L'autoproclamé "patriarche de Kiev" Philarète (né Mykhailo Antonovytch Denysenko à Blagodatnoye, dans la région de Donetsk, le 23 janvier 1929), est un ancien ecclésiastique du Patriarcat de Moscou, parvenu au poste d'Évêque à l'époque soviétique grâce au soutien de dirigeants du KGB qui tenaient à avoir un religieux "contrôleur" dans l'Église. Suite à la chute de l'Union soviétique, il a d'abord été suspendu du sacerdoce en raison de sa conduite immorale, puis défroqué et excommunié en 1997 en raison de son refus de se soumettre aux décisions de l'Église et pour avoir violé les canons ecclésiastiques. (Source: Wikipédia).
1. Généralités
Le sujet de l’appartenance religieuse est très peu évoqué,
alors qu’il a une importance majeure dans les évènements récents en Ukraine.
Il convient de rappeler que toutes les églises ukrainiennes actuelles, sauf celles dépendant directement du patriarcat de Moscou, se sont rangées du côté nazi après le début de l'opération Barbarossa.
Elles ont aussi participé à l'extermination de juifs, soit par leur silence coupable, soit en encourageant l’antisémitisme. Les deux “pires” étaient, selon les auteurs, l’église uniate –
dont des membres organisèrent des remerciements à Dieu après un massacre de 229 juifs à Khmelnika – et l’église autocéphale ukrainienne – qui alla jusqu’à bénir les forces
de police ukrainiennes partant commettre un massacre]… Soit les deux qu’on retrouva le plus à Maïdan en 2013/14…
Par ailleurs, le fait que les nationalistes ukrainiens néonazis très actifs dans les manifestations de Maïdan ont été largement appuyés par des prêtres a été
très peu relevé par les médias occidentaux – ou alors uniquement dans un sens prétendument positif, de «protection des manifestants démocratiques» (?). Il faut cependant rappeler que beaucoup de
prêtres de Galicie sont des nationalistes membres du parti ukrainien nationaliste et néonazi d'extrême droite "Svoboda". Et pas seulement membres inactifs… Ils accompagnant toutes les cérémonies
à la gloire des glorieux ancêtres de l’UPA et des Waffen SS.
Selon une enquête du Centre Razmukov de 2003, environ 75 % des Ukrainiens croient en Dieu. Cependant 60 % de ceux-ci se déclarent “athée ou dans l’incapacité de s’identifier à une religion précise”.
Parmi les 40 % de croyants clairement déclarés, plusieurs religions cohabitent ou s’affrontent, réparties de la façon suivante: Orthodoxes [1]: 70 %, Catholiques: 15 %, Protestants: 3 %, Musulmans:
1 %. Il ne reste enfin que 0,1 % de Juifs dans le pays, cette population ayant été durement frappée par les occupants allemands durant la Seconde Guerre mondiale et beaucoup de Juifs ayant émigré depuis lors en Israël.
Il est intéressant d’observer l’évolution sur les croyances des Ukrainiens au cours de
la 1ère décennie des années 2000. Dans une autre enquête du Centre Razmukov de 2011, d’un côté il y a eu une augmentation progressive de ceux qui se déclarent croyants (71,4 %, soit 13 % de plus
qu’il y a dix ans), ce qui ferait de l’Ukraine un des pays les plus pieux d’Europe. En même temps, il y a eu une véritable explosion du nombre des communautés religieuses (groupes, communautés, paroisses, etc.),
qui est grimpé jusqu’à plus de 35.000 en 2010, soit 29.000 de plus qu’en 1985. Aussi le nombre de ceux qui déclarent ne pas croire au pouvoir de protection et thaumaturgique des icônes et des amulettes s’est réduit
de moitié au cours des 10 dernières années: de 45,8 % à 22,8 % (ceux qui déclarent y croire sont passés de 43,8 à 63,1 %). Cependant, le pourcentage de ceux qui fréquentent régulièrement
les messes est très bas (18 % selon la même enquête) et presque 30 % de ceux qui se définissent comme chrétiens ne croient pas en la vie après la mort. Ces contrastes démontrent l’ambigüité du
processus de la renaissance religieuse dans les sociétés post-athées.
Selon une
enquête du Centre Razmukov de 2006, trois églises se partagent le plus grand nombre de fidèles, à savoir l'Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Kiev (EOU-PK), l'Église orthodoxe en Ukraine rattachée
au Patriarcat de Moscou (EOU-PM), et l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine, avec 15%, 11% et 5,3% des croyants respectivement. La première est une église orthodoxe canonique dépendant du Patriarcat de Moscou,
la deuxième une église orthodoxe non-canonique indépendante en quête de reconnaissance et la troisième une église orthodoxe non-canonique déguisée (uniate) soumise à l'autorité
du Pape.
Le niveau de tolérance religieuse est plutôt élevé: plus de 75 %
des Ukrainiens pensent que toutes les religions ont le droit de subsister (et 10 % seulement sont d’avis contraire). Cela est conséquence de la loi sur la «liberté de conscience et les organisations religieuses» que le nouvel
État indépendant s’est donnée dans l’ère postsoviétique et qui est inspirée par la laïcité de l’État et la séparation entre l’État et les Églises; son
contenu avait été préparé avec la collaboration de la Commission Européenne. On peut cependant observer une volonté rampante du gouvernement ukrainien indépendant de promouvoir la prédominance d’une
église orthodoxe ukrainienne totalement séparée de l’église orthodoxe russe. Dans ce cadre, les deux Églises nationalistes orthodoxes non-canoniques (l’Église orthodoxe autocéphale ukrainienne et
l'Église orthodoxe ukrainienne, Patriarcat de Kiev) ont reçu un appui de la part des anciens présidents, surtout du leader «orange» Iouchtchenko, qui a ainsi en 2008 confié à l’Église
orthodoxe autocéphale ukrainienne (malgré les protestations de l’EOU-PM) l’église de Saint André, à Kiev, joyau de l’architecture baroque.
Dans le cadre de l’entremêlement du politique et du religieux, on note une progression inquiétante du problème des sectes, ou du prosélytisme,
qui peut être reproché à une vaste gamme de confessions, les protestants en premier lieu, mais aussi les catholiques et les orthodoxes autocéphaliques. Ce processus se déroule en parallèle avec la diffusion d’une
laïcité et d’une modernité liées à la globalisation culturelle promue par l’occident, dont le mouvement «Femen», bien connu à l’étranger, est l’expression la
plus bruyante, malgré le discours public récurrent à propos du problème.
La situation se complique davantage du fait des divisions internes chez les chrétiens, fruit des conflits historiques. Lors de l’introduction de la foi chrétienne aux peuples slaves païens en 988 par le Grand Prince du Rus' de Kiev
Vladimir Ier (canonisé Saint et honoré le 15 juillet), la ville historique de Kiev était considérée comme le centre religieux de tous les slaves orientaux. Mais par la suite, en conséquence de la disparition
de la Rus' de Kiev en 1240 et de l’annexion de ses terres à l’est du Dniepr par l’Empire de Russie et à l’ouest du Dniepr par le Grand-duché de Pologne et de Lituanie et l’Empire des Habsbourg, les orthodoxes
d’Ukraine devaient faire partie de l’Eglise orthodoxe russe (patriarcat de Moscou), alors que les catholiques et les "uniates" [2] se
soumettaient à la juridiction du Pape de Rome.
A la fin du XVIe siècle, les forces venues
de l’Ouest et appuyées par les papes de Rome réussissent à reconquérir des territoires orthodoxes et à faire avec eux une «union» (unya) authentifiée par le Conseil de Brest-Litovsk (1596)
qui donne acte de naissance de l’Eglise gréco-catholique dite «uniate». S’ouvrent alors quatre siècles de violents affrontements entre orthodoxes et catholiques. Se placer dans la juridiction de l'Église
de Rome avait l'avantage, pour les fidèles orthodoxes concernés, d'en faire des sujets à part entière dans les états fermement catholiques tels que la Pologne ou l'Empire d'Autriche où les orthodoxes étaient souvent
considérés comme des sujets de second ordre. Cette reconquête catholique dans les terres orthodoxes de l’Est européen et des Balkans est restée une écharde dans la mémoire orthodoxe jusqu’à
aujourd’hui.
2. Les Églises orthodoxes
2.1 L'Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Kiev
L'Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Kiev (EOU-PK)
a été créée en juin 1992 par le métropolite Philarète de Kiev (né Mykhailo Antonovytch Denysenko à Blagodatnoye, dans la région de Donetsk, le 23 janvier 1929), par sécession
de l'Église orthodoxe russe intervenue après son retrait de la direction de la métropole de Kiev et de toute l'Ukraine du Patriarcat de Moscou, ainsi que d'une fraction de l'épiscopat de l'Église orthodoxe autocéphale
ukrainienne (cf. infra) qui l’a suivi dans son mouvement rebelle contre l’église orthodoxe canonique russe .
Philarète de Kiev est un ancien ecclésiastique connu du Patriarcat de Moscou, ordonné prêtre en juin 1951. Il est parvenu au poste d'Évêque de Kiev à l'époque soviétique
grâce au soutien de dirigeants du KGB qui tenaient à avoir un religieux "contrôleur" dans l'Église. D'après le dissident soviétique prêtre Gleb Yakunin, Philarète était en même temps un agent
du KGB avec le nom codé "Antonov". Fort de ce soutien politique, Philarète a durement persécuté des églises et ecclésiastiques dissidents durant l'époque soviétique et il avait même
déclaré que les "uniates" ne seraient jamais admis en Ukraine...
Pendant les temps soviétiques,
Philarète apparaissait donc comme un fidèle inconditionnel du patriarcat de Moscou, mais il fut grandement déçu de ne pas avoir été élu successeur du patriarche russe Pimen I décédé
le 03.05.1990 (remplacé en fait par le Métropolite de Leningrad Alexei, devenu patriarche Alexei II).
Après la dislocation de l'URSS et l'indépendance de l'Ukraine fin 1991, Philarète change de camp et passe aux cotés des nationalistes ukrainiens. Son objectif est de se maintenir sur le trône
du patriarcat de Kiev, mais pour cela il lui faut une propre église indépendante du patriarcat de Moscou qu'il déteste car il lui a échappé. Il œuvre donc activement dans les milieux religieux à l'intérieur
et à l'extérieur de l'Ukraine pour la création, sous son contrôle, d'une église orthodoxe ukrainienne indépendante du patriarcat de Moscou.
Pour cela, il s’appuie sur l'Église orthodoxe autocéphale ukrainienne (EOAU) qui est reconstituée en mai 1990 et organisée nominalement
sous la direction de Mstislav Skrypnik, âgé de 94 ans. Ce dernier était le neveu de Simon Petlioura (un autonomiste puis indépendantiste ukrainien qui a lutté contre l’armée rouge
et l’armée blanche durant la révolution russe de 1917 à 1920) et fut seulement ordonné en 1942 durant l’occupation de l’Ukraine par la Wehrmacht. Comme Mstislav séjournait en Amérique du Nord, Denysenko
dirigeait de fait l’EOU-PK en Ukraine. Mstislav mort en 1993, Vladimir Romanyuk (un ancien indépendantiste OUN) est nommé comme premier Hiérarque. Peu après, Romanyuk et Denysenko rompent avec l'EOAU
et fondent l’EOU-PK. Romanyuk meurt dans des circonstances mystérieuses en 1995 à l'âge de 70 ans, soi-disant à cause d’une crise cardiaque, mais beaucoup pensent qu'il était victime d'un complot ourdi par Denysenko.
Personnage très contesté, Philarète (contrairement à ce que son nom ecclésiastique
choisi indique: en grec "Φιλάρετος" = "amoureux de la vertu"), aurait eu des relations avec des milieux non réputées par leur moralité et il serait même marié et
père d'enfants, ce qui est prohibé pour un évêque en orthodoxie. En dépit de ces critiques, Denysenko parviens à survivre dans les milieux ecclésiastiques et parvient à se faire élire
à la tête de l'EOU-PK en juillet 1995.
L'EOU-PK de Philarète se réclame orthodoxe
canonique, ce qui n’est pas exact compte tenu du fait qu’elle ne respecte ni le rite, ni le canon, ni les dogmes de l'Eglise Orthodoxe officielle, raison pour laquelle elle n’est pas reconnue en tant que telle ni par les par les autres Églises
formant la «Communion orthodoxe», ni par le patriarche orthodoxe de Constantinople. La création puis l’expansion de cette église non-canonique fut encouragée par des partis politiques nationalistes de l’Ukraine,
dans le cadre de leur approche idéologique générale anti-russe. Elle forme partie de leur stratégie de forger une nouvelle identité ukrainienne fondée sur des concepts civils et religieux anti-russes.
Philarète Denysenko l'a bien compris et il s'est aligné complètement à cette nouvelle orientation
politique qui convenait parfaitement à ses propres intérêts et attentes. Ainsi, le 25 août 2010, Denysenko attribua à Oleh Tyahnybok - chef de l’Union panukrainienne «Liberté»
(en ukrainien, Всеукраїнське об’єднання «Свобода», Vseukrainske ob'iednannia «Svoboda»), parti ukrainien nationaliste et néonazi d'extrême droite, fondé en 1991 - la distinction de l’Ordre du Saint-Vladimir,
troisième classe, en reconnaissance de «son action méritoire dans le rétablissement de la spiritualité ukrainienne et la réaffirmation de l’Église Orthodoxe Ukrainienne»...
Comme récompense à sa fidélité et services rendus aux indépendantistes, Denysenko
a obtenu comme siège de son église la prestigieuse cathédrale de Saint-Volodymyr, bâtie au milieu du XIXème siècle dans le cadre de la reconstruction architectonique de Kiev, voulue par les tsars après le troisième
partage de la Pologne pour redonner à la ville la splendeur et le mysticisme d’une «Jérusalem russe».
La réponse du patriarcat de Moscou aux agissements de Denysenko n'a pas tardé à venir. Philarète a d'abord été suspendu du sacerdoce pour conduite immorale (parmi les faits
reprochés y figurent des relations extra-conjugales avec des femmes débauchées...), puis défroqué et excommunié en 1997 en raison de son refus de se soumettre aux décisions de l'Église et pour avoir violé
les canons ecclésiastiques [3].
L’Eglise orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Kiev - une église non-canonique, dissidente, nationaliste et anti-russe - est présente en Ukraine très majoritairement dans la partie occidentale, et dans la diaspora ukrainienne. L’EOU-PK
reste l’un des maillons les plus profonds de la résistance ukrainienne indépendantiste à l’influence russe. Le clergé de l’EOU-PK a été accusé [4]
d’avoir participé à des évènements organisés par des partis d’extrême droite ukrainienne (messes à la commémoration des soldats morts de la Division Waffen SS "Galizien" et
d'autres collaborateurs ukrainiens de l'Allemagne nazi) et il a soutenu activement les protestations de l’Euromaïdan.
Après le coup d’état de février 2014 et la mise sur place du nouveau régime nationaliste ukrainien appuyé par les USA et l’UE, Philarète Denysenko vise l’objectif d’hisser l'EOU-PK au
niveau de l’unique église nationale ukrainienne. Il a déjà présenté aux nouvelles autorités installées à Kiev ses excuses pour son mauvais comportement vers eux durant l’époque
soviétique et il les a rejoints à leur hystérique campagne anti-russe: il a ainsi récemment traité Vladimir Poutine de menteur, d’un nouveau Caïn et de quelqu’un envahi par le Satan
comme Judas l’Iscariote [5]. Manifestement de tels agissements et propos calomnieux ne sont pas dignes d’un ecclésiastique, notamment compte tenu
de son passé peu élogieux… De plus, Philarète Denysenko a entrepris des missions politiques de soutien en faveur du nouveau régime nationaliste de Kiev; ainsi, en février 2015, il s'est rendu aux
États-Unis, où il a décoré le sénateur John McCain - tristement célèbre pour ses interventions maladroites en faveur des putschistes nationalistes extrémistes ukrainiens - d'un ordre
ecclésial (faux) "pour le soutien qu'il a accordé à l'Ukraine lors des évènements du Maïdan et de l'occupation de la Crimée et du Donbass". Violant le principe théologique chrétien
fondamental «aimez les uns les autres», Denysenko a même demandé aux États-Unis des armes pour l’Ukraine et ce, afin de tuer des ennemis Russes !!!.
2.2 L'Église orthodoxe autocéphale
ukrainienne
Une autre Église orthodoxe non canonique est l'Église orthodoxe autocéphale ukrainienne (EOAU), qui est née en 1920 d’un mouvement qui refusait le rattachement de l’Église
ukrainienne à Moscou et qui déclare son origine canonique de l'Église orthodoxe de Pologne. Ayant été réprimée durant l’ère soviétique, l'ÉOAU renaît en avril 1990 en Ukraine
centrale notamment suite à l’action de l’l'archiprêtre Oleg Kulik. Le 18 novembre 1990 dans la cathédrale de Sainte-Sophie à Kiev le patriarche de Kiev et de toute l'Ukraine Mstislav (Skrypnik), de la
ligne épiscopale de l'Église orthodoxe polonaise, est intronisé. Depuis cette époque, Mstislav non seulement devient le premier patriarche de cet église, mais il réunifie aussi temporairement l'ÉOAU en
Ukraine avec l'ÉOU aux États-Unis et la diaspora [6], auparavant seulement branche canonique de l'Église orthodoxe polonaise.
Le 26 juin 1992, l’administrateur des affaires métropolite Anthony (Masendych) conspire et appuie l'initiative
du président Kravtchouk de transférer tous les biens de l'ÉOAU sous l'autorité de Philarète Denysenko. Le 11 juin 1993 le patriarche Mstsislaw décède. Se voyant mourir, le patriarche, s’estimant trahi,
demande par testament que l'ÉOAU n'accueille pas l'ancien métropolite de l'ÉOR Philarète Denysenko, privé de dignité par son propre Église. Philarète Denysenko fonde alors sa propre église, l’EOU-PK,
suivi par Vladimir Romanyuk et une partie de l'épiscopat de l'EOAU. Le reste de l'EOAU, qui n'a pas suivi le tandem Romanyuk-Denysenko, choisissent comme nouveau patriarche Dymytry (Yarema).
En octobre 2002 à Cleveland (Ohio, USA), se tient le Concile des archevêques de l'EOA-Sobornopravna de l'Amérique du Sud et
du Nord, qui décide la chirotonie – intronisation de Mgr Velyka Moise (ex Oleg Kulik) au rang de Métropolite du Kiev et de toute la Rus-Ukraine. Le métropolite Moise est envoyé en Ukraine «pour la
rénovation du Métropole de Kiev et la renaissance de l'EOAU-Sobornopravna avec le droit de l'administration complète et la tutelle spirituelle…». En 2005, l'EOAU-Sobornopravna de l'Amérique du Sud et du Nord devient
l'EAOU de l'Amérique du Sud et du Nord et de la diaspora, présidée par le métropolite Michael (Yavchak-Champion), et s'unit avec l'EOAU en Ukraine, en reconnaissant le métropolite Mefodiy
(Kudriakov) comme premier hiérarque. L'ÉOAU-Sobornopravna en Ukraine, présidée par le métropolite Moise acquiert alors le statut d'une juridiction indépendante. Le 18.06. 2005, le métropolite Moise est élu
par son épiscopat et ses fidèles et intronisé au rang de patriarche de Kiev. L'intronisation a lieu au sanctuaire orthodoxe ukrainien, la cathédrale de Sainte-Sophie à Kiev. Son mouvement prend le nom d’EOAU-Canonique
et il réclame son origine canonique de Kiev-Rus Métropole et non plus de l’ l'Église orthodoxe de Pologne. Un rapprochement avec le patriarcat orthodoxe de Constantinople est tenté. Toutefois, divisée et affaiblie,
l’EOAU reste isolée car son autocéphalie autoproclamée n’est pas reconnue par les autres Églises formant la «Communion orthodoxe» (elle fut en effet reconnue par le patriarcat œcuménique
de Constantinople hors des frontières de l’Ukraine, mais non reconnue en Ukraine). L’EOAU est présente majoritairement dans la partie occidentale de l’Ukraine, sans toutefois atteindre l’importance de l’EOU-PK ou
de l’église gréco-catholique d’Ukraine, et aussi dans la diaspora ukrainienne. Le chef de l'Église porte le titre de Patriarche de Kiev et de toute l'Ukraine, avec résidence à Kiev (titulaire actuel: le Métropolite
Méthode / Mefodiy (Kudriakov) depuis le 15.09. 2000).
2.3 L'Église
orthodoxe en Ukraine - Patriarcat de Moscou
Suite
à ces évolutions, la partie se joue essentiellement entre L'Église orthodoxe ukrainienne - Patriarcat de Kiev de Philarète Denysenko et l’Eglise orthodoxe officielle qui est une juridiction auto-administrée
de l'Église orthodoxe en Ukraine (EOU-PM), rattachée au Patriarcat de Moscou et de toute la Russie. L'Église orthodoxe d'Ukraine est l'héritière de l'ancien exarchat ukrainien du Patriarcat de Moscou, Elle a reçu
sa nouvelle dénomination en janvier 1990. Après l'indépendance de l'Ukraine en 1991, le métropolite de Kiev Philarète a convaincu la conférence épiscopale de l’Eglise orthodoxe ukrainienne de demander
au patriarche Alexei II, le 22 janvier 1992, l’octroi de l’autocéphalie à l’Église en Ukraine. Cette demande fut rejetée par le synode de l'Église de Russie et Philarète fut déposé (cf.
supra). La majorité des évêques orthodoxes revinrent ensuite sur leur appui à Philarète demandant l'autocéphalie de l'Église d'Ukraine.
L’EOU-PM est canonique puisque reconnue par les autres Églises formant la «Communion orthodoxe» et la seule à prétendre, du point de
vue dogmatique et hiératique, au titre de la véritable héritière de l’orthodoxie du rite byzantin auxquels les slaves ont été convertis par les deux missionnaires grecs de Thessalonique Cyrille et Méthode
en 988. L'Église orthodoxe d’Ukraine demeure largement dominante dans l'est et le sud du pays. Le chef de l'Église porte le titre de Métropolite de Kiev et de toute l'Ukraine, avec résidence au monastère des Grottes
de Kiev considéré comme le berceau de l’orthodoxie slave. Elle est placée sous l’autorité du Métropolite (évêque) Vladimir Sabodan depuis 1992. En 2006 l'EOU-PM avait enregistré
l'allégeance de 10.875 communautés religieuses en Ukraine (environ 68% de toutes les communautés chrétiennes orthodoxes du pays), situées principalement dans les régions centrales, orientales et méridionale.
L'EOU-PM considère officiellement les autres églises orthodoxes de l'Ukraine d'être des «organisations nationalistes schismatiques», dont les réclamations pour représenter l'orthodoxie sont canoniquement invalides.
Du fait de son rattachement au patriarcat de Moscou, l’EOU-PM est très mal vue par les partis politiques indépendantistes ukrainiens qui cherchent à éliminer toute liaison culturelle de l’Ukraine avec la Russie, fût-ce
religieuse. Il n’est donc pas étonnant que le principal appui politique de l’EOU-PM en Ukraine émane du parti communiste. Cependant cet appui fut largement réduit suite à la montée des nationalistes et de l'extrême
droite et la marginalisation des communistes en conséquence du coup d'état de février 2014. Le métropolite Vladimir, primat de la branche ukrainienne de l’église orthodoxe russe, est décédé dans
la nuit du 4 au 5 juillet à Kiev suite à une longue maladie. Son décès intervient à un moment crucial pour l’Église orthodoxe canonique d’Ukraine face à l’hostilité ouverte de l’EOU-PK
et de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine fortes du soutien des nouvelles autorités nationalistes. Devant l’aggravation de son état de santé, un locum tenens avait été désigné
le 14 février dernier pour le remplacer, le métropolite Onuphrij.
2.4 Les autres Églises orthodoxes
Outre
ces trois grandes églises orthodoxes, l'Ukraine a également 57 communautés de la vieille-ritualiste Église orthodoxe de Russie qui sont unies dans l’archevêché de Kiev, et 11 communautés de vieux croyants-bespopovtsy.
Il y a encore 33 communautés de l'Eglise orthodoxe russe à l'extérieur de la Russie, 31 paroisses de la «Vraie Église orthodoxe russe» et 101 communautés orthodoxes qui appartiennent à diverses petites
associations. De plus, il y a une paroisse de l'Église orthodoxe roumaine, qui est enregistrée comme une paroisse orthodoxe autonome.
3. Les églises catholiques
3.1 L'Église gréco-catholique d'Ukraine
Comme
il vient d’être expliqué auparavant, une partie des orthodoxes de l’ouest d’Ukraine a rejoint l’Église de Rome, en 1596, se plaçant sous l’autorité du Pape (uniates). Ils reçurent alors
au nom de «grecs catholiques» par référence à la liturgie propre qu’ils conservaient, celle pratiquée dans l’ancienne Constantinople, la capitale de l’Empire Byzantin chrétien de langue grecque,
d’où ils avaient reçu la foi chrétienne bien avant le grand schisme de 1054. Cependant, les auto-proclamés «grecs catholiques» ukrainiens n’étaient pas de grecs et ils ne parlaient pas le grec non
plus, puisque ils utilisaient d’abord le vieux slavon, puis l’ukrainien dans leur culte. Par ailleurs, le nom de "grecs catholiques" fut mal choisi à la lumière de la rupture survenue le 16 juillet 1054 entre l’Église
de Rome et l’Église de Constantinople qui fut consommée après la mise à sac de Constantinople par les croisés de la quatrième croisade en 1204. Cela a ruiné l’Empire Byzantin et a ouvert la
voie à la prise de Constantinople par les Ottomans turcs en 1453.
A la fin de la seconde guerre
mondiale, l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine, accusée d’avoir collaboré avec les Allemands nazis et encouragé les revendications nationalistes contre l’URSS pendant la guerre, sera liquidée
par Staline, ses religieux et laïcs contestataires seront arrêtés ou déportés, et ses biens seront confisqués. L’Eglise dite gréco-catholique d’Ukraine ne sera pas pour autant éliminée,
elle entrera dans la clandestinité qui prendra fin le 1er décembre 1989, jour de la rencontre au Vatican entre le Pape Jean Paul II et Mikhaïl Gorbatchev. L’Eglise gréco-catholique d’Ukraine retrouve sa liberté
le 30 mars 1991, lorsque le Cardinal Lubachivsky rentre au pays et prend possession de la cathédrale de Lviv (Lvov). Cette Église, en raison des sévices subies sous le régime communiste sortait affaiblie, manquant de prêtres
et peinant à se régénérer. A l’extérieur du pays, cependant, s’était constituée une importante diaspora gréco-catholique ukrainienne en Europe de l’ouest, mais surtout en Amérique
du nord. Cette diaspora, pleine de vitalité, apparut dès le début des années 90 et s’offrit pour revivifier les structures religieuses gréco-catholiques d’Ukraine. Un conflit larvé éclate alors entre
les «traditionalistes», ceux qui n’ont pas quitté l’Ukraine, et les nouveaux venus. Ces derniers, sous la direction du nouvel «exarque», l’archevêque Lubomyr Husar, tiennent en effet un discours inhabituel.
Ils estiment l’autorité de Rome purement symbolique et prétendent à une semi-indépendance vis-à-vis du Pape [7]. Le 21 août
2005, le siège de l'Église a été officiellement transféré de Lvov à Kiev. Sviatoslav Shevchuk a été élu le 23 mars 2011 Archevêque Majeur de l’Eglise gréco-catholique
d’Ukraine. Il réside à Kiev. L'Église gréco-catholique est, par la taille, la troisième Église d’Ukraine avec près de 8 % de la population. Il convient de noter que des prêtres de la dite Eglise
gréco-catholique d’Ukraine a béni plusieurs manifestations des «banderoftsi» (nostalgiques du «héro» (?) nationaliste Stepan Bandera) [8] et appuyé le mouvement contestataire d’Euromaïdan.
3.2 Les autres Églises catholiques
Il existe deux autres Églises catholiques en Ukraine (toutes deux unies à Rome): l'Église grecque-catholique ruthène et l'Église catholique
romaine de rite latin.
4. Les Églises protestantes et les autres communautés
chrétiennes
Parmi les dénominations protestantes,
les plus courantes en Ukraine sont la «All-Ukrainian Union of Evangelical Christian Baptists» avec 2.705 communautés enregistrées et la «Ukrainian Union of Christians of Evangelical Faith-Pentecostals»
avec 1.595 associations. En plus de ces grandes confessions, il y a plusieurs autres communautés protestantes et néo-protestantes d’origine américaine.
Une autre communauté chrétienne en Ukraine est la dite «Église apostolique arménienne, non calédonienne» avec des paroisses
à Kiev, Lvov, Kharkov, Odessa, Donetsk, Dniepropetrovsk.
5. Les relations
Russie - Vatican à l’épreuve de l’Ukraine
5.1 Le temps des tensions
Pendant la "Guerre froide", la papauté s’intéresse de très près
aux communautés religieuses survivant de l’autre côté du rideau de fer. Le Pape Jean XXIII multiplie les efforts pour la libération du chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne persécuté,
Mgr Slipyj. Quant au Pape Jean-Paul II, il voit dans ces peuples un levain pour la résistance spirituelle au totalitarisme. Donc la fin de la "Guerre froide" marque le début d’une crispation entre le Vatican et le patriarcat
de Moscou. Le patriarche russe Alexei II, héritier du concept de la Troisième Rome que la Russie est censée incarner après la prise de Constantinople par les Ottomans turcs en 1453, ne cache pas son hostilité
pour ce pape venu de Pologne. Ce pays est en effet considéré comme le fer de lance du prosélytisme catholique, depuis toujours acharné à envahir et à convertir la Sainte Russie.
Au début des années 1990, le soutien du Vatican à l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie catholiques
contre la Serbie orthodoxe n’arrange rien. Le paroxysme des tensions est atteint lors de la visite de Jean-Paul II en Ukraine, en juin 2001. Les fidèles lui réservent un chaleureux accueil, d’autant plus que le pape reconnait toute
la valeur de la liturgie gréco-catholique, mais sans s’engager au sujet de la principale revendication de Mgr Husar: la transformation de son Église en patriarcat installé à Kiev. Depuis Moscou, le patriarche Alexei II fulmine
contre ce voyage perçu une campagne de prosélytisme contre l’orthodoxie, d’autant plus que l’Ukraine représente, aux yeux des Russes, le berceau religieux de leur pays, car le prince Vladimir de la Rus' y adopta le christianisme
venu de Byzance en 988. Les incidents se multiplient par la suite. La création de quatre nouveaux diocèses catholiques en Russie (février 2002) entraine de vives protestations du patriarcat et l’annulation de la visite prévue
à Moscou du cardinal Kasper, à l’époque président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, ainsi que le renvoi en Pologne de Mgr Jerzy Mazur, évêque du diocèse de
Saint-Joseph à Irkoutsk (avril 2002).
Tout cela se déroule au moment où Vladimir
Poutine amorce sa politique de restauration de la puissance de la Russie. Poutine est porteur d’un projet géopolitique précis. Loin de vouloir reconstituer l’URSS dans ses frontières d’avant 1991, il aspire d’une
part à restaurer la puissance internationale de la Russie et à défendre ses intérêts, et d’autre part à reconstituer l’ancien empire russe, sous une forme certes plus modeste qu’avant 1917. L’exaltation
de l’orthodoxie, comme vecteur identitaire et ciment de la nation russe, occupe une place centrale dans son programme politique.
Le projet mondialiste des États-Unis, hostiles à tout renforcement de l’influence russe, constitue son principal ennemi. Il recherche donc des soutiens afin de favoriser l’installation d’un monde
multipolaire contre Washington. Le Vatican, puissance morale renforcée, en constitue un. Face au projet mondialiste des Américains, fruit de la pensée libérale et protestante, Rome et Moscou doivent s’unir. Il s'agit d'une
évidence car le catholicisme et l’orthodoxie constituent les deux berceaux de la chrétienté.
Deux rencontres entre le Pape Jean-Paul II et le président russe se déroulent au Palais apostolique, en 2000, puis en 2003. Mais autant la nationalité du pape que la tentative avortée de créer un patriarcat gréco-catholique
à Kiev en 2003 empêchent un réel dégel.
5.2
La convergence Russie - Vatican
L’élection de Benoit
XVI en 2005 change la donne. Elle se déroule à l’époque où les relations américano-russes se dégradent fortement. Les révolutions colorées portent en Ukraine comme en Géorgie des
gouvernements pro-occidentaux, favorables à l’intégration de leur pays dans l’UE et dans l’OTAN. Poutine y voit l’expression d’une politique agressive destinée à encercler la Russie et à la rejeter
le plus à l’Est possible. Il n’a pas tort, cette politique est parfaitement écrite dans l’ouvrage «Le Grand Échiquier» de Zbigniew Brzeziński en 1997 (cf. Angel ANGELIDIS «LE NOUVEL ORDRE
GÉOPOLITIQUE MONDIAL - LES GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION», Doc AA-06 FR-06-2014).
À ce combat géopolitique s’ajoute une lutte renforcée en faveur des valeurs traditionnelles, abandonnées par l’Occident, mais ardemment défendues par Poutine. Ce dernier partage avec le patriarche Alexei II, puis
son successeur à partir de 2010, Cyrille Ier, la conviction que l’Occident sombre dans la décadence. La Russie doit être protégée d’une telle influence, que l’installation d’une démocratie
libérale ne manquerait pas de favoriser.
Dans un tel contexte, l’intronisation de Benoit
XVI intéresse le Kremlin. Avec un pape allemand, pays avec lequel la Russie est historiquement le plus proche en Europe, un dégel avec le Vatican renforcerait l’axe Berlin-Moscou construit par Schröder et Poutine depuis des années.
En outre, la lutte de Benoit XVI contre le relativisme, pour la restauration de l’identité catholique de l’Église, indissociable de celle en faveur de la beauté liturgique, plaît aux orthodoxes, convaincus d’assister
à la fin de la tentation protestante à laquelle les catholiques cédaient depuis les années 1970. D’ailleurs, les violentes attaques dont le pape est l’objet de la part de la grande presse des Etats du
Nord-Est des USA, épicentre de la pensée anglo-saxonne, protestante et soi-disant progressiste, créent un climat favorable au rapprochement. Le temps du réchauffement est arrivé.
Des pas significatifs sont donc réalisés pendant le pontificat de Benoit XVI. Des rencontres au sommet se déroulent, avec Cyrille
avant son accession au patriarcat le 27 janvier 2009, puis avec son successeur au Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, le métropolite Hilarion. Rome est ainsi assurée du soutien de
l’Église orthodoxe dans son combat contre la déchristianisation de l’Europe, «non plus en tant que concurrente, mais en tant qu’alliée». De son côté, Benoit XVI enterre la pomme de discorde ukrainienne
en renvoyant sine die la question de reconnaissance du patriarcat gréco-catholique.
Les liens étroits que Poutine et Cyrille Ier entretiennent ne laissent guère de doutes sur la convergence de leurs pensées à propos de l'importance de cette question politico-religieuse. Le président russe marche
de concert avec le patriarche. Pour preuve, sa rencontre avec Benoit XVI le 13 novembre 2007, prélude à l’établissement de relations diplomatiques officielles entre la Russie et le Vatican, le 4 décembre 2009: évènement
historique inouï ! Le refus du Saint-Siège de reconnaître l’indépendance du Kosovo, proclamée en 2008, compte sans doute beaucoup dans les bonnes dispositions russes. Dimitri Medvedev fait lui aussi le voyage à
Rome, en février 2011.
Cependant, c’est avec le nouveau pape François
d’origine sud-américaine (continent avec lequel la Russie maintien des bonnes relations) que la convergence géopolitique atteint son apogée au moment de la crise en Syrie, à l’été 2013. Cyrille Ier
et François partagent les mêmes angoisses pour le sort des chrétiens d’Orient martyrisés. La fin du pouvoir de Bachar el Assad entrainerait l’installation d’un pouvoir islamiste sunnite dont ni Rome ni Moscou ne
veulent. François s’élève avec force contre l’intervention militaire à laquelle les Occidentaux semblent se décider. Au pire moment de la crise, le 04.09.2013, il écrit à Poutine – qui préside
le G8 et endosse le rôle de protecteur des chrétiens d’Orient autrefois partagé avec la France (dont la politique extérieure jadis indépendante sous De Gaul fut alignée à celle des USA sous Hollande
!) – pour le conjurer de sauver la paix, tandis que Cyrille Ier effectue une identique démarche auprès d’Obama, le 11.09.2013. Une rencontre réunit Poutine et le pape François, le 25 novembre suivant, avec
comme thèmes de discussion la coordination des diplomaties, la coopération culturelle, la défense des valeurs traditionnelles. Il ne manque plus que la rencontre historique entre le pape de Rome et le patriarche de Moscou pour parachever
ce rapprochement.
5.3 L'essouflement
Mais déjà la convergence russo-vaticane
commence à se lézarder. Et c’est de nouveau en Ukraine que se situe l’épicentre du séisme. Aux yeux de Poutine et de Cyrille Ier - et ils n'ont pas tort - sa déstabilisation est l’œuvre
de l’Occident. Ils ne comprennent pas comment les européens, pourtant sensibles aux leçons d'histoire, peuvent suivre les américains au complot anti-russe parfaitement décrit par Brzezinsky depuis
1997. Pour eux, il n’est pas question de leur laisser la main libre dans ce pays situé à une heure de vol de Moscou. Or, dans ce rapport de force religieux et géopolitique, l’Église gréco-catholique
se retrouve aux côtés de Philarète de Kiev pour défendre l’orientation pro-occidentale du mouvement de Maïdan. Le patriarcat de Moscou n’a plus aucun doute: ces deux Églises, dont l’une dépend
de Rome, se sont lancées dans une croisade anti-russe. Le climat se refroidit dès la fin du mois de décembre 2013, avec la publication d’un document du patriarcat de Moscou réaffirmant avec fermeté son refus de la primauté
de l’évêque de Rome sur l’Église universelle.
La chute de Viktor
Ianoukovitch (protecteur de l’Église orthodoxe ukrainienne - patriarcat de Moscou) et la radicalisation de la crise suite à la prise du pouvoir par les nationalistes et les paramilitaires de l'extrême droite (Svoboda et Pravyy
Sektor) n’arrangent rien. Le 26 avril 2014, le nouveau Premier ministre ukrainien de confession gréco-catholique, Arseni Iatseniouk (Yats pour les américains qui l’ont placé), est reçu au Vatican par
le pape lui-même. Cette marque d’estime, propre à légitimer le nouveau pouvoir pourtant issu d'un coup d'état – ce que refuse d’admettre la Russie – s’inscrit certes dans la volonté pontificale
de sauvegarder la paix civile et internationale, mais n’est pas du goût de Moscou.
Il est
bien évidemment trop tôt pour percevoir la portée de la crise ukrainienne sur les relations russo-vaticanes. Sur le fond, la convergence autour des valeurs morales du conservatisme (aucunement remis en cause par le pape François
malgré les espoirs médiatico-progressistes) et d’une approche multipolaire des questions internationales continuent de jouer en faveur d'un rapprochement entre le Vatican et la Russie.
Notes de bas de page
[1] Le terme «orthodoxe» vient du grec όρθός orthós (droit) et δόξα dóxa
(opinion). Le terme fut utilisé pour la première fois pour désigner la majorité des chrétiens, c'est-à-dire ceux qui suivaient les conciles œcuméniques. Après le schisme de 1054, et notamment après
la prise de Constantinople par les croisés en 1204, seule l’Eglise d’Orient utilise le nom. Les orthodoxes sont parfois appelés «chrétiens orientaux», à tort, car ceux-ci ne constituent qu'une partie de l'Église
orthodoxe, mais également une partie de l'Église catholique (uniates) et aussi d’autres dogmes chrétiens (arien, nestorien, monophysite…). Le terme «orthodoxe», au sens littéral, signifie «qui pense
dans la bonne voie». Il est destiné à tracer une frontière entre d'un côté ce qui est «droit», conforme à la source, et de l'autre côté l'hétérodoxie, autrement dit ce qui
diverge de cette rectitude.
[2] Le mot «uniate»
a longtemps servi à désigner les Églises catholiques orientales. Au sens strict, il sert à désigner les fractions de ces Églises orientales qui ont rompu avec leur Église «mère» orthodoxe
et sont entrées en communion avec l’Église catholique. Il est attesté pour la première fois au moment du Synode de Brest-Litovsk de 1596, qui donne naissance à la dite Église gréco-catholique ukrainienne.
Aujourd'hui, il a le plus souvent une connotation péjorative. En rigueur de termes, «Églises uniates» et «Églises catholiques orientales» ne sont pas synonymes: par exemple les chrétiens maronites libanais
(unis à Rome dans leur totalité au XIIIe siècle), appartiennent à la deuxième catégorie mais non pas à la première. Ces Églises ont souvent été latinisées. Gardant des
apparences orientales (liturgie, discipline en matière de célibat ecclésiastique, chants, musique), elles ont adopté la théologie et l’ecclésiologie catholiques. C'est pourquoi ces Églises depuis leur
origine ont font l'objet de critiques de la part des Églises orthodoxes qui les considèrent comme des dissidences, ayant rompu avec leur église «mère» et ne pouvant plus porter le titre d’orthodoxe.
[3] Cf. Article de Wikipédia "Филарет (Денисенко)" (ru).
[4] Cf. Lettre de Mr. Ronald S. Lauder, président du Congrès Juif International (World
Jewish Congress), du 22.08.2013, adressée au patriarche Philarète.
http://www.worldjewishcongress.org/en/news/13869/wjc_urges_ukrainian_orthodox_church_leader_to_act_against_glorification_of_nazi_soldiers
[5] Cf:http://www.enikos.gr/international/261370,Patriarxhs_Kievoy:O_Poytin_einai_ypo_th.html?utm_medium=referral&utm_source=pulsenews
[6] Le terme diaspora - du grec διασπορά (diasporá,
«dispersion») construit avec le préfixe διά, (dia)- et σπορά (sporá, «ensemencement»), issu du verbe σπείρω (speíro, «semer»)
qui a aussi donné «spore» en français - désigne la dispersion d'une communauté ethnique ou d'un peuple à travers le monde. Les premières diasporas sont les diasporas grecques de l'Antiquité:
ainsi la diaspora phocéenne (de la cité de Phocée) fonda Massalia (Marseille) vers -600 av. J.-C. À l'origine, ce terme ne recouvrait que le phénomène de dispersion proprement dit. Aujourd'hui, par extension, il désigne
aussi le résultat de la dispersion, c'est-à-dire l'ensemble des membres d'une communauté dispersés dans plusieurs pays. Le terme était initialement un terme botanique signifiant «dispersion des graines».
[7] Cette position, outre sa nouveauté a de quoi surprendre, puisque Lubomyr
Husar lui-même a été blanchi sous le harnais de la mouvance vaticane. Arrivé à Rome en 1969, il y a passé trois ans pour obtenir un doctorat en théologie. Puis, il entra au Monastère des Studites,
sous l’autorité du Vatican, et en fut nommé Supérieur en 1974. En 1995, le Pape Jean-Paul II l’a confirmé dans sa position d’archevêque. Une recherche sur l’origine des patronymes des évêques
et responsables religieux gréco-catholiques ukrainiens issus de la diaspora a révélé qu’un grand nombre de ceux-ci portent en réalité des noms juifs. Cette concentration de noms juifs à la tête d’une
Église ukrainienne ne manque pas de surprendre. Aussi conviendrait-il de s’interroger pour savoir si l’étrange évolution de la politique de l’Église gréco-catholique d’Ukraine n’a pas une relation
avec ce phénomène; cf. http://www.recherches-sur-le-terrorisme.com/Documentsterrorisme/eglise-catholique-ukraine.html
[8] Stepan Andriïovytch Bandera (en ukrainien: Степа́н Андрі́йович
Банде́ра), est né le 1er janvier 1909 dans le village de Staryï Ouhryniv (en ukrainien: Старий Угринів), dans la province de Kalouch, dans l'Est de l'Empire Austro-Hongrois aujourd'hui Ivano-Frankovsk (Ouest de l'Ukraine) et il est mort (assassiné)
le 15 octobre 1959 à Munich. Ses liens avec l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine (non-canonique) furent très étroites. Son père, Andriy Bandera, prêtre gréco-catholique (uniate), a exercé un
temps dans le village. Sa mère, Myroslava Bandera, est aussi issue d'une vieille famille de prêtres gréco-catholiques. De 1928 à 1931, il fait ses études à l’École polytechnique de Lviv, alors ville polonaise
(Lvov), mais il est vite attiré par la politique et rejoint l'Organisation des nationalistes ukrainiens ou OUN (en ukrainien: Органiзацiя Украïнських Нацiоналiстiв, Orhanizatsiya Ukrayins'kykh Nationalistiv ou ОУН), qui est un parti politique ukrainien
créé en 1929 à Vienne par Yevhen Konovalets avec l'Organisation militaire ukrainienne (UVO) comme bras armé. Il devient ainsi l'idéologue et le chef du mouvement nationaliste ukrainien. Dès le début des années
30, les Nationalistes ukrainiens se rapprochent des Forces Spéciales Nazies. L'OUN prend le chemin des assassinats politiques financés par le Reich national-socialiste. En 1934, Bandera est condamné à mort pour avoir mené
avec onze autres personnes l'attentat contre Bronisław Pieracki, le ministre de l'intérieur polonais. Cette décision de justice est commuée en emprisonnement à vie. En septembre 1939, face à l’offensive de l’armée
allemande, l’administration pénitentiaire polonaise évacue les lieux et les prisonniers, dont Bandera, sortent de prison. Suite à la défaite de la Pologne, conformément au Pacte germano-soviétique, la Pologne
Orientale est envahie par l’Armée rouge et devient l'Ukraine Occidentale. En octobre, Bandera arrive à Cracovie et il organise deux bataillons ukrainiens au sein de l'armée allemande: le bataillon «Nachtigall» («Rossignol»,
en français) et le bataillon «Roland», qui formèrent la «Légion ukrainienne» sous commandement de la Wehrmacht. En 1940, il dirige le groupe révolutionnaire de l'OUN (B) et le 30.06.1941 lorsque la Wehrmacht
repousse l’armée Rouge, la population ukrainienne - Bandera à leur tête - accueille l'armée allemande comme libérateurs. Bandera est nommé au gouvernement du nouvel État ukrainien, proclamé le 30
juin 1941 à Lvov. Ce nouvel État n'est pas reconnu par Hitler et le 05.07.1941 Bandera est arrêté et transféré à Berlin. Il est emprisonné ensuite dans le camp de concentration de Sachsenhausen. À
l'automne-hiver 1941, les bataillons «Nachtigall» et «Roland» sont dissous. Certains de leurs combattants sont intégrés volontairement dans les forces allemandes, les «SS Einsatzgruppen» qui procèdent
à une liquidation systématique de la population juive en la déportant dans des camps de concentration. En 1942-1943, mécontents de la politique nazie en Ukraine, les nationalistes ukrainiens forment l'Armée insurrectionnelle
ukrainienne (UPA), qui compta jusqu’à 100.000 soldats, en vue de combattre à la fois contre l'Allemagne, l'URSS, les partisans ukrainiens pro-soviétiques et les partisans polonais. Bandera, depuis sa prison, s'y oppose d'abord, car
il croit qu'une armée clandestine ne peut pas gagner la guerre. Cependant, lorsque l'UPA devient opérationnelle, Bandera consent et il dirige depuis la prison le groupe révolutionnaire OUN-B, plus radical que l’OUN-M (modérée).
En mars 1944, les insurgés de l’UPA embusquèrent et blessèrent mortellement, derrière les lignes de front, le commandant du 1er front ukrainien et héro des batailles de Stalingrad et de Koursk, Général
Nikolaï Vatoutine. En septembre 1944, les nazis, face à l'avancée de l'Armée rouge, changent de politique et libèrent Bandera qui établit son quartier général à Berlin. Toutefois,
celui-ci n'adhère pas au Comité national ukrainien: il pense que l'Allemagne perdra la guerre et que toute collaboration avec elle est désormais inutile. Après la guerre, il reste en RFA où il demeure à la direction
de l'OUN-B. Dans le contexte de la guerre froide, l’OUN-B reçoit l’appui des occidentaux. D’après Stephen Dorril, auteur du “MI-6: Inside the Covert World of Her Majesty's Secret Intelligence Service”, l’OUN-B
fut reformée en 1946 avec l’aide du «Secret Intelligence Service» (SIS) britannique, connu comme «MI-6»(Military Intelligence, Section 6). Un rapport du MI-6 de 1954 fait l’éloge de Bandera en tant
qu’«agent professionnel muni d’une expérience terroriste et de notions impitoyables concernant les règles du jeu». Une fraction de l’OUN-B (Mykola Lebed) fut même associée à la CIA. Dès
1945, l’OUN-B se livre à une guerre sans merci contre les soviétiques. En même temps, les insurgés affrontent les forces polonaises, surtout dans les environs de Przemyśl, rattaché à la RSS d'Ukraine en 1939 et
restitué à Pologne après la guerre. Les combats ne cessent qu'en 1953-1954. Pendant toute cette période, Bandera encourage l'insurrection et essaie de la diriger depuis l'étranger où il réside. Le 15.10.1959,
Bandera est assassiné et enterré le 20.10.1959 au cimetière Waldfriedhof à Munich. Un examen médical déterminera plus tard que sa mort était due à un empoisonnement. Le 17.11.1961, la justice ouest-allemande
établit que le meurtrier de Stepan Bandera était Bohdan Stachynsky, un agent du KGB agissant sur les ordres d'Alexandre Chélépine et de Nikita Khrouchtchev. Après la disparition de l'Union Soviétique fin 1991, l'OUN
reprend son activité en Ukraine, où elle se réorganise sous le nom de Congrès des nationalistes ukrainiens. L’image de Stepan Bandera est exaltée dans sa région natale où il est considéré
comme un héros national, alors qu’il fut incontestablement un collaborateur nazi. Selon l’historien Karel Berkhoff «Bandera, ses adjoints, et les nazis ont partagé une obsession clé, à savoir l’idée
que les Juifs en Ukraine étaient derrière le communisme et l’impérialisme stalinien et doivent être détruits». Par décret signé le 22.01.2010 par le président Iouchtchenko, Bandera a été
élevé à la dignité posthume de «Héros d'Ukraine», provoquant une vague de protestations dans la fédération de Russie et au sein de la population russophone d'Ukraine, ainsi que la désapprobation
et des mises en garde d'associations d'anciens combattants en Europe. Fin janvier 2010, le Centre Simon-Wiesenthal, dans une lettre adressée à l'ambassade ukrainienne aux États-Unis, a dénoncé l'attribution du titre de Héros
de l'Ukraine à un «collaborateur nazi responsable du massacre de milliers de Juifs pendant la guerre de 1939-1945». L'attribution de ce titre a été annulée par le président Ianoukovitch et le décret déclaré
invalide en 2011. Le culte de Bandera a repris de la plus belle suite au renversement de Ianoukovitch par les putschistes nationalistes d’Euromaïdan. Bandera est le héros des ukrainiens de partis Svoboda et Secteur Droit. Il se trouve que
la ville de Lviv (Lvov) a renommé l’une de ses rues, qui s’appelait la rue de la paix, en rue des guerriers du bataillon «Nachtigall» qui a été créé par Bandera (cf. supra) et qui a commis des nombreux
massacres, en Pologne par exemple...