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PARTIE III-TRAITÉS-DE SÈVRES Á LAUSANNE
Franco-Turkish Pact of 20 October 1921(Treaty of Ankara). Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Treaty_of_Ankara
LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE "REPÈRES CHRONOLOGIQUES DÉTAILLÉS"
DOC AA-20 FR-07-2015 PARTIE III : DU TRAITÉ DE SÈVRES AU TRAITÉ DE LAUSANNE 1.
LES TRAITÉS INTERMÉDIAIRES (par ordre chronologique) Années 1920 - 1922 1 novembre 1920 :élections législatives grecques. Elles se déroulent quelques jours après la disparition inattendue du roi Alexandre Ier de Grèce (cf. supra). Elles
prennent rapidement l'apparence d'un affrontement entre venizélistes, favorables à la poursuite du conflit contre la Turquie de Mustafa Kemal, et royalistes partisans d'une paix rapide. Elles aboutissent à une victoire éclatante
des monarchistes partisans de la restauration de Constantin Ier (à qui les Alliés n’ont pas pardonné son attitude germanophile durant la Première Guerre mondiale). Suite à un référendum truqué organisé
début décembre 1920, le roi revient de l’exil le 19 décembre 1920. Les Français et les Italiens profitent de ce changement politique à la tête du pays pour retirer leurs soutiens à la Grèce, qui
ne peut plus désormais compter que sur l'appui britannique. Le nouveau roi veut néanmoins un succès en Anatolie et poursuit la guerre contre la Turquie Kémaliste soutenue désormais à la fois par les Français,
les Italiens et les Soviétiques. Avant cela, il prend soin d'épurer l'armée de tous les officiers partisans de Venizélos pour les remplacer par des monarchistes. Mais ces derniers sont pour la plupart sans expérience du combat,
contrairement aux officiers venizélistes vétérans de la Grande Guerre. Le roi a beau se rendre en Anatolie en 1921 pour y soutenir le moral des troupes hellènes, mais il n’est plus le commandant en chef dynamique qui a mené
son pays à la victoire pendant les guerres balkaniques de 1912-1913. Gravement diminué par la maladie, le roi Constantin doit retourner en Grèce en septembre 1921, après la bataille de Sakarya (14 août - 13 septembre 1921)
et le retrait des forces grecques sur la ligne Eskişehir-Afyonkarahisar. 2
décembre 1920 : Traité d'Alexandropol. Il est signé entre la République démocratique d'Arménie et les Turcs à Alexandropol (l'actuelle Gümrü).
Il met fin à la guerre arméno-turque à l’issue de laquelle l’Arménie indépendante fut écrasée par une attaque combinée des Bolcheviks, des Turcs et des Tatares, et - tout en tombant sous le
régime soviétique - elle dut céder à la Turquie, les deux tiers de son territoire. Le traité d'Alexandropol remplace le traité de Batoum signé le 4 juin 1918 et a été rendu caduc par le traité
de Kars du 13 octobre 1921, signé après que l'Arménie (une partie des territoires habités par des arméniens) a été intégrée à la Russie soviétique. 9 - 11 janvier 1921 : 1ère Bataille d'İnönü (Front d’Anatolie).
Les troupes grecques commandées par le général Papoulas devaient attaquer les troupes turques commandées par Ismet-Pacha, retranchées dans la gare d'İnönü. Au début victorieux, les Grecs repoussèrent
les Turcs qui étaient sur le point d'abandonner Eskişehir, quand Papoulas décide d’abandonner et de se retirer. Il s'agit là d'une confrontation mineure, qui n'implique qu'une seule division grecque. Cependant, cet affrontement a
eu une signification politique majeure dans la mesure où il constitua la première victoire des révolutionnaires turcs. Février 1921 : Lénine envahit la Géorgie et ce, en violation du traité solennel russo-géorgien du 7 mai 1920, par lequel les Soviets avaient reconnu l’indépendance
de la Géorgie. Le gouvernement kémaliste d’Angora intervint dans la lutte aux côtés des Bolcheviks et se vit attribuer en conséquence Ardahan, Artvin et une partie du district de Batoum, tandis que le reste de la Géorgie
devenait une République soviétique. 12 février - 12 mars 1921 :
1ère conférence diplomatique des Alliés à Londres après la fin de la Grande Guerre [1]. Les Puissances se déclarent neutres (!) face au conflit qui oppose
la Grèce à la Turquie concernant la mise en œuvre des conditions imposées à la Turquie par le traité de Sèvres. 9 mars 1921 : suite à l’échec de la Conférence de Londres, Aristide Briand rompe l’Entente et conclut un premier accord
avec le Gouvernement de Mustafa Kemal (accord séparé Briand-Békir Sami). Le même jour, le Traité de Paix de Cilicie fut signé entre la France et le Mouvement National Turc pour mettre un terme à la Campagne
de Cilicie. Renonçant au traité de Sèvres, moins de six mois après sa signature, dans l'espoir de préserver ses intérêts financiers en Turquie, le gouvernement français d’Aristide Briand
(à la suite d'une campagne de presse anti-britannique), se tourne en faveur du mouvement nationaliste turc. La signature de ce traité est d’une portée politique considérable car il légitime le régime de Mustafa
Kemal en tant qu’interlocuteur au niveau diplomatique international. En échange de quelques concessions économiques et commerciales nébuleuses, la France accepte la rectification de la frontière fixée à Sèvres
entre la Syrie et la Turquie et elle abandonne la Cilicie [2]. Cela aura un effet dévastateur sur les Grecs qui se battent contre les Turcs en Anatolie, mais aussi sur les Arméniens survivants
du génocide de 1915-16 qui doivent sortir précipitamment de la Cilicie sous peine de subir un nouveau massacre. Ayant obtenu ce qu’ils voulaient de la part des Français, les Turcs ne se précipiteront pas d’appliquer
cet accord qui ne sera ratifié par la Grande Assemblée nationale d’Angora, les Turcs cherchant à obtenir de la France davantage de concessions. Ils obtiendront gain de cause
par la signature un an et demi plus tard de l’Accord franco-turc d'Angora du20 octobre 1921 (cf. infra). 12 mars 1921 : en même temps et dans le même esprit, l'Italie conclut aussi un accord séparé avec la Turquie pour obtenir des concessions
minières et commerciales (accord séparé Sforza-Békir Sami) [3]. Cette coïncidence démontre l’existence d’une certaine connivence entre la France
et l’Italie qui partagent désormais les mêmes intérêts politiques et économiques en Asie-mineure au détriment de leur alliée la Grèce, qui se bat en Anatolie contre la Turquie, qui fut leur ennemi
durant la Grande Guerre !!! Comme preuve de la perfidie ottomane et pour la grande déception des Italiens, l’accord italo-turc ne fut pas ratifié davantage par la Grande Assemblée nationale
d’Angora que l’accord turco-français… 16 mars 1921
: l'Angleterre et la Turquie échangent des prisonniers de guerre. Les députés Turcs détenus à Malte sont libérés. 16 mars 1921 : Accord commercial conclu entre la Grande Bretagne et les Soviets. Cet accord (signé à Londres par Leonid Krassine au nom du gouvernement
soviétique et Robert. Horne, du «Board of Trade», au nom du gouvernement britannique) était une convention de commerce («trade agreement»), mais il avait aussi une grande portée politique, car
il était expressément subordonné à la condition de la cessation de toute action ou propagande hostile d’une des parties contre l’autre [4]. En ce faisant, les Britanniques
rompent aussi avec l’Entente et légitiment le régime communiste de Lénine, allié de Mustafa Kemal qui combat les Alliés en Asie-mineure. 16 mars 1921 : Accord turco-soviétique de Moscou (accord Tchitchérine-Youssef Kémal Bey). Il stipule
un retour aux frontières de 1877, c’est-à-dire aux frontières d’avant la guerre russo-ottomane de 1877-1878 (désastreuse pour les Ottomans) qui avait abouti à une occupation par les Russes d’un vaste territoire
au Nord-Est de l’Anatolie. Il confirme le partage de l’Arménie entre la Turquie et les Soviets. Lénine rompe avec la politique des Tsars qui voulaient occuper Constantinople et reconnaît la pleine souveraineté turque
sur les Détroits [5]. 16
mars 1921 : Traité conclu entre la Turquie et l'Ukraine soviétique basé sur le bon voisinage de la Mer noire. 26 - 31 mars 1921 : Seconde Bataille d'İnönü (front d’Anatolie). La bataille a débuté avec l'assaut de troupes grecques sur les positions
des troupes turques commandées par Ismet-Pacha le 26 mars 1921. Les Grecs, mieux équipés, repoussèrent les Turcs et prirent la colline d'İnönü le 27 mars. Une contre-attaque turque dans la nuit échoua. Le 31 mars,
les Turcs réussissent cependant à reprendre la colline. Au terme de la bataille, l'armée grecque sonna la retraite en bonne ordre. Suite à cette victoire turque, Ismet-Pacha changea son nom en İsmet İnönü. Il devint le
successeur de Mustafa Kemal dit Atätürk en 1938. 3 mai 1921 :
un vent glacial venu d’Anatolie fait voler de la poussière dans les assiettes du gouvernement Briand. En fait, la Grande Assemblée Nationale de la Turquie annule l'accord franco-turc du 9 mars 1921. La France persiste dans la voie de chercher
un accord bilatéral avec la Turquie kémaliste, même si cela porte préjudice à ses alliés Arméniens qui fuient les Turcs et Grecs qui se battent contre les Turcs en Anatolie. Alors commence une nouvelle étape
de visites réciproques et de nouveaux contacts diplomatiques entre Paris et Angora qui furent couronnés par la signature de l'accord franco-turc d'Angora (Ankara) le 20.10.1921, (cf. infra). 9 juin 1921 : le croiseur grec «Kilkis» bombarde le port turc d'Inebolu sur le littoral de la mer Noire,
principale porte d'accès de la Turquie kémaliste et lieu de passage obligé des armes et des munitions envoyées par la Russie soviétique au gouvernement d'Ankara.. Début des massacres et déportations
des Grecs pontiques. 12 juin
1921 : le roi Constantin 1er de Grèce arrive à Smyrne et il se rend au Front d’Anatolie. 27 juin - 20 juillet 1921 : Bataille d'Afyonkarahisar-Eskişehir. L'armée grecque, considérablement renforcée, défait les troupes turques commandées
par Ismet Inönü. La confrontation, qui a lieu sur une immense ligne de front s'étendant aux points stratégiques d'Afyonkarahisar, Eskişehir et Kutahya, aboutit au retrait des Turcs. Les Grecs réussissent une percée, ils
s'emparent le 17 juillet de Kütahya et avancent sur Eskisehir. Les Turcs contre-attaquent le 21 juillet, mais c'est un échec. Afyonkarahisar est abandonné aux Grecs le 23 juillet. Mais le gros des forces turques du secteur nord parviennent
cependant à éviter l'encerclement et organisent un retrait stratégique à l'est du fleuve Sakarya. Les Grecs, dont le moral vacillant est revigoré par la victoire, sont désormais aux portes d'Ankara. 23 août - 13 septembre 1921 : Bataille de la Sakarya. L’avance grecque est
reprise dès le 10 juillet et balaie toute opposition turque. Le 2 septembre, elle atteint le Chal Dag, une montagne des environs d’Ankara. L’affrontement décisif se produit lorsque l’armée hellène tente de prendre
Haymana, située à 40 kilomètres au sud d’Ankara. Les combats sont très violents et certaines hauteurs changent de mains à plusieurs reprises. Les Grecs continuent à avancer. Kemal envisage alors de préparer
une nouvelle ligne de défense dans les faubourgs d'Ankara et donne l'ordre de défendre chaque mètre de terrain. Mais Papoulas craint d'aller plus en avant et demande donc au roi de cesser l'attaque le 12 septembre. Les combattants sont
en effet épuisés par la férocité des combats. Les Grecs sont également en butte à des graves problèmes de ravitaillement en raison de l'éloignement de leur base de départ et les soldats commencent
à manquer de nourriture, d’eau et de munitions. Papoulas ordonne le repli des troupes et les Grecs parviennent sans difficulté, à retourner sur leur position de départ. 21 septembre 1921 : la deuxième Assemblée de la Société des Nations (SCN) vote, à l’unanimité,
une résolution en faveur d’un «Foyer national arménien» entièrement indépendant de la domination ottomane. Septembre 1921 - août 1922 : impasse sur le front gréco-turc en Anatolie. Les Grecs renforcent leurs positions défensives, mais leur moral est atteint par le manque
d'activité, les difficultés de ravitaillement et la prolongation de la guerre dont le coût devient insupportable pour le pays. Le général Papoulas démissionne au profit du général Georges Hatzianestis,
un incapable qui commande depuis un navire ancré dans la rade de Smyrne. Il change d’objectif stratégique et tente de prendre Constantinople occupée par des troupes franco-britanniques. Il dégarnit donc son front en Anatolie
pour envoyer trois régiments en Thrace où l'armée grecque marche sur Constantinople. Mais les Français et les Britanniques ne veulent pas céder la ville à la Grèce, renforcent leurs garnisons et obligent les
forces grecques à se retirer. En Anatolie 225.000 soldats grecs s’opposent aux 208.000 combattants turcs. Si les Grecs sont mieux équipés, les Turcs ont l'avantage dans le domaine de l'artillerie lourde et surtout ils possèdent
une cavalerie plus importante. Les Grecs tiennent alors un front de 640 km englobant le nord-ouest de l'Anatolie de Gemlik sur la mer de Marmara aux positions à l'est d'Eskisehir, Kütahya et Afyonkarahisar, où le front tourne au sud-ouest
le long de la vallée de Menderes jusqu'à la mer Égée. L'armée grecque est organisée en 3 corps d'armée, le 3ème au nord, le 2ème au centre et le 1er au sud. Mais,
le front est trop long et ne comporte qu’une seule ligne défensive, ce qui met en péril l’ensemble du corps expéditionnaire grec en cas de percée ennemie (et ceci fut le cas). L’armée grecque restera quasiment
inactive sur la ligne défensive pendant une année, dans la vaine attente d’une solution politique du conflit qui ne viendra pas en conséquence de la défection des alliés occidentaux de la Grèce qui soutiennent
désormais la Turquie, alors que pendant ce temps l’armée turque sera considérablement renforcée par des nouveaux recrutements et l’arrivée massive d’armements en provenance de la Russie soviétique,
de la France et de l’Italie (suite à leurs accords conclus avec la Turquie de Mustafa Kemal), (cf. infra). 13 octobre 1921 : Traité turco-soviétique de Kars [6]. Dans la première partie du traité,
la Russie reconnaît de fait la supériorité des décisions turques sur les conventions internationales et principes adoptés par la SDN. Dans la deuxième partie, il est question de la mer Noire et des détroits.
A la page 8 du document, la Russie reconnaît comme faisant partie des «territoires turcs» la zone contrôlée par les forces kémalistes en mars 1921. 20 octobre 1921 : Accord franco-turc d'Angora (ou accord Franklin-Bouillon)[7]. L’accord du 09.03.1921 n’ayant pas été ratifié par les Turcs, ceux-ci obtiennent de nouveaux avantages par l'accord
franco-turc d’Angora, signé par le Ministre des Affaires étrangères du gouvernement de la Grande Assemblée nationale de Turquie Yusuf Kemal Tengirşenk et le plénipotentiaire du gouvernement français Henry
Franklin-Bouillon, le 20 octobre 1921 [8]. En échange de quelques avantages économiques et commerciaux douteux, la France accepte de céder la Cilicie aux Turcs, ce qui déclenche
une panique aux populations chrétiennes notamment arméniennes qui redoutent la vengeance turque après que le pays aurait été évacué par les Français [9].
Le départ français est terminé début janvier 1922 et, à cette date, la presque totalité des Arméniens de Cilicie (estimée à 300.000 âmes) - ne se fiant pas aux promesses du gouvernement
d’Angora et non plus aux appels des autorités françaises de rester sur place - suit à l’afflux des réfugiés fuyant les Turcs d’autres régions d’Anatolie. Ils seront accueillis par la France
(en Syrie), la Grèce et quelques autres pays. 30 octobre 1921 : la France renonce à son mandat en Cilicie et ne conserve que le Sandjak d'Alexandrette, à la frontière syrienne.
Dans le même temps, les Italiens renoncent au territoire d'Adalia (Antalya), en échange de concessions minières dans cette région. Mais ces concessions ne seront pas honorées ! Début novembre 1921 : la Cilicie connaît un exode massif de populations, essentiellement d’Arméniens,
de Grecs, de Syriaques, de Chaldéens et même d’Arabes alawis. Les autorités civiles et militaires françaises tiennent des discours apaisants et tentent de persuader ces populations de rester sur place (voire même de les
empêcher de partir !) en les assurant que «le gouvernement français a fait le nécessaire pour sauvegarder les droits des minorités». Ces assurances ne valaient pas grande chose car l’accord franco-turc
du 20.10.1921 ne comportait en réalité aucune clause garantissant de façon tangible les droits des minorités non-turques en Cilicie. Méfiantes, les populations chrétiennes n’ont pas cru à ces fausses assurances
et ont suivi les troupes françaises dans leur retraite vers la Syrie qui fut achevée le 04.01.1921. Mars 1922 : Conférence orientale de Paris. Y participèrent les ministres des affaires étrangères de France (Raymond Poincaré), de Grande-Bretagne (Lord George Curzon) et d’Italie (Carlo Schanzer).
Les trois, ministres proposèrent, le 22 mars, aux Turcs et aux Grecs les conditions d’un armistice qu’ils firent bientôt suivre, le 26, de propositions de paix. Ces propositions de paix marquèrent de la part des Puissances un
nouveau rapprochement vers les revendications turques [10]. Mais Mustafa Kemal, sentant qu'il jouit désormais de l'avantage stratégique, refuse tout accord tant que les Grecs sont encore
présents en Asie mineure et intensifie ses efforts pour réorganiser l'armée turque. Pour l'historien Malcolm Yapp : «Après l'échec des négociations de mars, la marche à suivre évidente était,
pour les Grecs, de se retirer vers une ligne défensive autour d'Izmir mais, à ce moment-là, la déraison a commencé à diriger la politique grecque ; les Grecs sont restés sur leurs positions et ont même
planifié de s'emparer d'Istanbul, projet qui a cependant été ensuite abandonné en juillet du fait de l'opposition des Alliés». 26 août 1922 – 9 septembre 1922 : contre-offensive générale turque sur le front d’Anatolie. Le 26 août un tir de barrage
se concentre sur le secteur sud d'Afyonkarahisar. Les combats sont acharnés et les positions changent plusieurs fois de mains. Les Turcs progressent, mais ne réussissent pas à percer. Le 27 août, le 4ème corps de la 1ère
armée commandé par le colonel Kemalettin Sami perce enfin les lignes ennemies et prend le pic d'Erkmentepe haut de 1.650 mètres. La cavalerie de Fahrettin trouve quant à elle un passage dans les montages et apparaît derrière
les lignes grecques. Ayant perdu le bastion montagneux qui couvre son flanc droit, le général Trikoupis commandant la 1ère armée bat en retraite d'Afyonkarahisar pour rejoindre la plaine. Deux divisions du général
Frangou se retirent alors vers l'ouest et perdent ainsi le contact avec le 1er corps. Les communications sont coupées avec l'arrière et Smyrne et le général Hatzianestis (dont l'État-major était installé à
Smyrne, soit à 600 km du front), ordonne une contre-offensive, alors que seule une retraite en bon ordre peut encore sauver l'armée. Les 1er et 2ème corps grecs se trouvent alors autours de Doumloupinar une petite
ville dans une vallée étroite qui contrôle la voie ferrée d'Afyonkarahisar à Smyrne. La 1ère armée turque arrive par le sud et l'ouest, la 2ème par le nord, tandis que la cavalerie arrive par l'ouest pour
encercler les Grecs. Mais ces derniers peuvent compter sur une division et sur le 3ème corps grecs qui sont toujours intacts et qui, au nord, menacent le flanc droit turc. Malgré ce danger les Turcs décident néanmoins d'encercler
Doumloupinar, tandis que des forces plus faibles doivent harceler les Grecs au nord. Le 30 août, soumis aux tirs d'artillerie et aux charges de l’infanterie turque, les Grecs sont défaits. Les 1er et 2ème corps de Trikoupis et Dighenís
essayent de s'échapper au nord-ouest par les pentes nord du Murat Dagi, mais ils sont alors détruis en tant que forces combattantes, tandis que les soldats qui échappent à la capture veulent fuir l'Anatolie. Le 2 septembre, les
Turcs reprennent Eskisehir. Dans le nord, le 3e corps grec se prépare à battre en retraite jusqu'à la mer de Marmara. Les Turcs décident de faire poursuivre les unités grecques en retraite afin de les empêcher de former
une nouvelle ligne de défense avec des renforts venus de Thrace. Les 2 et 3 septembre les généraux Trikoupis et Dighenís tombent dans un piège en descendant les pentes du mont Murat et ils se rendent avec 5.000 hommes et
500 officiers. Ironiquement, le général Tricoupis apprend, peu de temps après, qu'il a été nommé commandant-en-chef à la place du général Hatzianestis. Le moral grec s'effondre. Le gros des forces
grecques réussit malgré tout à atteindre la cote égéenne. Le 5 septembre une nouvelle division débarque à Smyrne pour aider à tenir la ville face aux Turcs, mais les soldats se mutinent. Le 6 et le 7
septembre, l'armée de Kemal s'empare de Balikesir, Bilecik et Aydin. La situation est désespérée pour l'armée grecque qui abandonne Nif, qui commande la dernière trouée de la barrière de montagne à
l'est de Smyrne, pour se diriger vers la péninsule d'Urla au sud-ouest de la ville afin d'être évacuée d'Anatolie. 9 septembre 1922 : en Grèce, le gouvernement démissionne, tandis que la cavalerie turque entre dans Smyrne. Les quartiers grecs et arméniens de la ville furent incendiés
et pillés, alors que les quartiers turcs et juifs sont restés indemnes. L'objectif de Noureddine-Pacha, un des proches de Mustafa Kemal, commandant des forces turques dans le district de Smyrne, est en effet l'extermination
des populations chrétiennes smyrniotes et ses instructions sont largement suivies. De nombreux Grecs et Arméniens réfugiés dans la ville sont ainsi atrocement massacrés par l'armée turque. Le métropolite orthodoxe
Chrysostome de Smyrne, qui a refusé de s'enfuir avec les troupes grecques, est lynché en place publique devant les yeux d’une patrouille française qui ne fera rien pour le sauver. Ses oreilles, son nez et ses mains sont
alors coupés, tandis qu'il est énucléé avec un couteau. Son cadavre écartelé fut trainé jusque au quartier turc où il fut livré aux chiens. Les assaillants turcs n’épargnent même
pas les résidents étrangers. Des nombreuses sources rapportent des scènes épouvantables d’agressions d’infirmières françaises de la Croix-Rouge, des Britanniques retraités, des italiens commerçants,
etc. Les chrétiens affolés cherchent à trouver refuge sur des navires grecs encore présents dans les ports de la côte égéenne parce que les bateaux étrangers (il y en avait 21), qui ont reçu l'ordre
de leurs gouvernements de rester neutres, refusent tous - à l'exception d’un bateau japonais - de prendre à leur bord des réfugiés. De très nombreuses personnes se noient en essayant d'utiliser les petits bateaux de
pêche pour embarquer à bord des navires présents, ou pour aller au large. Les navires européens au large refusent les réfugiés qui tentent de les accoster. Il y eu même des cas où les équipages des
bateaux alliés frappaient depuis les ponts à coup de bâton les mains des malheureux qui s’y accrochaient pour se sauver du massacre (!) Selon le «Times» de Londres : «Les autorités
turques déclarent franchement que c’est leur intention délibérée de laisser tous les Grecs mourir, et leurs actions vont dans le même sens que leurs déclarations». Le correspondant du «Times»
télégraphiait de Constantinople le 16 septembre qu’«un détachement naval anglais, qui gardait l'usine à gaz, assista au viol, en pleine rue, de plusieurs femmes grecques par des soldats turcs. Les marins anglais
ne purent pas intervenir, ayant reçu l'ordre formel de s'abstenir de toute action en dehors de la surveillance des gazomètres» [11]. Le «Belfast News Letter»
écrit : «L’effroyable histoire de barbarie et de cruauté qui est mise en œuvre par les Turcs d’Angora fait partie d’une politique systématique d’extermination des minorités chrétiennes
d’Asie Mineure». Il est estimé que plus de 100.000 chrétiens (chiffre probablement sous-estimé vu l’étendue des destructions et des massacres) ont péri dans des conditions atroces suite à la
prise de la ville par les nationalistes turcs. À la suite de ces massacres, certains députés du parlement turc demandent que Noureddine-Pacha soit condamné à mort et il est décidé de le juger. Cependant, le
procès est ensuite révoqué par l'intervention de Mustafa Kemal. Mais, la partie la plus terrifiante et la plus abominable des massacres turcs fut l’élimination de tous les Grecs et Arméniens de l'intérieur et
des côtes de l'Asie-mineure occidentale, sans distinction de sexe ni d'âge, par la méthode système infernal de la captivité civile. Elle consistait d’arrêter tous les hommes valides, entre 17 et 47 ans, pour les
déporter dans l'intérieur de l'Asie Mineure et les y tenir en état de captivité jusqu'à la fin des hostilités. Les prisonniers étaient conduits vers l’intérieur par lots de 3.000 à 4.000
personnes au prix de marches forcées épuisantes, pendant lesquelles la majorité d’eux succombait au mauvais traitement ou ils étaient vendus pour une ou deux livres turques à la populace ivre du sang chrétien
et désireuse de mettre en morceaux un «kiafir», c'est-à-dire un infidèle. Il n’y a aucun doute que la responsabilité primordiale de tous les crimes accomplis par les Turcs à la suite de leur entrée
à Smyrne revient à Moustafa Kemal et à ses troupes, commandées par Noureddine Pacha. Mais il y a aussi la responsabilité des gouvernements européens de l'époque, des politiciens, intellectuels, journalistes,
etc. turcophiles (tels que Millerand, Franklin-Bouillon, Pierre Loti…), qui ont toléré et facilité ces crimes par leur passivité, voire la complicité. Il y a enfin la responsabilité de la délégation
grecque à la Conférence de Lausanne, conduite par Venizélos, dont le traitement de la question spécifique du massacre des prisonniers civils chrétiens par les Turcs a été manifestement insuffisant. Ces crimes
resteront donc impunis et seront vite oubliés par les politiciens aussi bien grecs (Venizélos proposera Mustafa Kemal pour le prix Nobel de la paix en 1930 !!!) qu’occidentaux (admission de la Turquie au sein de la SDN en 1932).
11 septembre – 28 novembre 1922 : coup d'État orchestré
par les colonels Nikólaos Plastíras et Stylianós Gonatás. Le coup d’État réussit, ce qui oblige le roi Constantin à abdiquer le 24.09.1922 et à quitter la Grèce le 30.09.1922. La
population et l'armée dans sa grande majorité exigent le châtiment des responsables de la défaite (kátharsis). Le 25.10.1922, un tribunal d'exception est mis sur pied pour juger les militaires et les hommes politiques
considérés comme responsables de la défaite. Le 06.11.1922, huit inculpés sont renvoyés devant le Tribunal militaire pour haute trahison. Le procès débouche sur la condamnation à mort des anciens Premiers
ministres Petros Protopapadakis, Nikólaos Stratos et Dimitrios Goúnaris et des généraux Georgios Baltatzis, Nikólaos Theotokis et Georgios Hatzianestis, qui seront fusillés à Goudí (campement militaire
dans la banlieue d’Athènes) le 28.11.1922. 2 décembre 1922 :
ouverture devant le Tribunal militaire du procès du prince André, frère du roi Constantin 1er. En tant que commandant du 2ème Corps d'armée en Asie-mineure, il est accusé d'avoir «reçu
l'ordre, le 27 août 1921, d'aller au combat, d'avoir refusé d'obéir face à l'ennemi, son refus formel ayant été enregistré dans le rapport militaire sous le numéro 1491.27.8.21, et d'avoir commandé
à ses hommes de faire mouvement dans une autre direction». Ce refus de combattre avec abandon d'une position de la part d'un officier supérieur a mis en difficulté le 3ème corps d'armée au moment où
les Turcs lançaient une contre-attaque durant la bataille de la Sakarya, et a obligé l'armée grecque à reculer. Déclaré coupable, le prince André était passible pour ce crime de la peine de mort. Le Tribunal
lui a infligé cependant une peine de bannissement à vie en raison «de sa totale inexpérience du commandement d'unités supérieures et des circonstances dans lesquelles il se trouvait». Cet adoucissement
de la sanction s'explique par le contexte politique de ce procès : Plastiras aussi bien que Venizélos savaient l'intérêt que la Grande-Bretagne accordait au sort du prince André. C'est ainsi que l'amiral britannique Gerald
Talbot se chargea d'accompagner le prince déchu sur le chemin de l'exil. Il est décédé le 03.12.1944 à Monte-Carlo. Notes de bas de page
[1] La Conférence de Londres se réunit le 21 février 1921, sous la présidence de Lloyd George, pour s’occuper
des affaires allemandes et du problème oriental. Durant cette Conférence, les représentants des gouvernements anglais, français, italien et japonais entendirent à plusieurs reprises les délégations de la Grèce
et de la Turquie, ainsi que celle des Arméniens. Exploitant avec habileté l’état d’âme des puissances, anxieuses d’aboutir à la paix générale le plus tôt possible, la délégation
turque développa un programme réalisant toutes les revendications du Pacte national de Mustafa Kémal. D’après un document qui fut lu, à la séance du 24 février, par le représentant d’Angora,
Békir Sami Bey, la Turquie réclama en Europe les frontières de 1913, donc la restitution de toute la Thrace orientale. Aux termes du même document, elle demanda que la frontière méridionale de l’Asie Mineure fût
déterminée par la ligne qui sépare celle-ci des contrées habitées par une majorité arabe, ligne qui devrait être délimitée d’un commun accord entre la Turquie et les parties intéressées
: la Cilicie et les localités habitées par les Turcs, situées au Nord de cette ligne, ainsi que Smyrne et tous les territoires occupés par les Grecs, seraient par conséquent évacués ; quant à la frontière
orientale de la Turquie d’Asie, elle devait suivre la ligne frontière turco-persane, puis celle fixée par le traité entre les gouvernements d’Angora et d’Erivan. La Turquie prétendit en outre au maintien de sa
pleine souveraineté sur les territoires ainsi délimités. Elle insista sur le respect de cette souveraineté dans le règlement futur de la question des Détroits, tout en acceptant la démilitarisation de ceux-ci
et l’institution d’une Commission internationale de surveillance. Elle invoqua encore cette même souveraineté en matière judiciaire pour l’élaboration prévue d’un projet de réforme judiciaire
par une Commission composée de juristes étrangers et ottomans. Enfin elle demanda une indépendance complète financière et économique et elle ne consentit à une protection des minorités de race, de religion
et de langue que suivant les mêmes règles que celles consacrées par les traités de Saint-Germain, de Neuilly et de Trianon. La délégation turque appuya ses revendications territoriales en ce qui concerne Smyrne et la
Thrace par des statistiques qui furent contestées par la délégation grecque. En présence de ces divergences, le 25 février, les Puissances proposèrent aux belligérants de soumettre la question de la population
de ces deux zones à l’arbitrage d’une Commission internationale d’enquête et à accepter les autres clauses du traité de Sèvres maintenues sans modifications. La délégation turque s’empressa
d’accepter la proposition de l’enquête, dont le principe même ébranlait l’édifice construit à Sèvres, et se réserva un recours à Angora pour les conditions accompagnant cette proposition.
Le 12 mars les Alliés proposèrent aux délégations grecque et turque un règlement apportant au traité de Sèvres des modifications considérables en faveur de la Turquie, à savoir : Les zones démilitarisées
des Détroits, inaccessibles aux forces militaires turques, seront réduites. L’exercice des droits de souveraineté par le gouvernement hellénique sur Smyrne sera limité, le gouverneur du vilayet chrétien devant
être nommé par la Société des Nations. Les Grecs restent en possession de la Thrace. En promettant l’évacuation de Constantinople par les Alliés, les puissances la font dépendre de la bonne foi des Turcs
dans l’exécution du règlement. L’autonomie du Kurdistan est maintenue. Enfin, «en ce qui concerne l’Arménie, les stipulations présentes pourront être ajustées, à condition que la Turquie
reconnaisse les droits des Arméniens turcs à un Foyer national sur les frontières orientales de la Turquie en Asie et consente à accepter la décision d’une Commission nommée par le Conseil de la Société
des Nations en vue d’examiner sur place la question du territoire qu’il serait équitable de transférer, dans ce but, à l’Arménie». Donc, il n’était plus question, dans le projet allié,
de l’Arménie «État libre et indépendant» du traité de Sèvres (art. 88) dont, en vertu de l’article 89 du même traité, le Président des États-Unis d’Amérique
venait de déterminer les frontières avec la Turquie. Le 6 janvier 1923, à la séance de la sous-commission des minorités de la Conférence de Lausanne, le Président de cette sous-Commission et délégué
de l’Italie, M.de Montagna, déclara que «le terme de Foyer national n’avait pas compris, même dans le passé, l’idée de l’autonomie». Dans son rapport qu’il adressait, le 7 janvier
1923, à Lord Curzon, Président de la première Commission, M. de Montagna évita le terme même de Foyer national. Enfin, le procès-verbal n° 19 de la Commission des questions territoriales et militaires de la Conférence
de Lausanne (séance du mardi 9 janvier 1923) contient ce passage : «En ce qui concerne les Arméniens, lord Curzon ne dira que quelques mots, car cette question a déjà été traitée avec beaucoup
de talent par M. de Montagna qui a montré que la proposition d’organiser un Foyer national n’impliquait nullement l’intention de porter atteinte à la souveraineté turque, de créer un État dans l’État
ou de constituer un régime autonome».La Conférence de Londres finit, d’ailleurs, par un échec. En remettant le projet des Alliés aux Grecs et aux Turcs, le Président de la Conférence, Lloyd George,
leur déclara que les propositions actuelles formaient un tout et qu’elles se substituaient à toute proposition faite antérieurement. Aucune des Délégations n’ayant pu accepter ces propositions sans en référer
à son gouvernement, la partie orientale de la Conférence de Londres se termina sur cette offre des Alliés, qui n’eut point de suites. [2] Du point de vue territorial, la France, mandataire en Syrie, consentait, par cet accord, à une réduction considérable des limites de ce pays fixées par le traité
de Sèvres. Elle abandonnait, en effet, à la Turquie toute la vallée inférieure du Djihoun et tout le fond du golf d’Alexandrette et les territoires se trouvant au Nord du chemin de fer de Bagdad, depuis Tchoban-Bey jusqu’à
Nissibin. En d’autres termes, la Turquie récupérait toute la Cilicie avec les débouchés donnant accès à la Syrie et la majeure partie des «Confins militaires» créés au Nord du gouvernement
d’Alep, avec les villes de Aïntab, de Biridjik, d’Ourfa, de Mardin, etc. Ces Confins, qui d’après la paix de Sèvres avaient une superficie de 48.200 kilomètres carrés peuplés de 800.000 habitants, étaient
désormais réduits par l’accord de Londres à 26.000 kilomètres carrés peuplés de 25.000 habitants seulement. Les avantages que la France escomptait tirer de l’accord de Londres étaient d’ordre
économique. En effet, le paragraphe G de l’accord stipulait une «collaboration économique franco-turque, avec droit de priorité pour les concessions à accorder en vue de la mise en valeur et du développement
économique de la Cilicie, des régions évacuées par les troupes françaises, ainsi que des vilayets de Mamuret-el-Aziz, Diarbékir et Sivas, dans la mesure où cela ne serait pas effectué directement par
le gouvernement ottoman ou les ressortissants ottomans à l’aide de capitaux nationaux». Ce paragraphe stipulait également la «concession à un groupe français des mines d’Argana-Maden»
et «l’association la plus large possible des capitaux ottomans et français (pouvant aller jusqu’à 50% du capital ottoman)». Le paragraphe K enregistrait en même temps le «transfert à un
groupe français de la section du chemin de fer de Bagdad entre les Portes de Cilicie et la frontière de Syrie». À ces dispositions politiques
et économiques, l’accord de Londres joignait des dispositions ayant pour but de sauvegarder les intérêts des populations après le départ des troupes françaises (art. D). L’accord mentionnait en outre : le
«désarmement des populations et des bandes armées d’accord entre les commandements français et turc» (art. B) ; la «constitution de forces de police (en utilisant la gendarmerie déjà formée)
sous le commandement turc, assisté d’officiers français mis à la disposition du gouvernement turc» (art. C) ; une «amnistie politique entière et le maintien en fonctions du personnel administratif cilicien»
(art. E) ; enfin «l’engagement de protéger les minorités ethniques, de leur garantir l’égalité absolue des droits à tous égards et de tenir compte, dans une mesure équitable, de la quotité
des populations pour l’établissement, dans les régions à population mixte, d’un équilibre pour la constitution de la gendarmerie et de l’administration municipale» (art. F). [3] Texte de l’accord Sforza-Békir Sami Bey, du 12 mars 1921 : 1° Collaboration économique italo-turque avec droit de priorité pour les concessions d’ordre économique à accorder par l’État en vue de la mise en valeur et du développement
économique dans les Sandjaks d’Adalia, Bourdour, Moughla, Isparta et d’une partie des Sand-jaks d’Afion Karahissar et de Ku-tahya, Aïdin et Konia à déterminer dans l’accord définitif, dans la mesure
où cela ne serait pas effectué directement par le gouvernement ottoman ou les ressortissants ottomans à l’aide de capitaux nationaux. Concessions à un groupe italo-turc de la mine houillère d’Héraclée
dont la limite sera déterminée dans la carte qui sera jointe à l’accord définitif. 2° Les concessions comportant monopole ou privilège
seront exploitées par des sociétés consitituées selon la loi ottomane. 3° Association la plus large possible de capitaux ottomans et italiens
(la participation pouvant aller jusqu’à 50%). 4° Le gouvernement royal d’Italie s’engage à appuyer efficacement auprès de ses alliés
toutes les demandes de la Délégation turque relativement au traité de paix, spécialement la restitution à la Turquie de la Thrace et de Smyrne. 5°
Le gouvernement royal d’Italie donne une assurance formelle que, au plus tard à la ratification de la paix et d’après un accord entre les deux pays, il procédera au rappel de ses troupes actuellement sur le territoire ottoman.
6° Les dispositions ci-haut formulées seront mises en vigueur en vertu d’une convention, qui sera stipulée entre les deux Parties contractantes, immédiatement
après la conclusion d’une paix assurant à la Turquie une existence viable et indépendante et acceptée par elle. Fait à Londres,, en
double exemplaire, le 13 mars 1921. Signé : SFORZA. S. BEKIR. Source : «L’Europe nouvelle» du 28 mai 1921, p. 698 ; Giannini, / documen-ti diplomatici délia pace orientale, p. 215. [4] En effet, la décision de reprendre les relations commerciales avec la Russie bolchevique à travers les anciennes coopératives
russes est prise par Lloyd George.Il s’oppose ainsi 1 à la politique jusque-là suivie par le gouvernement et établie par Winston Churchill, alors Secrétaire d’État à la Guerre, qui soutenait
Dénikin dans son combat contre les Soviétiques. Lloyd George explique clairement sa politique dans un discours à la Chambre des représentants début février 1920 : «We have failed to restore Russian sanity
by force. I believe we can save her by trade. Commerce has a sobering influence in its operations. [...] Trade, in my opinion, will bring an end to the ferocity,
the rapine, and the crudities of Bolshevism surer than any other method....There is but one way - we must fight anarchy with abundance» (Lloyd George, cité dans Ullman, Anglo-Soviet relations, vol. 3, p. 37). Le traité, conformément au souhait du gouvernement britannique, n’est pas qu’un accord commercial. Il comprend une clause très importante, imposée en grande partie par
lord Curzon et qui régira les relations entre les deux pays jusqu’en 1929. Dans le préambule du traité il est ainsi clairement établit : «Each party refrains from hostile action or undertakings against the other
and from conducting outside of its own borders any official propaganda direct or indirect against the institutions of the British Empire or the Russian Soviet Republic respectively, and more particularly that the Russian Soviet Government refrains
from any attempt by military or diplomatic or any other form of action or propaganda to encourage any of the peoples of Asia in any form of hostile action against British interests or the British Empire, especially in India and in the Independent State of
Afghanistan. The British Government gives a similar particular undertaking to the Russian Soviet Government in respect of the countries which formed part of the former Russian Empire and which have now become independent».En cas de non-respect de
cette clause, l’une ou l’autre des parties peut donc mettre fin au Trade Agreement sans préavis. Cette clause est pour les opposants à l’accord
commercial la clé de voûte des relations entre les deux pays. Le jour même de la signature, une liste officielle de la propagande soviétique en Inde et en Afghanistan est remise à Krassine, à qui l’on demande de
faire respecter le «Trade Agreement». [5] Le traité de Moscou ou
traité de la fraternité est un traité d'amitié entre l'Assemblée nationale de Turquie sous la direction de Mustafa Kemal Atatürk et de la Russie bolchevique sous la direction de Vladimir Lénine, signé à
Moscou le 16 mars 1921. Il s’agit d’un traité illégal du point de vue international, car ni la Turquie, ni l'Union soviétique n’avaient été créées à l'époque. Le gouvernement
turc internationalement reconnu à l'époque était celui du sultan Mehmed VI, qui ne faisait pas partie du traité de Moscou et qui avait auparavant signé le traité de Sèvres, répudié par les kémalistes.
En vertu du traité de Moscou, les deux gouvernements se sont engagés à établir des relations amicales entre les pays. Le traité stipulait que le terme «Turquie» signifiait tous les territoires inclus dans le serment
National adopté par le Parlement Ottoman le 28 janvier 1920. L'article VI du traité déclarait tous les traités déjà conclues entre la Russie impériale et la Turquie d'être nuls et non avenus. En
vertu de l'Article II, la Turquie a cédé Batum et la zone adjacente au nord du village de Sarp à la Géorgie soviétique, alors que l’oblast de Kars fut cédé à la Turquie). L'article III a institué
un oblast autonome de Nakhitchevan sous protectorat de l'Azerbaïdjan. En vertu de l'Article V, les parties sont convenues de déléguer l'élaboration finale de l'état de la mer Noire et des détroits à une future
Conférence des délégués des États riverains, pourvu que la «pleine souveraineté» et la sécurité de la Turquie et «sa capitale de Constantinople» ne soient pas mis en cause. Les
frontières de la Turquie avec la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, telles que définies par le traité de Moscou, reprises par le traité de Kars (signé le 13 octobre 1921), existent toujours.
[6] Le traité de Kars comprend un préambule, 20 articles et 3 annexes.
Selon l'article 1er, sont considérés comme caducs les accords passés entre les gouvernements des pays sur le territoire des parties contractantes. Est reconnu de
ce fait annulé le traité d'Alexandropol de 1920, et non valables les accords passés avec les États tiers et qui concernaient les républiques transcaucasiennes. Mais cela ne s'appliquait pas à l'accord de 1921 de Moscou
conclu entre la Russie soviétique et la Turquie. L'article 2 était particulièrement important pour la Turquie, puisque selon celui-ci, les parties ne reconnaissaient aucun accord ou acte international, qui pouvait être imposé
au moyen de la force. Cela signifiait que l'Arménie soviétique ne reconnaissait pas le traité de Sèvres de 1920. L'article 3 annule le régime des capitulations, et l'article 4 définissait la frontière entre
la Turquie et les républiques de la Transcaucasie (la description plus détaillée de la frontière était donnée dans les annexes 1 et 2). Selon l'article 5, les gouvernements de la Turquie, de l'Azerbaïdjan et de
l'Arménie acceptent la formation d'une république autonome, le Nakhitchevan (avec ses frontières indiquées dans l'annexe 3), placé sous la protection de l'Azerbaïdjan. Les articles 6 à 9 se rapportent aux relations
entre la Turquie et la Géorgie. L’article 10 permet de mettre hors-la-loi toute tentative de représentation locale i.e. communauté étrangère. Il complète ainsi le hors contexte historique puisque les différences
n'ont pas le droit d'exister. L'article 15 est un modèle du genre dans le domaine de l'effacement de l'histoire. Il stipule que chacune des Parties Contractantes s'engage à promulguer immédiatement après la signature du présent
traité une amnistie complète aux citoyens de l'autre partie pour les crimes et délits commis par suite de la guerre sur le front du Caucase. Cette procédure permet entre autre d'effacer le génocide des Arméniens et
ses conséquences puisque l'Arménie en tant que soviet à l'époque faisait partie de l'Union Soviétique et du coup de l'autre partie contractante. Les autres articles définissent la position juridique des citoyens des
parties, établissent l'ordre de l'échange des prisonniers, concernent le règlement des autres questions économiques, financières et, la conclusion des accords consulaires, etc... Le traité de Kars répète
essentiellement les positions de l'accord de 1921 de Moscou. Il est signé pour l'Arménie par le commissaire du peuple des affaires étrangères Askanaz Mravian et le commissaire du peuple des affaires intérieures Poghos Makintsian
; pour l'Azerbaïdjan, par le commissaire du peuple de l'inspection des ouvriers et des paysans Behboud Chahtahtinsky ; pour la Géorgie, par le commissaire du peuple pour les affaires navales Chalva Eliava et le commissaire du peuple des affaires
étrangères et les finances Alexander Svanidze ; pour la Turquie, par les députés de l'Assemblée nationale et le commandant du front oriental Kazem Karabekir Pacha, et Veli Bej, par un ancien adjoint du ministre des travaux
sociaux Muhtar Bej, et par le représentant plénipotentiaire de la Turquie en Azerbaïdjan Memduh Sevket ; pour la Russie soviétique, par le représentant plénipotentiaire en Lettonie le Polonais Jakub Hanecki (en russe
Ganetsky, né Jakub von Fürstenberg). [7] Membre du Parti radical-socialiste et
franc masson, Henry Franklin-Bouillon (journaliste pendant la guerre gréco-turque de 1897), était Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat. Il fut ministre d'État
de septembre à novembre 1917 dans le gouvernement Painlevé. Par la suite, il accomplit diverses missions diplomatiques pour la France en direction de la Turquie ; il contribue, avec les représentants français de Constantinople,
à faire évoluer la position française vis-à-vis des Turcs révolutionnaires.Le colonel Mougin (ex agent de liaison entre le Général Franchet d’Espèray et le ministre de la guerre ottoman après
l'occupation de Constantinople par les forces alliées, et par la suite représentant officieux de la France auprès de Mustafa Kemal) lui sert d’intermédiaire. Mougin – surnommé de«Mougin pacha» pour
ses sentiments turcophiles - accompagna et conseilla aussi la délégation de Mustafa Kemal dirigée par BekiriSamix Bey à la conférence de Londres en février 1921. Franklin-Bouillon rencontre en 1921 Mustafa Kemal dont
il devient un proche après avoir signé, en octobre 1921, le traité d'Ankara, première reconnaissance de jure de la nouvelle Turquie par un état occidental ! [8] La plus grande différence qui existe entre les deux accords a trait au traitement réservé aux minorités ethniques. Les
points B et C de l’accord de Londres qui stipulaient le désarmement des populations et des bandes armées et la formation d’une police sous un commandement turc assisté d’officiers français, ne figurent pas dans
le traité d’Angora. Et le paragraphe F de l’accord de Londres qui garantissait aux minorités non seulement l’égalité absolue des droits, mais aussi un «équilibre pour la constitution de la gendarmerie
et de l’administration municipale», est remplacé par un article VI qui efface à ce sujet toute distinction entre la Turquie et les autres puissances occidentales. On ne retrouve pas non plus dans l’accord d’Angora
le paragraphe G de l’accord de Londres relatif à la collaboration économique franco-turque et aux concessions à accorder à la France. Ce paragraphe y a été remplacé par une série de lettres complémentaires
jointes à l’accord. D’abord destinée à rester secrète, la liste est finalement communiquée à Lord Curzon le 8 décembre 1921, sur demande de Londres. Dans une d’entre elles, le ministre des
Affaires étrangères d’Angora, Youssouf Kemal bey, déclare qu’il est disposé à accorder la concession de mines de fer à un groupe français pour une durée de cinq ans, sans spécifier
toutefois, quelle zone serait réservée à cet effet. De plus, il promet à examiner d’autres demandes qui pourraient être formulées par des groupes français, relatives à la concession de mines,
voies ferrées et ports réciproques de la Turquie et de la France. Il s’agit de promesses dont la plupart resteront lettre morte… [9] Ces craintes sont justifiées du fait de l'engagement militaire des arméniens aux côtés des Français. La Légion arménienne, établie suite à l'accord
franco-arménien de 1916, était une unité de la Légion étrangère dans l'Armée française. La légion arménienne a été établie sous la direction du Mouvement
national arménien et fut une unité armée en supplément des unités de volontaires arméniens et de la milice arménienne pendant la 1ère Guerre mondiale. Le nom initial de la légion était
«Légion d'Orient». Elle a été rebaptisée Légion arménienne le 1er février 1919. Après une formation initiale à Chypre, la Légion arménienne a été
d'abord déployée en Palestine et a aidé les armées françaises et britanniques contre l'Empire ottoman. Après cette campagne, elle a été déployée en Asie Mineure. Elle fut active autour des
villes d’Adana et de Mersin, impliquée dans des escarmouches avec des milices kémalistes, successeurs des criminels «Jeunes-Turcs». En mai 1919, les Arméniens ont déclaré un État indépendant
en Cilicie. Cependant cet État eut une existence très courte puisque la France a dissous la Légion arménienne et reconnu la souveraineté de la Turquie sur la région en 1920. [10] Les propositions de paix des Puissances débutent par un énoncé de principes, parmi lesquels on relève le désir
des trois ministres de «rétablir la nation et la puissance turques dans les territoires qui peuvent être considérés comme leur appartenant, avec Constantinople, leur historique et illustre capitale, pour centre, et aussi
avec les pouvoirs qui permettent à la Turquie de reprendre une existence nationale vigoureuse et indépendante». En conséquence de cette déclaration, il fut proposé de restituer à la Turquie en Europe une
partie de la Thrace Orientale. Les trois gouvernements déclarèrent en outre qu’ils «désiraient confirmer leur intention déjà exprimée de renoncer à la menace, contenue dans le projet de traité
de Sèvres, de revenir plus tard sur la rétrocession aux Turcs de leur capitale. Ils confirmèrent la restitution de cette ville à la pleine autorité du gouvernement du Sultan, et ils se dirent, en outre, disposés à
s’engager à retirer complètement, après la ratification du traité de paix, les troupes alliées qui l’occupaient actuellement». En ce qui concernait l’Asie Mineure, les Puissances se prononcèrent
pour son évacuation pacifique par les forces grecques et «la restauration de la souveraineté turque sur l’ensemble de cette région» : après le retrait des troupes grecques, «la souveraineté turque
en Asie serait pleinement assurée, de la Méditerranée à la mer Noire et aux Détroits, et des frontières de la Transcaucasie, de la Perse et de la Mésopotamie jusqu’aux rives de la mer Egée».
Relativement aux minorités, une situation identique leur était faite en Turquie et en Grèce. Dirent les trois ministres :
«Reconnaissant l’impérieuse nécessité, qui découle à la fois de causes historiques et géographiques, d’assurer la protection des minorités de race ou de religion quelquefois très
nombreuses, aussi bien dans les vilayets de Turquie qu’en Europe, dans les possessions de la Grèce, les ministres proposèrent une série de mesures pour garantir dans les deux régions la sécurité complète
des minorités sans distinction de races ou de religions. Ces mesures reposeront à la fois sur les stipulations contenues dans les traités en vigueur ou dans les projets de traités qui ont été préparés
et sur les lois civiles ou religieuses des pays intéressés. En outre, les ministres ont décidé d’inviter la Société des Nations à collaborer à ce programme par la nomination de Commissaires spécialement
chargés dans les deux régions de surveiller l’exécution de ces mesures et leur application aux communautés principalement intéressées». Les propositions de la Conférence de Paris relatives aux Arméniens constituèrent un abandon encore plu marqué des Alliés de leurs positions de Londres. La Conférence
de Londres n’avait pas stipulé l’indépendance du Foyer national arménien, mais elle ne s’était non plus prononcée contre elle ; et la deuxième Assemblée de la Société des Nations
avait même réclamé cette indépendance. La Conférence de Paris, en proclamant la pleine souveraineté turque, des frontières de la Transcaucasie, de la Perse et de la Mésopotamie jusqu’aux rives de
la mer Egée, porta le dernier coup à l’indépendance du Foyer national arménien. En outre, la Conférence de Londres avait envisagé la création de ce foyer dans les frontières orientales de la Turquie
d’Asie. Les propositions de Paris ne situèrent même plus ce foyer, qui pourrait dès lors se trouver en n’importe quelle partie du territoire turc. Relativement aux garanties de l’application effective des clauses concernant les minorités, la menace de la perte de Constantinople en cas de manquement à ces clauses, que l’article 36 du traité
de Sèvres avait suspendue sur la Turquie, était, d’autre part, expressément retirée. La Turquie, sans doute, ne rentrait pas tout à fait dans le droit commun, puisque la Conférence proposait la surveillance de
l’exécution des clauses concernant les minorités par des Commissaires spéciaux de la Société des Nations, non prévus dans les autres traités des minorités : mais l’institution de cette surveillance
ne pouvait, naturellement, aux yeux des Turcs, être comparée à la menace caractéristique du traité de Sèvres qui liait d’une manière si dramatique la continuation de leur Empire en Europe au respect des
droits des minorités. Source :
http://www.imprescriptible.fr/mandelstam/c14 [11] Témoignage recueilli en français
dans le livre de René Puaux, «La Mort de Smyrne», Edition de la Revue des Balkans, Paris, 1922, et en anglais dans le livre de Lysimachos Oeconomos : «The Martyrdom of Smyrne and Eastern Christendom», London
: George Allen et Unwin Ltd Ruskin House, 40, Museum Street, W. C. I.
2. LE TRAITÉ DE LAUSANNE 11 octobre1922 : Après la prise de Smyrne (09.09.1922), Mustafa Kemal se dirige
vers la Thrace, mais se voit interdire la traversée des Dardanelles par les Britanniques. Déterminé, le 29.09.1922, il ordonne deux régiments d'élite de marcher vers les positions britanniques à Chanak. Le commandant
Charles Harington refuse de donner à ses troupes l’ordre de tirer sur les Turcs et demande des instructions à son gouvernement. Londres hésite, mais les Britanniques ne sont plus soutenus par les Français, qui avaient déjà
retiré leurs troupes des Dardanelles et qui évoquent l’éventualité d'éclatement d'un nouveau conflit où la Russie soviétique serait du côté de la Turquie. La France envoie en toute hâte
son diplomate Franklin-Bouillon réputé pour ses convictions turcophiles. Celui-ci s’excelle et prend tous les engagements susceptibles à satisfaire Mustafa Kemal. Ce dernier accepte donc d’ouvrir des pourparlers le 3 octobre
1922 à la mairie de Mudanya sur la rive sud de la mer de Marmara. Quatre généraux participent à la conférence : un Britannique, un Français, un Italien et le Turc İsmet-Pacha İnönü. Les Grecs sont tenus à
l’écart, bien que les négociations portent sur des questions vitales pour eux. Un accord est trouvé, à peine 2 heures avant que les Britanniques ne commencent les hostilités. Les Alliés (autrement dit le Royaume-Uni,
la France et l'Italie) s'engagent à obliger les Grecs à se retirer de la Thrace orientale et promettent d'évacuer le plus rapidement possible le territoire turc. Un armistice fondé sur ces principes est signé à Mudanya
le 11.10.1922, qui entre en vigueur le 15.10.1922, un jour après que les Grecs aient accepté de signer les accords. L'Armistice de Moudanya sera suivi par le traité de Lausanne sur la rive nord du lac Léman qui
sera signé le 24.07.1923. Les troupes turques entrèrent en Constantinople le 06.10.1923. 24 juillet 1923 : les vainqueurs de la Grande Guerre signent à Lausanne, sur les bords du lac Léman, avec la Turquie de Mustafa Kemal - vaincue en 1918 et devenue vainqueur par leurs propres fautes
(discordes, hypocrisies, duplicités, déloyautés, faussetés, conspirations, trahisons, inconséquences, flottements, indécisions, faiblesses, négligences, omissions, aveuglements, illusions, chimères, gaffes,
bévues, erreurs, etc.) – un traité qui annule et remplace le précédent traité de paix signé à Sèvres, le 10 août 1920, par les représentants du sultan. Les Turcs nationalistes et leur
chef, Mustafa Kemal, prennent ainsi une spectaculaire revanche sur les Alliés et hypothèquent lourdement le destin du Moyen-Orient et de l’Europe pour les années à venir. Par le traité de Lausanne: - les Turcs récupèrent une pleine souveraineté sur les Détroits, Constantinople (Istanbul) et son arrière-pays européen (Thrace orientale), ainsi
que sur l'Arménie occidentale, le Kurdistan occidental et la côte orientale de la mer Égée (Smyrne, Éphèse...). - la frontière avec l'Irak est dessinée en pointillé. Elle est confirmée trois ans plus tard par la Société des Nations, qui octroie à titre définitif la région de Mossoul à
l'Irak. - les «Capitulations», établies en 1536 entre le sultan Soliman le Magnifique et le roi de France
François 1er, et plus tard élargies à d'autres pays européens, sont abolies ; ces conventions octroyaient aux Occidentaux des droits particuliers en Turquie, ainsi qu'un droit de regard sur le sort fait aux chrétiens
de ce pays. - les troupes françaises qui s'étaient installées en Cilicie, au sud, ne conservent plus qu'une
enclave, le sandjak d'Alexandrette, qu'elles évacueront au profit de la Turquie (une fois de plus !) en 1939. - une
annexe au traité prévoit - fait inédit - des échanges de populations entre la Grèce et la Turquie. 1,3 million de réfugiés grecs sont forcés de quitter leurs terres ancestrales d'Ionie, du Pont et de
Thrace orientale et arrivent précipitamment, dépouillés de leurs biens, en Grèce, qui se voit confrontée à un défi humanitaire sans précédent. La Grèce, en retour, expulse quelque 350.000
Turcs, mais la minorité turque de la Thrace occidentale est exclue de cet échange de populations en contre partie du maintien de la population grecque de Constantinople. Plus de 500.000 Grecs furent déportés vers l’intérieur
(à l’instar des Arméniens en 1915-16), mais très peu survécurent. La république laïque de Mustafa Kemal – fondée sur les principes «un état, une terre, une religion, une langue, une race»,
ne compte plus qu'une poignée de Grecs regroupés autour du patriarcat de Constantinople, tandis que ceux-ci représentaient encore un cinquième de la population turque une décennie plus tôt. - la Turquie post-ottomane émerge des négociations de Lausanne sous la forme d'un quadrilatère massif dont seulement le coin nord-ouest,
avec Constantinople (Istanbul) et son arrière-pays, appartient au continent européen (3% de la superficie du pays). -
fort de son triomphe, Mustafa Kemal va pouvoir proclamer la République turque (qui ne tolérera que le culte musulman, mais qui sera dénommée par euphémisme «laïque»), sur les ruines du vieil Empire
multiculturel ottoman. Notons ici l'étrange similitude entre le surnom de Staline «Le petit Père
du peuple» et le surnom «Atatürk» («le père des Turcs») que s'est donné Mustafa Kemal.
3. ANNOTATIONS
3.1 Préambule A la fin de la Grande guerre, quatre traités enterraient
les empires allemand, austro-hongrois et ottoman, que nous qualifierons de camp du Mal puisque celui des agresseurs notamment de petits peuples tels que les Belges, les Serbes, les Arméniens, les Maronites, les Assyro-chaldéens, les Grecs d'Anatolie
: - Le traité de Versailles du 28 juin 1919 avec l’Allemagne, qui affirmait l'indépendance
de la Tchécoslovaquie, de la Pologne, et faisait retour à la France de l'Alsace-Lorraine ; - Le traité
de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 avec l'Autriche et le traité de Trianon du 4 juin 1920 avec la Hongrie, qui marquaient l'effondrement de l'Empire austro-hongrois, affirmaient l'interdiction d'une unification entre l'Autriche et
l'Allemagne et consacraient la séparation de l’Autriche et de la Hongrie avec une réduction corollaire de leurs territoires au profit de l'Italie, la Roumanie, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie ; et - Le traité de Sèvres du 10 août 1920 avec la Turquie, l’allié oriental des Empires centraux, qui, en gros,
réservait à la Grèce la Thrace orientale (sauf Constantinople) avec l'ouest anatolien, affirmait l'existence d'une Arménie indépendante, prévoyait la création d'un Kurdistan autonome, chargeait la France d'un
mandat sur la Cilicie et réduisait l'Empire ottoman à quelque 120.000 km2. Le traité de Sèvres
a été l’aboutissant logique de l’intervention de l’Humanité en Turquie. Il mettait fin à la puissance ottomane accumulée depuis le 14ème siècle par des conquêtes sanglantes
et des occupations brutales de plusieurs pays asiatiques et européens. Il libérait la plupart des populations non-turques d’une emprise ottomane de plusieurs siècles, soit en plaçant leur territoire sous le mandat des Principales
Puissances alliées, soit en l’annexant à l’État congénère. Il limitait, en outre, le souveraineté de l’État ottoman ainsi réduit, aussi bien au nom du droit humain, en lui imposant la
protection des minorités, qu’au nom du droit international, en le plaçant sous un véritable contrôle militaire, économique et financier. En particulier, l’Arménie si durement touchée par un génocide
impitoyable, recevait, avec la reconnaissance de son indépendance, l’espoir de se voir adjuger par le Président Wilson des parties ou même la totalité de quatre vilayets de l’Arménie turque. Mais alors qu'en Europe l'Allemagne était mise à genoux et tenue à l'œil, en Asie Mineure les vainqueurs occidentaux, travaillés
par les mêmes rivalités qu'au XIXe siècle, se gardaient de désarmer l'Empire ottoman vaincu et se contentaient au début de regarder la rébellion kémaliste, les uns avec scepticisme et curiosité, les autres
avec intérêt et complaisance. A peine sept mois après, en mars 1921, les Principales Puissances alliées, réunies à Londres en Conférence avec les Turcs et les Grecs, se déjugeaient de leur œuvre
et, surtout, en reniaient l’esprit. Aux ennemis Turcs, auxquels elles avaient dicté leurs volontés à Sèvres, elles proposaient maintenant des conditions de paix considérablement adoucies et ce, aux dépens
de leurs alliés Grecs, qui avaient si vaillamment combattu à leur côté sur le Front d’Orient.
3.2 La revanche allemande Déjà au début des années 1920, des observateurs lucides perçurent le désir de revanche allemand, ainsi que la stratégie et les tactiques correspondantes que cette
revanche nécessitait. La stratégie visait à combattre en Anatolie le traité de Versailles en détruisant celui de Sèvres. La tactique consistait à diviser les Alliés,
à les épuiser et à parachever leur lassitude. La victoire du bolchevisme en Russie et l'émergence du mouvement kémaliste en Turquie, les deux réunis dans l’objectif commun de combattre les puissances alliées
«infidèles» et «impérialistes», seront les instruments majeurs dont l’Allemagne s’en servira habilement afin de parvenir à ses fins. 3.3 Le sursaut nationaliste
turc : Mustafa Kemal Atatürk, l’homme providentiel au service de l’Allemagne
Après avoir imposé à Lénine le traité de Brest-Litovsk dont les conséquences pour les Arméniens et autres peuples du Caucase furent funestes, les Allemands trouveront en Mustafa Kemal un personnage dévoué
à leur cause depuis longtemps, qui avait déjà servi sous les ordres d’un général allemand Otto Liman von Sanders (Liman-Pacha) dans la bataille de Gallipoli. Mustafa Kemal est un homme de culture moyenne.
Il est très ambitieux, habile et rusé, souvent de mauvaise foi. Energique cependant et tenace, il est l'admirateur fervent de la pensée allemande et de l'esprit d'organisation germanique. Il arrive à se faire remarquer, pour la
première fois, lors de la révolution des Jeunes-Turcs en 1908. Mis de côté par de plus habiles que lui, Enver par exemple, il conserve vis-à-vis de celui-ci une haine irréductible. L'occasion de passer aux choses
sérieuses se présente pour lui lorsque le grand vizir Damad Ferid-pacha (l'un des signataires ottomans du Traité de Sèvres) crut opportun de l'envoyer en province en lui donnant le titre d'inspecteur de la 9e armée stationnée
à Erzéroum. Il s'agissait d'éloigner un soldat remuant et de profiter en même temps de ses talents d'organisateur pour maintenir intactes les forces militaires dont la démobilisation était pourtant exigée par
l'armistice. Les Alliés, surtout les Britanniques, connaissent bien Mustafa Kemal depuis ses actions contre les ANZAC
lors de l’opération amphibie ratée dans les détroits de Dardanelles en 1915. Ils auraient dû se méfier de lui et de sa nouvelle mission, et prendre toutes les mesures nécessaires pour le surveiller de près
afin de le neutraliser, mais ils ne le feront pas. Il s’agit d’une négligence de taille [1]. Dans les régions menacées par les troupes alliées, Mustafa Kemal met rapidement en place des organisations qui visent à la fois défendre les droits des musulmans, mais aussi organiser la résistance
armée. Ces organisations de défense doivent empêcher la réalisation des desseins alliés par la résistance passive ou active. Des officiels ottomans, aidés par des allemands, participent et organisent ce mouvement,
tandis que des militaires collaborent avec des bandes d'irréguliers pour organiser la guérilla. Les munitions saisies par les Alliés sont ainsi secrètement transportées d'Istanbul en Anatolie centrale. En mai 1919, le mouvement nationaliste turc peut déjà compter sur deux corps d'armée, le 20ème commandé par Ali
Fouad à Ankara et le 15ème à Erzéroum commandé par Kazim Karabekir, mais également sur les unités irrégulières. A la demande de Mustafa Kemal, l'amiral Rauf Bey coordonne l'action de ces différents
groupes, tandis que la petite ville d'Ankara (alors Angora) sur le plateau anatolien devient le centre de l'organisation de la résistance nationaliste. Mustafa Kemal débarque le 19 mai à Samsun, puis se rend à Havza. Son statut de héros de la bataille de Gallipoli lui donne le prestige requis pour établir des contacts avec des militaires et des nationalistes,
et ainsi structurer le mouvement de résistance. Le 2 juillet, Kemal reçoit un télégramme du Sultan lui demandant de cesser ces activités rebelles en Anatolie et de retourner à Istanbul. Il refuse d'obtempérer.
Des officiers nationalistes proches de lui organisent un congrès à Sivas en juin 1919, qui se donne pour but de rassembler les forces nécessaires pour combattre les occupants alliés. Le Sultan ordonne alors l'arrestation de Kemal.
Les nationalistes révolutionnaires répondent en septembre en mettant sur pied un comité représentatif, embryon d'un véritable gouvernement. En janvier 1920, la Chambre des députés ottomans se réunit. En son sein se forme un groupe nationaliste qui cherche à faire élire Mustafa Kemal président de la Chambre.
Pour mettre fin à cette situation les Britanniques décident (enfin) de placer la Turquie sous leur contrôle. Le 15 mars 1920 les soldats britanniques occupent les principaux bâtiments de la capitale ottomane et arrêtent les
responsables nationalistes qui sont alors déportés à Malte. Le 11 avril 1920, le dernier parlement ottoman est dissous sur ordre du Sultan Mehmed VI. Le système politique ottoman s'effondre en quelques jours et le Sultan apparaît
désormais comme une marionnette aux mains des Alliés. De nombreux intellectuels, dignitaires et chefs militaires turcs se mettent alors au service de Mustafa Kemal qui déclare que le seul gouvernement légal turc est désormais
le comité représentatif d'Ankara. C'est dans cette ville que se réunit, en mars 1920, le Grand Parlement National qui se choisit comme président Mustafa Kemal et investit en avril un gouvernement provisoire turc pour mener la résistance
contre les Alliés. Pour l'heure, le rusé Kemal affirme toujours vouloir se battre pour le Sultan et afin de le libérer de la tutelle des Alliés. La première tâche de Mustafa Kemal est de former une armée. Pour cela il se tourne vers les bolcheviks, qui viennent de prendre le pouvoir en Russie, trop contents de trouver un partenaire qui
se réclame de «laïque» comme eux et désireux de lutter contre l'impérialisme occidental. Kemal rencontre une délégation soviétique dirigée par le général Semyon Boudienny,
qui demande seulement le contrôle des territoires caucasiens sous souveraineté russe en 1914, en contrepartie d’une aide économique et militaire soviétique significative qui permettra à Kemal d'organiser une véritable
armée. Le Sultan, pour ôter toute légitimité au mouvement nationaliste, lance contre Kemal
une fatwa [2], suscitant ainsi des soulèvements en Anatolie, armés par les Britanniques, contre les nationalistes. Les kémalistes les répriment
violemment instituant des tribunaux d'exception qui condamnent à la pendaison ceux qui sont pris prisonniers. Ils doivent également affronter l'armée du Sultan qui vient en aide aux rebelles anti-kémalistes. Mais rapidement ces
derniers sont écrasés par les troupes circassiennes d'Ethem. Les Britanniques envoient alors de petites unités pour leur faire face et les empêcher de se regrouper. Le 13 avril 1920, les premiers combats s'engagent à Düzce,
puis s'étendent à Bolu et Geredé. Pendant un mois le nord-ouest de l'Anatolie est ainsi le théâtre d'affrontements, jusqu'à la bataille d'Izmit du 14 juin 1920. L'armée du Sultan et les unités britanniques
ont l’avantage numérique, mais les soldats du Sultan désertent en masse. Quelques jours plus tard, les troupes nationalistes, victorieuses, approchent d'Istanbul. Les Britanniques sont prêts à faire sauter les dépôts
de munitions et d'armes. Mais les navires et les avions britanniques ouvrent le feu contre les troupes de Kemal les forçant à se retirer. Si le danger kémaliste est pour l’instant écarté, la panique s'est emparée de la capitale ottomane après la défaite des troupes du Sultan. Le général britannique George Milne demande
donc des renforts et estime qu'il lui faut 27 divisions pour défaire les nationalistes. Mais les Britanniques ne disposent pas de ces divisions et surtout l'opinion publique ne peut accepter une intervention militaire de cette ampleur, alors que la
Grande Guerre vient à peine de prendre fin. Pourtant les Alliés ont des atouts: près de 38.000 soldats britanniques et indiens, 59.000 soldats français dont des troupes coloniales, 18.000 soldats italiens, entre 30.000 et 50.000
soldats géorgiens constitués en unités irrégulières, 20.000 soldats arméniens. Le contingent grec est le plus nombreux et passe de 80.000 hommes en 1919 à près de 300.000 en 1922. Si les Américains
n'envoient pas de troupes, l'amiral Mark Bristol sert de conseiller militaire. Mais ces forces sont dispersées et agissent indépendamment les unes des autres. Surtout chaque nation alliée se fixe des objectifs propres qui entrent en concurrence
avec ceux de leurs partenaires. C’est la fin de l’Entente. Conscients que le Sultan est incapable de venir à
bout des nationalistes, les Britanniques se tournent vers la seule force bien entraînée, disciplinée et capable d'affronter les Turcs: l'armée grecque. Le 22 juin 1920, avec l'accord des Anglais, les Grecs passent à l'offensive
en Anatolie en direction du nord et de l'est. Ils cherchent ainsi à asseoir leur domination sur l'Asie-mineure et contrôlent rapidement l'ouest et une partie du nord-ouest de l'Anatolie. En un mois ils occupent la côte égéenne
au nord de Smyrne et le rivage sud de la mer de Marmara. L’ancienne capitale ottomane Bursa tombe aux mains des Grecs le 8 juillet, et ils atteignent Usak au bord du plateau anatolien. Ils envahissent également la Thrace orientale et prennent
sa capitale Adrianople (Edirne) où le roi Alexandre Ier fait une entrée triomphale le 25 juillet 1920. Les Grecs sont désormais devant les portes de Constantinople, un rêve national nourri depuis la prise de Constantinople
par les Turcs ottomans le 29 mai 1453. Mustafa Kemal et les nationalistes sont alors dans une situation critique. Ils sont menacés
par les Grecs à l'ouest, mais également par les Français qui occupent la Cilicie au sud et les Arméniens au nord-est. L’aide économique et militaire soviétique, la division qui règne parmi les Alliés
et, surtout, la trahison des Italiens et la volte-face des Français, va leur permettre de renverser la situation. Vaincus en 1918, ils se convertiront en vainqueurs, et dicteront leurs conditions à Lausanne en 1922. 3.4 L’accord
franco-turc séparé du 9 mars 1921 : la débâcle et la volte-face française en Cilicie En vertu des accords Sykes-Picot de 1916, les Français prennent le contrôle du Liban et de la Syrie et cherchent à consolider leur zone influence jusqu'aux montagnes du Taurus en Cilicie en vertu
du Traité de Sèvres. Leur intérêt pour cette région était surtout motivé par la ferme de Mercimek (Mercimek Çiftliği) 1.100km², soit la taille de la Martinique, qu’ils comptaient prendre en
remboursement des dettes ottomanes. Ils débarquent à Mersin [3], le 17 novembre 1918, 15.000 volontaires arméniens encadrés
par 150 officiers français qui s'emparent de Tarse (ancienne capitale de la Cilicie) le 19 novembre. Avant la fin 1918, la France contrôle également les trois provinces d'Antep, Marache et Urfa. Devant eux, pas d’armée turque,
seulement des bandits et des résistants irréguliers. Kemal envoie donc des officiers pour organiser la guérilla contre les Français. La stratégie de Mustafa Kemal était de concentrer ses efforts sur le front principal contre l’ennemi héréditaire, la Grèce. Comparés aux Grecs, les Français étaient une menace
de second ordre. Mais si les Français cédaient, il était sûr que la partie grecque céderait aussi (et cela fut le cas). Les Turcs coopéraient déjà avec les tribus arabes de la région, et les musulmans
locaux s’opposèrent farouchement aux Français, d’autant plus que ces derniers choisirent de ne pas engager des forces suffisantes pour contrôler un territoire aussi vaste que celui de Cilicie, mais de s’appuyer sur des
milices arméniennes. A partir de novembre 1919 des troubles éclatent à Marache qui devient rapidement le
théâtre d'une guérilla urbaine, ce qui oblige Français et Arméniens à quitter la ville en février 1920. La rébellion s'étend rapidement à l'ensemble de la région. La ville d'Urfa est
reprise aux Français en mai 1920. Le 28 mai, la garnison française de Pozanti est capturée. A l'est, dans les monts du Taurus, les Turcs prennent d'assaut le fort d'Haçin le 16 octobre 1920. Les Français sont obligés
de battre en retraite. Vu l’évolution défavorable sur le terrain, les Français décident de
changer de stratégie et entament des pourparlers secrets avec les nationalistes turcs dans l’espoir d’arriver à un accord avec eux qui leur permettrait de préserver malgré tout leurs intérêts dans la région.
Cela aura des conséquences néfastes pour les Alliés, notamment pour les Grecs qui supportaient le poids principal de l’affrontement avec les Turcs sur le front d’Ankara, mais aussi pour les Arméniens sur le front du
Caucase. Alors que l’Entente ne reconnaissait auparavant que le gouvernement du Sultan Mehmet VI, le gouvernement français
d’Aristide Briand (16.01.1921 – 12.01.1922)[4] rompt la triple Entente et conclut une paix séparée avec le gouvernement de la Grande Assemblée Nationale de Turquie (Mustafa
Kemal). Un premier accord franco-turc fut signé, à Londres, le 9 mars 1921, par Aristide Briand et Békir Sami bey. Les buts que poursuivait le gouvernement français en concluant l’accord franco-turc séparé de Londres ont été exposés avec force par le Président du Conseil français, Aristide Briand, aux
séances de la Chambre des députés et du Sénat français, les 11 et 12 juillet 1921 : «La France, déclarait M. Briand, est une puissance musulmane» (sic) (!) [5]. Elle doit reprendre sa vieille politique traditionnelle vis-à-vis de la Turquie qui se reconstituera fatalement. Il faut donc procéder à la conclusion immédiate de la paix avec les Nationalistes turcs
qui «au point de vue militaire tiennent la clef de la situation», mettant fin à l’effusion du sang français et à une situation militaire en Cilicie devenue intolérable. Cela rendra possible pour la France
d’exercer son mandat en Syrie dans les conditions de bon voisinage avec la Turquie, sans être obligée à de lourds sacrifices pour le maintien d’une grande armée d’occupation. La Franceobtiendrala libération
immédiate des prisonniers français et procèdera l’évacuation de la Cilicie, après que des garanties seraient prises, en commun avec les Turcs, suffisantes pour assurer la protection des minorités (en fait, ces
garanties ne seront jamais appliquées). 3.5 L’accord italo-turc séparé du 12 mars 1921 : la trahison italienne Dans le même esprit, l'Italie conclut un accord avec la Turquie le 12 mars 1921 pour obtenir des concessions minières et commerciales. L’accord italo-turc signé également à Londres, le 12 mars 1921, entre le Comte Sforza et Békir Sami Bey, établit une collaboration économique
italo-turque, avec droit de priorité pour les concessions d’ordre économique à accorder par l’État turc dans certaines parties de l’Anatolie méridionale. De son côté, le gouvernement royal d’Italie
s’engagea «à appuyer efficacement auprès de ses alliés toutes les demandes de la Délégation turque relatives au traité de paix, spécialement la restitution à la Turquie de la Thrace
et de Smyrne» (art. 4). L’accord ne devait cependant entrer en vigueur qu’en vertu d’une convention définitive qui serait stipulée «immédiatement après la conclusion d’une paix assurant
à la Turquie une existence viable et indépendante et acceptée par elle». En commentant, à
la séance du 19 mars 1921 de la Chambre des députés italienne, l’accord qu’il avait conclu avec Békir Sami Bey, le Compte Sforza expliqua qu’il avait recherché une entente directe avec la Turquie au sujet
de l’action économique qu’en vertu de l’action tripartite l’Italie était appelée à développer dans la partie méridionale de l’Anatolie et dans le bassin d’Héraclée.
Il était dans l’intention du gouvernement italien, dit le Comte Sforza, que cette action se développât sur une base de parfaite coopération entre l’Italie et la Turquie et que fussent éliminés tous les inconvénients
d’ordre politique qui pourraient entraver l’activité économique et financière italienne. «Une vaste zone en Asie Mineure est dorénavant ouverte à notre activité économique spéciale,
en accord cordial avec le gouvernement turc qui s’est rendu pleinement compte de la loyauté des intentions de l’Italie, laquelle ne désire rien autant dans l’Orient que de voir une Turquie prospère, politiquement forte,
maîtresse incontestée dans sa maison»… En signant ainsi à Londres des accords séparés
avec la Turquie, la France aussi bien que l’Italie, s’étaient montrées animées des dispositions les plus conciliantes envers la puissance ennemie qui avait retardé l’heure de leur victoire sur l’Allemagne,
et toutes les deux, mais surtout la France, consentaient à d’importants sacrifices politiques dont la récompense était plus qu’incertaine. En effet, le rapprochement soviéto-kémaliste déjà manifesté sur le front du Caucase contre l’Arménie et renforcé par la signature du traité d’amitié
russo-turc de Moscou du 16 mars 1921 qui proclamait la solidarité russo-turque dans la lutte commune contre l’Impérialisme, devait évidemment encore surexciter le chauvinisme des dirigeants d’Angora, sûrs maintenant d’un
appui plus efficace des nouveaux maîtres de Moscou. Aussi une campagne haineuse s’engagea-t-elle immédiatement dans les milieux du Parlement turc et dans la presse kémaliste contre les accords conclus à Londres par Békir
Sami Bey. Ces dispositions chauvines furent encore naturellement accrues par l’échec qui avait suivi la fin de la Conférence de Londres, la défaite des Grecs lors des batailles d'İnönü (janvier - mars 1921) et de leur repli
des sur leurs positions de départ. Bientôt Békir Sami Bey dut donner sa démission et, le 19 mai 1921, un nouveau Cabinet fut constitué, dans lequel le ministère des affaires étrangères fut confié
au négociateur du traité de Moscou, Youssef Kémal Bey. Dans ces conditions, le Parlement d’Angora,
enhardi par la situation générale toujours plus favorable à la Turquie, refusa de ratifier l’accord franco-turc de Londres du 09.03.1921. Le gouvernement kémaliste présenta alors au gouvernement français des
contre-propositions qui exigeaient, entre autres, l’évacuation de la Cilicie par les Français avant la conclusion de l’armistice, des rectifications à la frontière turco-syrienne au profit de la Turquie, ainsi qu’une
transformation des clauses économiques prévues par l’accord de Londres. D’autre part, le gouvernement d’Angora refusait d’accorder les garanties nécessaires de sécurité aux populations des régions
évacuées. D’autre part, l’accord italo-turc du 12.03.1921 ne fut pas ratifié davantage par la
Grande Assemblée turque que l’accord turco-français. Ainsi, le mouvement franco-italien pour la révision
du traité de Sèvres avait abouti, non seulement à l’échec de la Conférence de Londres, mais encore au rejet par les Turcs d’Angora des deux tentatives de paix séparées de la France et de l’Italie.
Mais, le régime kémaliste sortait gagnant de cette mésaventure alliée, car il obtenait la reconnaissance en tant qu’interlocuteur des Alliés au niveau diplomatique. 3.6 Le traité franco-turc du 20 octobre
1921 : une duperie colossale Après le coup de théâtre du Parlement
d’Angora, Aristide Briand choisit donc d’entamer officieusement des négociations avec les nationalistes turcs cette fois-ci à Angora. Sans rien dévoiler de son projet à son alliée la Grande-Bretagne, le président
du Conseil confie cette délicate mission à un député naïf Henry Franklin Bouillon. Du côté turc, il faut souligner avec quelle habileté les négociations d’Angora sont menées par la Turquie.
La figure charismatique de Mustafa Kemal, qui dirige lui-même la délégation turque, influe énormément sur l’issue des négociations. Mais l’envoi de Franklin Bouillon – un ancien député
turcophile et sans expérience diplomatique – pour négocier un accord qui doit rétablir les relations avec la Turquie et amorcer la pacification de l’Orient fait l’objet d’une forte polémique. Subjugué
par le mouvement nationaliste et son leader, Franklin Bouillon accepte toutes les exigences turques sans obtenir la concrétisation des requêtes françaises, mettant ainsi la France dans une position modeste et déférente, ce
qui permet au leader kémaliste de prendre l’ascendant. Dans l’ensemble, les Turcs sont gagnants. Ils obtiennent
le départ des troupes françaises de Cilicie et la cessation de l’état de guerre. Les prisonniers respectifs sont immédiatement remis en liberté et amnistiés. Néanmoins, les kémalistes refusent l’amnistie
pour les Turcs musulmans qui ont collaboré avec la France. Le Journal des Débats souligne que «la France fait seule des concessions». La France renonce effectivement au désarmement des populations et des bandes rebelles,
ainsi qu’à la constitution d’une force de police turque assistée par des officiers français. Le général Henri Gouraud dénonce le fait que cette convention ne prévoit pas «la
présence de quelques officiers français dans la gendarmerie chargée de maintenir l’ordre dans les territoires devant revenir à la Turquie», comme il avait été prévu aux paragraphes B et C de l’accord
de Londres. Le paragraphe F de cet accord qui garantissait aux minorités non seulement l’égalité absolue des droits, mais aussi un «équilibre pour la constitution de la gendarmerie et de l’administration municipale»,
est remplacé dans le traité d’Angora par un article VI qui efface à ce sujet toute distinction entre la Turquie et les autres puissances occidentales. Le gouvernement de la Grande Assemblée nationale de Turquie déclare
que «les droits des minorités solennellement reconnus dans le Pacte National seront confirmés par lui sur la même base que celle établie par les conventions conclues à ce sujet entre les puissances de l’Entente,
leurs adversaires et certains de leurs alliés». En dehors de cette vague promesse turque, le traité d’Angora n’offrait aux populations des pays évacués qu’une «amnistie plénière»
à définir. On ne retrouve pas non plus dans l’accord d’Angora le paragraphe G de l’accord
de Londres relatif à la collaboration économique franco-turque et aux concessions à accorder à la France. Ce paragraphe y a été remplacé par une série de lettres du ministre des affaires étrangères
d’Angora à Franklin-Bouillon qui, à part la concession à un groupe français des mines dans la vallée de Harchite, ne contient que des promesses très élastiques. Le traité d’Angora, considéré comme un accord local, ne fut pas soumis par le gouvernement français à la ratification des Chambres. Il
y donna lieu néanmoins à des discussions, tant du point de vue des pertes territoriales qu’il comportait pour la France en comparaison avec le traité de Sèvres, que du point de vue de la situation dramatique qu’il créait
aux Arméniens. À la séance du Sénat français du 27 octobre 1921, Aristide Briand, Président
du Conseil, donna quelques explications sommaires sur l’accord d’Angora. Il insista à nouveau sur la nécessité pour la France, vu l’impossibilité de ramener la paix générale en Orient, de conclure
un accord local avec les Turcs en Cilicie. Et, après avoir constaté que les premières tentatives d’arriver à cet accord s’étaient heurtées «à l’intransigeance de l’Assemblée
d’Angora», mais que depuis les conversations avaient pu être reprises avec la Turquie par l’intermédiaire de M. Franklin-Bouillon, il ajouta : «Nous avons trouvé en Turquie des sympathies ardentes pour la
France, un vif désir et de réparer une faute, en grande partie du reste imposée à ce peuple, et de reprendre les traditions anciennes. L’accord a été signé…». Lors de la discussion qui
eut lieu à la Chambre sur le budget de la Syrie, M. Moutet constata qu’un certain nombre de mesures qui paraissent efficaces pour la protection des Arméniens et qui figuraient dans l’accord du 9 mars 1921 avaient disparu dans celui
du 20 octobre 1921, et il s’inquiéta tout spécialement de savoir si l’organisation de la gendarmerie prévue par le premier accord résultait encore du second. Aristide Briand lui répondit que le gouvernement de
la République avait été amené, dans l’intérêt de la cessation des hostilités, à faire des concessions sur ce terrain. «L’Assemblée d’Angora… »,
dit le Président du Conseil, «…est jeune, ardente, patriote, passionnée ; elle a un souci d’indépendance qu’à sa place vous auriez naturellement. Elle n’a pas voulu laisser handicaper l’avenir
par des organisations militaires sur son territoire. Nous avons discuté longuement, comme il convenait, mais sur ce terrain nous avons pensé que ce genre de précautions pouvait être remplacé par d’autres et qu’une
espèce de contrôle moral, qui n’est pas non plus dépourvu de moyens matériels, pouvait se substituer à l’idée d’une organisation de gendarmerie...» [6].
Au Sénat encore, le 29 décembre 1921, MM. Flandin et de Lamarzelle critiquèrent vivement l’accord d’Angora
comme n’assurant pas la protection des Chrétiens. Ernest Flandin rappela le martyre des Arméniens pendant la guerre, ainsi que les services rendus à la cause des Alliés par ceux d’entre eux qui s’étaient
enrôlés sous les drapeaux français ou qui avaient combattu dans les armées russes et qui, après la débâcle de celles-ci, avaient seuls continué la lutte contre les Turcs. Il rappela au Président
du Conseil ses propres promesses d’entourer l’évacuation do la Cilicie de toutes les précautions indispensables pour la sûreté des Arméniens ; et il constata l’absence, dans l’accord d’Angora,
de toutes ces précautions, remplacées par de simples promesses du gouvernement d’Angora de confirmer les droits des minorités. Il déclara que, dans ces conditions, il comprenait que les populations de la Cilicie se fussent
«senties peu rassurées par cette vague phraséologie». À ces critiques de son œuvre, Aristide Briand opposa la raison d’État. Comme il l’avait déjà fait lors de la discussion de
l’accord de Londres, le Président du Conseil français indiqua la nécessité de mettre une fin aux hostilités et l’impossibilité pour la France de rester en Cilicie, sans y maintenir une armée de 100.000
hommes. Il ajouta que le triomphe définitif des Turcs sur les Grecs – déjà anticipé ! - pourrait éventuellement imposer à la France les frais d’une expédition militaire de 200 à 300.000
hommes. D’autre part, l’accord d’Angora permettait à la France l’exercice paisible de son mandat en Syrie et lui assurait un bénéfice moral dans le monde musulman tout entier, lequel avait accueilli avec enthousiasme
l’entente franco-turque. De la belle phraséologie politicienne qui tente à dissimuler l’abandon par
la France, des privilèges que lui avait reconnus l’accord tripartite signé à Sèvres et un affaiblissement considérable de la protection qui avait été précédemment accordée aux minorités.
Il n’est donc pas étonnant que, dès la signature de cet accord, une panique indescriptible s’empara-t-elle des
populations chrétiennes, qui redoutaient la vengeance des Turcs après que le pays aurait été évacué par les troupes françaises. Le gouvernement français a dès lors essayé de les rassurer.
Le 8 novembre 1921, le général Gouraud lança une proclamation expliquant aux populations que le gouvernement d’Angora leur avait garanti les mêmes droits que ceux généralement concédés aux minorités
dans les pays européens (!!!), et les exhortaient à rester dans leurs foyers. Enfin, MM. Franklin-Bouillon et Laporte, consul de France, de concert avec les autorités turques, organisèrent dans différentes parties de la Cilicie
des réunions avec les représentants de diverses populations chrétiennes pour les convaincre de la suffisance des garanties obtenues et les inciter d’y rester. Objectif raté. Toutes ces fausses assurances verbales de la part des auteurs de féroces massacres dans un passé trop récent ne purent ramener la confiance dans leurs âmes
et enrayer la panique qui s’était emparée des populations chrétiennes de la Cilicie. L’exode continua de plus belle et des torrents de Chrétiens affolés, principalement des Arméniens [7], affluèrent vers les ports de la Cilicie et à la frontière syrienne. Ce fut encore en vain que Franklin-Bouillon, Hamid Bey et Mouheddine Pacha lancèrent, le 28 novembre 1921, une proclamation commune
mettant la population de la Cilicie en garde contre «une campagne méthodique… organisée par les ennemis de la paix pour jeter l’alarme dans les populations chrétiennes et les forcer à quitter la Cilicie»,
et déclarèrent que les deux gouvernements s’étaient «engagés d’honneur à faire respecter les garanties stipulées»… Pendant des semaines, les bâtiments portant les émigrés arméniens errèrent — tels des navires fantômes — dans la Méditerranée,
trouvant porte close en Egypte, en Palestine, à Chypre (alors sous domination britannique). Une partie de ces malheureux finit par être accueillie par la Grèce. Mais le plus grand nombre des fugitifs ne trouva asile que sous le drapeau
tricolore, dans les territoires de la Syrie et du Liban mandatés par la France. Ceux qui ont cru aux pseudo-assurances turques et sont restés sur place seront cruellement massacrés par les turcs peu après l’évacuation
des troupes françaises. Du point de vue kémaliste, l’accord d’Angora est un important succès
diplomatique car il comporte des avantages immédiats pour la Turquie. Mais il marque également une rupture du front allié contre les nationalistes turcs, car il implique une reconnaissance officielle par la France du nouveau pouvoir d’Ankara.
Les forces françaises se retirent définitivement de Cilicie en janvier 1922, après la signature du traité d’Angora conclu avec Mustafa Kemal, mais dès la fin 1920 les nationalistes turcs savent déjà qu'ils
n'ont plus rien à craindre sur ce front. Cela leur permettra de se concentrer désormais sur le front principal gréco-turc. La tache leur sera facilitée par la fourniture d’armement gratuit et le soutien politique qu’ils
recevront des Français ! Quant au gouvernement italien, il donna pendant cette période à la Turquie
d’Angora un nouveau signe de ses bonnes dispositions, en évacuant Adalia au mois de juin 1921 [8]. 3.7 L’accord commercial anglo-soviétique du 16 mars 1921 : un coup de poignard
dans le dos de l’Entente Le 16 mars 1921, un jour avant l’assaut final
contre Kronstadt [9], le gouvernement britannique signa avec la RSFSR à Londres l’accord commercial anglo-soviétique. En ce faisant, les Britanniques rompent aussi avec l’Entente
et reconnaissait de fait le gouvernement bolchevique en échange de la suspension de toute propagande contre les Anglais en Afghanistan et en Inde [10]. Par une curieuse coïncidence, ce 16 mars 1921, c’est-à-dire le jour même où sir Robert Horne et Leonid Krassine échangeaient leurs signatures
à Londres, et quelques jours seulement après la conclusion des accords séparés Briand-Békir Sami et Sforza-Békir Sami, Gueorgui Tchitcherine et Youssef Kémal Bey apposaient leurs sceaux sur le fameux traité
d’amitié turco-soviétique russo-turc de Moscou (cf. infra). 3.8 Le traité d’amitié turco-soviétique du 16 mars 1921 : l’instrument de vengeance de Lénine pour l’appui
des Alliés aux Russes blancs Si le rôle des Soviets dans
l’avènement même du Kémalisme ne peut être encore déterminé avec précision, aucun doute n’est toutefois possible en ce qui concerne l’importance de l’appui que le mouvement nationaliste
turc, une fois déchaîné, trouva auprès de la Russie communiste [11]. Dès son triomphe en Russie, la République des Soviets avait inauguré une politique orientale qui visait au soulèvement de tous les peuples orientaux contre l’«Impérialisme» des puissances
occidentales. Elle était tout particulièrement dirigée contre la domination de l’Angleterre aux Indes. Se rendant bien compte que l’Orient, si arriéré au point de vue économique, ne présentait pas
un sol propice pour une propagande et une révolution purement communiste, le gouvernement de Moscou se déclara un ardent partisan du droit de tous les peuples de l’Orient à l’autodétermination. Le 24 novembre 1917, le gouvernement des Soviets publia une proclamation «à tous les travailleurs musulmans de la Russie et de l’Orient»,
qui garantit aux Musulmans russes l’autonomie de leur vie nationale et culturelle et déclara abolis le traité anglo-russe sur les zones d’influence en Perse, ainsi que les traités secrets de la Russie avec les puissances occidentales
sur la cession de Constantinople, le partage de la Turquie et l’annexion de l’Arménie. Le 31 octobre 1918,
la Ligue pour La libération de l’Orient se constitua à Moscou. Cette Ligue avait pour but d’unifier toutes les tendances particulières de l’Orient, réveillé pour une nouvelle vie, afin de créer de
cette manière un front unique de l’anti-Impérialisme dans l’Asie même, berceau de l’Impérialisme. Sa tactique consistait à s’appuyer sur les prolétaires exploités de l’Orient, qu’elle
organiserait afin de détruire les régimes despotiques et de créer une Internationale de l’Orient. Elle devait, en même temps, pour éviter l’éclosion d’un Impérialisme asiatique, favoriser la
fondation d’États-Unis de l’Asie sur la base de la souveraineté des peuples. L’émancipation nationale devait être accompagnée de l’émancipation sociale, qui paraissait possible malgré
l’état économique arriéré de l’Orient. Les événements prouvèrent
que l’idée de l’émancipation des peuples, absolument contraire aux tendances centralistes du Bolchévisme, ne fut pour les Soviets qu’un moyen de réaliser leur propre «Impérialisme communiste».
Mais, au commencement de leur règne, les Soviets étaient bien forcés de se poser en émancipateurs des peuples musulmans de la Russie, aussi bien pour s’assurer leur appui dans la lutte contre les Blancs que pour créer
au Bolchévisme le prestige nécessaire auprès des peuples asiatiques. Ils réussirent à atteindre ces deux buts. La politique libérale des Soviets envers les peuples musulmans de la Russie ne fut cependant pas de longue durée. Après leurs victoires sur les armées blanches en 1920-1921, les Bolcheviks établirent le
régime soviétique dans tous les territoires musulmans de l’ancienne Russie, en l’accompagnant d’exactions et de persécutions suivies de soulèvements et de répressions sanglantes. Cette soviétisation
forcée ne laissa aux peuples musulmans qu’une certaine autonomie régionale et non pas nationale, sur laquelle le gouvernement des Soviets établit un contrôle de plus en plus étroit. Mais les contradictions de la politique orientale bolchévique éclatèrent surtout sur les confins de l’ancien Empire russe voisinant avec le monde musulman
extérieur, notamment dans le Caucase. Dans l’Azerbaïdjan, les Bolcheviks se trouvèrent en face de la vision pantouranienne qu’ils entendaient exploiter à leur profit, mais qui se tournait souvent contre eux-mêmes.
La République tatare de l’Azerbaïdjan, occupée par les Anglais après l’armistice de Moudros, était devenue un État vassal de la Turquie, à laquelle la liait une convention militaire secrète,
conclue en 1919. Après la défaite de Denikine et le départ des Anglais, le gouvernement azerbaïdjanais développa une politique nationaliste prononcée. Cependant les Soviets, qui jouissaient des sympathies des ouvriers
russes et arméniens des puits de pétrole, avaient su en même temps, par une habile agitation, disposer en leur faveur une partie de la population musulmane. Aussi réussirent-ils à s’emparer de Bakou le 27 avril 1920
presque sans coup férir. Mais, comme toujours, leur victoire dans l’Azerbaïdjan fut suivie de réquisitions, d’insurrections et de répressions impitoyables ; après quoi les Bolcheviks recommencèrent leur jeu
de coquetterie avec le nationalisme musulman. Pendant l’été de 1920, Enver Pacha fit d’ailleurs un voyage de Berlin à Moscou et y posa les jalons d’une alliance turco-russe. Durant ce même été, Mustafa
Kemal et Tchitcherine échangèrent, des Notes au sujet de «la lutte commune contre l’Impérialisme étranger qui menace les deux pays». Début septembre 1920, le Congrès des peuples orientaux
eut lieu à Bakou, où sur 1891 délégués, on compta 235 délégués turcs. Ce Congrès ne s’occupa guère du sort des peuples musulmans de la Russie, mais il accueillit avec enthousiasme
l’appel que lança Zinoviev sur la nécessité de déclarer la guerre sainte à l’Impérialisme. Zinoviev n’épargna pas toutefois dans ses critiques le gouvernement d’Angora, auquel il reprocha
le maintien du Sultanat. Dans sa résolution, le Congrès déclara que la direction de la lutte pour la liberté
des peuples orientaux passait entre les mains du prolétariat communiste. Et un «Conseil de la propagande et de l’action des peuples d’Orient» fut créé avec siège à Bakou. Comme on le voit, le Bolchévisme n’a nullement caché que l’idée de l’auto-disposition des peuples d’Orient était
pour lui un moyen, et non pas un but. Un communiste d’importance comme Boukharine l’a déclaré expressément au 8e Congrès du parti communiste russe. Et l’idéologue principal de la politique bolchéviste
d’Orient, Michel Pavlovitch, dans une célèbre brochure intitulé «Les questions de la politique nationaliste et coloniale de la IIIe Internationale», parue en 1920, expliqua clairement que la libération
des peuples d’Orient, pour être réelle, devait être accompagnée de la chute des classes capitalistes indigènes, car autrement tous les États libérés commenceraient, sans nul doute, les uns avec les
autres, des guerres nationalistes sans merci. Quant aux Turcs, Pavlovitch s’est parfaitement rendu compte que la Turquie
d’Enver-Pacha avait été impérialiste et que celle de Kemal ne saurait être non plus pour les Soviets un fidèle et sûr allié. D’où son affirmation que «l’alliance avec la Turquie
de Kemal, ne peut avoir qu’un caractère temporaire». Il est évident qu’en présence
de ces déclarations, le gouvernement d’Angora ne pouvait se faire la moindre illusion sur les buts finals de la politique des Soviets. Il savait parfaitement que, le cas échéant, il serait «soviétisé», aussi
bien que l’Azerbaïdjan. Et, de son côté, il ne renonçait aucunement à l’idéal pantouranien. Mais en attendant, il trouvait son profit dans la réalisation du but plus immédiat de la politique
de Moscou, à savoir la destruction en Asie du pouvoir des Alliés et surtout de l’Angleterre. C’est pourquoi Mustafa Kemal ne pouvait refuser l’alliance des Soviets, qui fut scellée par le traité d’amitié
turco-soviétique du 16.03.1921 [12]. Il en retira d’ailleurs d’appréciables profits. L’Arménie indépendante, comme nous l’avons indiqué plus
haut, fut écrasée par une attaque combinée des Bolcheviks, des Turcs et des Tatares, et, tout en tombant sous le régime soviétique, elle dut céder à la Turquie, par le traité d’Alexandropol (02.12.1920),
les deux tiers de son territoire. Ainsi, l’entente, qui s’établit pendant la période de 1919-192 entre les pouvoirs kémaliste et bolchévique, avait été avant tout une collusion. Tout en trouvant leur profit
à agiter devant les Alliés le spectre d’une alliance formidable qui pourrait jeter finalement tous les peuples d’Asie sur l’Europe, Bolcheviks aussi bien que Kémalistes s’observaient craintifs, chacun étant
prêt à profiter du premier signe de faiblesse de l’autre. C’est le jeu continuel des forces
soviétique et kémaliste, qui tantôt se rapprochaient et tantôt s’éloignaient l’une de l’autre, qui a le plus faussé la politique des gouvernements occidentaux vis-à-vis de la Turquie et de la
Russie soviétique pendant cette période. Car ces gouvernements ont eu la vision fallacieuse que la Turquie musulmane ne pouvait être un allié des Soviets, que la rupture entre bolchévisme et kémalisme était imminente
et ils ont tenté des efforts maladroits pour la hâter. Ainsi, l’Angleterre s’est lourdement trompée
en pensant qu’en nouant des relations commerciales avec les Soviets on les amènerait à renoncer à leur propagande révolutionnaire dans le monde musulman de l’Asie. Les rappels du gouvernement britannique au gouvernement
soviétique sur la «propagande», après la signature de l’accord anglo-soviétique du 21.03.1921, sont innombrables. La «propagande» est à l’origine des plus grandes crises dans les relations entre
les deux pays : la crise de 1921, l’ultimatum de Curzon de 1923, la crise de la «lettre de Zinoviev» [13] et finalement la rupture (1927). Et non moins grave fut l’erreur
de la France qui traita avec le Kémalisme dans l’espoir de le détacher de l’alliance avec le Bolchévisme par quelques concessions territoriales en Cilicie, alors que celui-ci devait trouver conforme à ses visées
révolutionnaires de soutenir massivement tant financièrement que militairement les Turcs dans leurs efforts de déloger les Alliés de tous les anciens territoires de l’Empire ottoman. Malheureusement, les Alliés durent bientôt se rendre compte que Turcs et Bolcheviks étaient également incapables de mesurer à
leur juste valeur les démarches pacifiques qu’ils entreprenaient à leur égard et qu’ils ne considéraient les accords de Londres que comme des succès dus à la faiblesse des Alliés, ainsi qu’à
la crainte salutaire inspirée par leur union. Et, très naturellement, un pareil état d’âme devait amener Angora et Moscou à resserrer davantage leurs liens, dans l’espoir d’arracher aux Alliés de nouvelles
concessions. C’est exactement ce qui s’est passé avec le Traité franco-turc du 20.10.1921. La politique
des Alliés ne put, à temps utile, se rendre compte ni du degré de la haine commune de l’Occident qui alimentait l’étrange alliance de Moscou et d’Angora, ni de la nécessité de combattre simultanément
les deux co-associés afin de les maîtriser, au lieu de les ménager successivement. C’est aussi que cette politique occidentale ne sut discerner le rôle qu’aurait pu jouer, dans l’intérêt de la sécurité
en Europe et de la paix mondiale, un fort État arménien tampon entre le Bolchévisme et le Kémalisme dans le Caucase, et un fort État grec aux frontières de l’Europe avec l’Asie. Dr. Angel ANGELIDIS
Ex-Conseiller au Parlement Européen Bruxelles, juillet 2015 Notes de bas de page [1] Certains analystes y voient la main d’une vaste conspiration visant à éviter aux Alliés les frais d’une
occupation armée prolongée de l’Empire ottoman qui comportait pour eux les risques d’un «Djihad» à déclencher par les musulmans opprimés de l’Asie-mineure et du Moyen-Orient.
Les Alliés auraient alors sciemment appuyé Mustafa Kemal - qui d’après certaines sources fut un adepte de la communauté secrète des «Dönmeh» (issus d’une communauté séfarade
expulsée alors d’Espagne et venue s’établir dans la Grèce sous domination ottomane ), un franc-maçon et un agent secret britannique - de renverser le régime traditionnaliste du sultan et de le remplacé
par un régime révolutionnaire occidentalisé et «laïque», avec lequel ils pourraient ensuite faire des affaires en toute sécurité. L’évolution des évènements fait beaucoup
réfléchir sur la crédibilité de cette hypothèse… [2] Une «fatwa» est, dans l'islam, un avis juridique donné par un spécialiste de loi islamique sur une question particulière. En règle générale,
une fatwa est émise à la demande d'un individu ou d'un juge pour régler un problème où la jurisprudence islamique n'est pas claire. Dans les pays où la loi islamique est la base du droit civil et droit pénal,
les fatwas sont débattues par les prélats nationaux avant d'être émises, après qu'un consensus a été obtenu. Dans ces cas, ils sont rarement contradictoires et ont force de loi. Exemple : La fatwa demandant l'assassinat
de Salman Rushdie, auteur du roman «Les Versets Sataniques». [3]
Ville portuaire de la Cilicie (en grec Μερσίνα), nommée Zephyrion (en grec ancien Ζεφύριον) durant l’époque des Seleucides, connue au nom latinisé de Zephyrium durant
l’époque Romaine. [4] Clemenceau et Briand sont
devenus des adversaires durant la Première Guerre mondiale. Clemenceau a dit de lui qu'il était un «imbécile». (Source : wikipedia). [5] Cf. André Mandelstam «La Société des Nations et les Puissances devant LE PROBLÈME ARMÉNIEN»,
Chapitre X «Les accords séparés de Londres et le traité turco-russe de Moscou». http://www.imprescriptible.fr/mandelstam/c10
[6] Cf. André Mandelstam «La
Société des Nations et les Puissances devant LE PROBLÈME ARMÉNIEN», Chapitre XII «L’accord franco-turc d’Angora du 20 octobre 1921 et l’exode des Arméniens de la Cilicie».
http://www.imprescriptible.fr/mandelstam/c12 [7] Selon des estimations, la population arménienne de la Cilicie à l’époque
était de plus de 300.000 âmes, suite à l’afflux des rescapés du génocide d’autres régions de l’Empire ottoman. L’importance de la population arménienne était telle que pendant
un moment les autorités françaises songèrent d’établir un Foyer national arménien en Cilicie (appelée d’ailleurs «petite Arménie»).
[8] Ville fondée en 150 av. J.-C. par Attale II, roi de Pergame, qui l'appela Attaleia (en grec Ἀττάλεια,
actuelle Antalya). Depuis Adalia, les Italiens collaboraient avec les forces nationalistes turques et leurs fournissaient des informations concernant le mouvement des troupes grecques sur le front d’Anatolie… [9] La révolte de Kronstadt contre le pouvoir bolchevique s'est déroulée
en Russie soviétique en mars 1921. Les révoltés étaient notamment des marins révolutionnaires, qui avaient formé l'avant-garde de la révolution bolchevique de 1917 et qui revendiquaient contre le parti bolchevik
que les conseils ouvriers puissent déterminer librement le déroulement de la révolution. La révolte fut écrasée par une intervention de l’armée rouge, sous les ordres de Mikhaïl Toukhatchevski, décidée
par Trotsky, qui fut suivie d’une répression sanglante des insurgés. Ces événements et leur interprétation sont un objet de désaccord au sein des mouvements révolutionnaires. À l'époque des
faits, le débat a opposé les socialistes-révolutionnaires et les anarchistes aux bolcheviks. Les premiers considéraient la révolte de Kronstadt comme légitime et émanant du peuple, pouvant déboucher sur
une démocratie directe, fédérale, réelle, et les derniers la présentaient comme «bourgeoise» et risquant de déboucher sur une invasion des armées blanches. La révolte débuta le 2 mars
1921 et fut vaincue militairement deux semaines plus tard. [10] Cet
accord fut l'un des premiers accords que le nouveau pouvoir soviétique signa avec les principaux pays du monde. Peu de temps après, le 6 mai 1921, fut signé l’accord de commerce germano-soviétique, accord dans lequel Berlin
a reconnu de facto la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) comme le seul gouvernement légitime de l'Etat russe. [11] Une preuve de cette importance est donnée par le monument Cumhuriyet Anıtı (ou Monument de la République), placé sur la place
Taksim, à Istanbul pour commémorer la création de la République turque en 1923. Il a été conçu par le sculpteur italien Pietro Canonica et construit en deux ans et demi par l'architecte Giulio Mongeri en pierre
et en bronze 84 tonnes ramenées de Rome. Mikhaïl Frounze, un important leader de la Révolution d'Octobre, et Kliment Voroşilov, un maréchal de l'Union soviétique, sont parmi le groupe derrière Mustafa Kemal Atatürk.
Leur présence dans le monument, ordonnée par Mustafa Kemal Atatürk, est un éloge à l'aide militaire accordée par Vladimir Lénine pendant la guerre gréco-turque en 1920-22. [12] Ce traité fut précédé par la conclusion, à Moscou même,
de deux traités significatifs avec l’Afghanistan. En effet, à la date du 28 février 1921, la Russie rouge signait un traité avec ce pays assurant à l’Afghanistan l’aide russe, financière et autre,
stipulant la création de consulats et affirmant le principe de la liberté des nations de l’Orient. Un traité entre la Turquie et l’Afghanistan fut encore signé, également à Moscou, le 1er mars suivant.
Ce traité proclama, lui aussi, le principe de l’indépendance de tous les peuples de l’Orient et stipula une assistance mutuelle contre la politique d’invasion et d’exploitation des puissances impérialistes ; plus
nettement que dans le traité avec la Russie, l’Afghanistan recevait la promesse de l’aide militaire de la Turquie et de l’envoi d’instructeurs turcs ; enfin, par un article significatif, l’Afghanistan reconnaissait la Turquie
comme «guide de l’Islam». [13] La
«lettre de Zinoviev» est une lettre, prétendument écrite par Grigori Zinoviev, alors encore membre du Politburo et chef du Comintern, qui appelle à la mutinerie des forces armées britanniques et encourage les travailleurs
à la révolution socialiste. Publiée à la fois par le gouvernement et par le Daily Mail le 25 octobre 1924, cette lettre, aujourd’hui reconnue comme un faux, déchaîne les passions à l’automne 1924.
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