononça fermement contre les propositions bulgares et souligna qu'il serait très avantageux pour les Alliés de continuer la guerre sur le front macédonien en abandonnant toute discussion avec la Bulgarie. Il a soutenu que tout était prêt pour une attaque alliée généralisée et cela aurait déjà été fait s’il n'avait pas été entretemps révoqué, ce qui aurait abouti à l'effondrement de l’armée bulgare et à la capitulation inconditionnelle de la Bulgarie. Le général Guillaumat dit-il, en outre, qu’il s'engage à commander lui-même l'offensive généralisée ou les Alliés peuvent, s'ils le veulent, donner cette commande à son successeur, le général Franchet d’Espèrey. Il a expliqué, en outre, que lors de la victorieuse bataille de Skra-di-Legen, l'affaiblissement des troupes bulgares pour des victoires futures s'est fait manifester amplement et c’est pour cette raison que la Bulgarie cherche désormais à atteindre désespérément les conditions les plus favorables pour sa rétrocession.  

     Le Conseil suprême des Alliés souscrit aux vues du général Guillaumat et ordonna le général Franchet d’Espèrey d'entreprendre l’offensive généralisée que son prédécesseur avait soigneusement planifié. À cette fin, Franchet d’Espèrey amassa un groupe de 28 divisions totalisant environ 700.000 hommes avec plus de 2.000 pièces d'artillerie, 2.600 mitrailleuses et 200 avions. Le coup principal devait être livrée contre l'onzième armée allemande, qui maintenant se composait presque exclusivement par des unités bulgares, à Dobro Polje, avec des attaques secondaires à l'ouest autour de Monastir (Bitola) et à l'est contre la première armée bulgare au lac Doïran. L’offensive généralisée alliée fut déclenchée le 15 septembre 1918 et a entrainé la débâcle de l’armée bulgare dans quelques jours seulement. Dès le 18 septembre, les armées alliées, forcent à la reddition la première armée germano-bulgare, forte de 70.000 hommes et équipée d’un important matériel de guerre. Le 24 septembre la Bulgarie adresse une demande de cessez-le-feu aux forces de l’Entente. Le 26 septembre, alors que la cavalerie française talonne les unités germano-austro-bulgares en pleine déroute dans la région d'Uskub (Skopje), le haut-commandement bulgare adresse au général Franchet d'Espèrey, commandant en chef allié du front de Salonique, une demande d'armistice. Le 29 septembre une délégation bulgare mandatée de Sofia signait à Thessalonique la capitulation de la Bulgarie. L'ensemble de ses clauses, dictées depuis Paris par le Président du Conseil français, ne seront pas discutées par les délégués bulgares.

 

4. ÉPILOGUE

     La victoire alliée de Skra-di-Legen fut le résultat d’une parfaite coordination militaire franco-hellénique au niveau tant de la planification que de celui de l’exécution. Les Français ont fourni une écrasante supériorité d’artillerie qui a fait pleuvoir un déluge de feux sur ce piton lourdement fortifié et les Grecs la vaillance d’infanterie essentielle pour écraser la résistance acharnée des défenseurs et prendre d’assaut frontal les positions bulgares.

     L'innovation du lieutenant Coronel Geórgios Kondylis de retirer les cartouches des fusils de ses soldats et de laisser en eux seulement les grenades et les baïonnettes pour déloger les Bulgares de leurs tranchées a été accueillie avec admiration par les Alliés et a été adoptée comme technique d’assaut pour les attaques ultérieures [10].

     La prise du Skra di Legen a couronné l’œuvre du général Adolphe Guillaumat en Orient et c'est sur un beau succès qu'il rentre en France le 17 juin 1918, sur ordre de Clemenceau, pour prendre la place du général Auguste Dubail comme Gouverneur militaire de Paris. Il sera remplacé sur le front de Macédoine par le général Louis Franchet d'Espèrey.

     La victoire de Skra-di-Legen fut décisive car elle a déverrouillé l’accès aux frontières serbo-bulgares, ce qui a permis de lancer, en septembre 1918, sous le commandement du général Franchet d'Espèrey, l’offensive combinée des forces alliées (Français-Serbes à l’ouest et Anglais-Grecs à est), plus au nord sur les hauteurs de Sokol, Dobro polje, Vetrenik, Koziakas et le lac Doïran, avec objectif de briser définitivement les lignes de défense des troupes germano-bulgares et forcer la Bulgarie à capituler [11].  

     En définitif, c’est par leur succès sur le front d’Orient que les Alliés obtiendront finalement la victoire dans la Première Guerre mondiale. Cela laissera des séquelles à la mémoire des Allemands, qui considéreront comme cause de leur défaite en 1918 leur engagement dans les Balkans. Pourtant, cela n’empêchera pas Adolf Hitler commettre la même erreur, vingt ans plus tard, dans la mesure où il ajournera son offensive contre l’URSS pour s’engager dans les Balkans (offensive simultanée contre la Yougoslavie et la Grèce déclenchée début avril 1941)… 

 

Dr. Angel ANGELIDIS

Ex-Conseiller au Parlement Européen

Vice-président de l’Institut de Gestion des Crises Géopolitiques, Thessalonique, Grèce

Bruxelles, novembre 2015



 

Notes de bas de page

[1] Le mont Païko est une extension courbée au nord-est de la chaîne de montagnes de Voras (Kaimaktsalan) adjacente. Ensemble, ils entourent la plaine d’Aridéa. À l'est et au sud de Païko se trouvent respectivement les plaines du fleuve Vardar (Axiós) et les plaines de Giannitsá. Les plus hauts sommets du mont Païko sont Skra (1.097 m), Tsouma (1.219 m), Vertopia (1.490 m), Pirgos (1.494 m), Kadasi (1.607 m) et Ghola Tsuka (1.650 m). Pirgos, Vertopia et Kadasi entourent un grand plateau  à environ 1.200 m d'altitude.

[2] Le village actuel de Skra est situé dans la préfecture de Kilkis, en Macédoine grecque, à 529 m d’altitude et à 4 km de la frontière Grèce – FYROM/Vardarska.

[3] Suite à la rupture définitive entre le roi Constantin Ier de Grèce et le Premier ministre Elefthérios Venizélos, un «Comité de Défense nationale» fut créé le 31 août (17 août julien) 1916 et immédiatement reçu (et donc reconnu) par le commandant en chef des forces franco-britanniques, le général Sarrail, à Thessalonique. Elefthérios Venizélos quitta Athènes dans la nuit du 24 septembre, avec l'aide des ambassades française et britannique, à bord de l’Hesperia, pour la Crète où il publia une proclamation nationaliste à «l'hellénisme tout entier». Il rejoignit ensuite Thessalonique le 9 octobre (26 septembre julien) et entra dans le «Comité de Défense nationale» transformé en «Gouvernement de défense nationale» qu'il dirigera avec l'amiral Pavlos Koundouriotis et le général Panagiotis Danglís au sein d’un «triumvirat national» (Τpιανδρία). Le général Emmanuel Zymvrakakis fut nommé ministre de l’Armée.Le Gouvernement provisoire demande aussitôt à être reconnu de jure par les Puissances Alliées de l'Entente, et obtient une reconnaissance de facto à la Conférence de Boulogne.Le Gouvernement provisoire procède immédiatement au recrutement et à l'organisation de forces armées destinées à être intégrées aux côtés de celles de l'Entente, pour combattre sur le front de Macédoine.

[4] Geórgios Kondylis (en grec : Γεώργιος Κονδύλης), (14.08.1878 – 31.01.1936), fut un général de l’armée grecque et un homme politique, deux fois Premier ministre et Régent. Il est passé à la postérité sous le surnom de «Tonnerre», en grec : «Kεραυνός».

[5] Nikólaos Plastíras (en grec : Νικόλαος Πλαστήρας), (17.11.1881 – 26.07.1953), fut un général de l’armée grecque et un homme politique, trois fois Premier ministre. Il est passé à la postérité sous le surnom de«Cavalier Noir», en grec : «Ὁ  Μαῦρος Καβαλλάρης».

[6] Neveu du général Panaghiotis Danglis, membre du Triumvirat du Gouvernement provisoire de Thessalonique (Venizélos-Koundouriotis-Danglis).

[7] Le Kaiser Guillaume II d'Allemagne est le beau-frère de Constantin Ier de Grèce. À l’automne 1913, le roi, son épouse et plusieurs de leurs enfants se rendent, pendant trois semaines, en Allemagne pour y assister aux traditionnelles manœuvres de l’armée. Durant le dîner suivant les manœuvres militaires, Guillaume II investit Constantin du prestigieux ordre de l'Aigle noir, il lui remet un bâton de feld-maréchal allemand et le nomme colonel du 2ème régiment d’infanterie du Nassau. L’empereur décore également son neveu, le diadoque Georges, de la grand-croix de l’ordre de l'Aigle rouge. S’en suit un discours de Guillaume II dans lequel il rappelle que Constantin a effectué sa formation militaire en Allemagne et qu'il doit donc ses victoires durant les guerres balkaniques au système militaire germanique dont il est le produit. Finalement, le discours impérial se termine par l'affirmation selon laquelle l'Allemagne possède désormais en Grèce un allié militaire de taille sur lequel elle peut compter. Pris par surprise et flatté par les déclarations de son beau-frère, Constantin improvise une réponse cordiale dans laquelle il évoque ses années d’entraînement en Prusse et sa reconnaissance pour l’expérience qu’elles lui ont donnée. Il ne se doute pas alors que l’affaire va rapidement être montée en épingle par la presse et lui causer d’importants problèmes diplomatiques avec la France et le Royaume-Uni. La France ayant largement contribué au réarmement de la Grèce et à la réorganisation de son armée après la défaite de la Guerre gréco-turque de 1897, l’opinion publique est vexée par le discours de Constantin Ier et par la publication de photos du roi en habit de feld-maréchal allemand. Idem au Royaume-Uni, où la population est choquée par ce qu’elle perçoit comme un soutien à la politique du Kaiser. Or, la presse allemande n’hésite pas à jeter de l’huile sur le feu en réaffirmant haut et fort l’amitié germano-grecque. Le 21 septembre, Constantin se rend à l’Élysée, où il est officiellement reçu à déjeuner par Raymond Poincaré. Lors du toast, le président de la République déclare à son hôte que la France «restera [pour la Grèce] l’amie loyale et véritable qu’elle a toujours été». Afin d’effacer l’incident berlinois, le roi évoque avec effusion, dans sa réponse, l’aide et la sympathie françaises lors des guerres balkaniques. Malgré tout, la presse hexagonale est déçue par le discours royal, qu’elle juge bien moins enthousiaste que celui prononcé en Allemagne.

(Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Constantin_Ier_(roi_des_Hell%C3%A8nes).

[8] Cf. M.L.Héritier, «Histoire diplomatique de la Grèce de 1821 jusqu'à nos jours», Ed. Driault, Paris (1925), tome V, p.325.

[9] Décoration française : SKRA-DI-LEGEN 1918 est inscrit sur le drapeau des régiments cités lors de cette bataille.

[10] Traduction en grec : Ἡ καινοτομία τοῦ Κονδύλη ὅπως ἀφαιροῦνται τά φυσίγγια ἀπό τά τυφέκια τῶν τμημάτων ἐφόδου καί νά παραμένουν εἰς αὐτά μόνον ἡ ξιφολόγχη καί αἱ χειροβομβίδες, ἔγινε δεκτή μέ θαυμασμόν ἀπό τούς Συμμάχους καί ἐθεσπίσθη ὑπ'αὐτῶν διά τάς μετέπειτα ἐπιθέσεις.

[11] Cf. http://www.histoire-passy-montblanc.fr/histoire-de-passy/de-la-prehistoire-au-xxie-s/la-guerre-de-1914-1918/les-soldats-de-passy-en-1918/les-passerands-de-larmee-dorient-en-1918/ 

 


 

Sources :

http://greekworldhistory.blogspot.gr/2016/01/17-30-1918.html

 


Copyright: Dr. Angel ANGELIDIS, Brussels, November 2015


 

Illustration de la 2ème Bataille de Skra.
"Grâce à son incomparable bravoure et à sa superbe combattivité, l’infanterie grecque commandée par le général Zymvrakakis - en coopération étroite avec l’artillerie et l’aviation qui, malgré l’adversité des conditions météorologiques, sont parvenues à exécuter l’ensemble des tâches qui leur furent assignées - a vaincu toutes les barricades amassées sur un parmi les plus difficiles terrains de montagne e et a réussi par sa brillante action d’occuper les positions bulgares sur un front de 12 kilomètres en faisant 1.700 prisonniers de guerre et en capturant un important équipement militaire». Général Adolphe Guillaumat, Commandant en chef des forces alliées, Front d’Orient (Thessalonique), Communiqué N° 71.
«Χάρις εἰς τήν ἀπαράμιλλον ἀνδρείαν καί τήν ὑπέροχον αὐτοῦ ὁρμητικότητα, τό Ἑλληνικόν πεζικόν τοῦ Στρατηγοῦ Ζυμβρακάκη - ἐν στενῷ συνδέσμῳ μετά τοῦ πυροβολικοῦ καί τῆς ἀεροπορίας ἅτινα, παρά τάς δυσμενεῖς καιρικάς συνθήκας, ἐπέτυχον νά ἐκτελέσωσιν ἁπάσας τάς ἀποστολάς αὐτῶν - ὑπερενίκησεν ἅπαντα τά ἐφ’ ἑνός τῶν πλέον ἀνωμάλων ἐδαφῶν συσσωρευθέντα ἐμπόδια καί ἐπέτυχε τήν διά περιλάμπρου ἐνεργείας κατάληψιν τῶν Βουλγαρικῶν θέσεων, ἐπί μετώπου 12 χιλιομέτρων, συλλαβόν πλέον τῶν 1.700 αἰχμαλώτων καί κυριεῦσαν σημαντικόν πολεμικόν ὑλικόν». Στρατηγός Γκυγιωμά, ἀρχιστράτηγος τῶν συμμαχικῶν δυνάμεων.

En-tête

   « La victoire de Skra est aussi glorieuse que la prise de Mort-Homme avant Verdun »…

 

Général Adolphe GUILLAUMAT

Commandant suprême des forces alliées du front d’Orient

Le général Emmanuel Zymvrakakis.
Prisonniers de guerre bulgares accompagnés par des Evzones.
Le Skra di Legen vu de la Crête Violette.
Monument sur le champ de la bataille.
Monument sur le champ de bataille.
Tombeau du major Vassilios Papagiannis.
Monument aux soldats morts pour la patrie.

Commentaires

21.04 | 19:00

trop top..... on va dans la region cet été… merci à vous...

13.01 | 15:03

God save the queen

08.01 | 17:39

Grand merci pour la leçon d'histoire.
Nguyen Van Kiet

29.09 | 15:00

remarquable de précisions et donne l'idée générale de la ruse de guerre pour mieux répartir ses forces.