5. AGRICULTURE
Difficilement accessible par la lenteur des transports, la mauvaise qualité du réseau routier, les contraintes administratives qui pesaient
encore récemment sur le voyageur, le monde rural ukrainien est une sorte de «terra incognita», loin des feux des Révolutions de couleurt et du «business» qui agite les zones urbaines. Ce monde enclavé,
quasiment autarcique, nous offre un tout autre visage que celui des villes en pleine mutation. Marquées par les bouleversements du siècle passé, les campagnes peinent à se relever du dernier en date : la lente agonie de l’agriculture
communiste, l’exode rural et la privatisation incertaine des terres.
La Surface
Agricole Utile de l’Ukraine représente 70% de son territoire, soit presque 42 millions d’hectares (mha) – soit une superficie totale comparable à celle de la France - dont 2,6 mha de terres irriguées. D’un
point de vue agro-climatique, on distingue traditionnellement trois grandes zones: la forêt mixte, la steppe boisée et la steppe. La première est plus humide, moins riche en «terres noires» et moins chaude. La dernière,
au contraire, est extrêmement riche en terres noires, plus chaude et plus sèche. La seconde se situe à un niveau intermédiaire pour ces trois variables. Géographiquement, la zone de forêt mixte est située au nord-ouest,
la seconde au centre et la troisième au sud-est. Ces subdivisions recoupent peu ou prou la taille des exploitations, plus petites à l’Ouest et plus grandes à l’Est, ainsi que la nature des productions. Bien entendu, ces paramètres
plus humains ont été profondément marqués par l’histoire du pays, et notamment sa division en plusieurs parties aux destins très différents.
La culture des céréales (blé, orge, maïs) y prédomine. Une part non négligeable (27,8 mha, dont 11,3 mha en forêt-steppe
et 16,5 mha en steppe) se trouve sur les fameuses terres noires, ou tchernoziom [1], riches en humus qui figurent parmi les terres les plus fertiles au monde. Cependant fort exploitées durant et après l’ère soviétique, les
terres noires ukrainiennes ont besoin d'amélioration. Aujourd'hui, la teneur en humus dans le sol ukrainien est 4 - 5 fois plus faible qu'elle était au début du XX siècle. La valeur des chargements de camions de ces terres vendus
illégalement s'élève à 900 millions $ en 2011. La part de l’agriculture et de l'industrie agroalimentaire dans le PIB était de 11 % en 2012, (contre 10,2% en 2011, 7,2 % en 2010, 8 % en 2009), mais elle peut atteindre
plus de 40 % dans les régions agricoles de l’Ouest. Le secteur agricole et agroalimentaire emploie environ 16% de la population. En 2010, la population rurale représentait plus de 30 % de la population totale. Le ministère
de l’Agriculture a cependant enregistré une diminution de la population rurale d’environ 1,2 million de personnes au cours des six dernières années, ce qui a entraîné la disparition de quelque 120 localités
rurales, cette tendance à la désertification des campagnes étant aggravée par l’absence de politique d’aménagement du territoire.
A la suite du partage des ressources, notamment foncières, des kolkhozes et sovkhozes au cours de la réforme agraire post-socialiste, Environ 15 mio de
petites exploitations, soit 78 % du total des exploitations, exploitent moins de 1 ha, mais au total près de 40 % de la surface agricole. Ce sont des exploitations de subsistance, qui malgré tous les bouleversements, se sont montrées étonnamment
stables. 6,8 millions de petits propriétaires de moins de 4 ha constituent aujourd'hui la base foncière agricole de l’Ukraine. Certaines petites exploitations sont apparues dans les années 1990 à la suite de privatisations
de kolkhozes. Elles sont en moyenne propriétaires de 5 ha de terres. A ces micro-exploitations s’ajoutent environ 43.000 exploitations familiales exploitent en moyenne 80 ha, certaines même jusqu’à 500 ha. Ce groupe n’exploite
que 7 % des terres totales. Les sociétés qui en général ont succédé aux kolkhozes exploitent 17 mio ha soit la moitié des terres arables d’Ukraine. Elles exploitant en moyenne 1200 ha. Viennent ensuite
les grandes exploitations céréalières (70 agroholdings) qui exploitent de dizaines, voire de centaines de milliers d'hectares sont en progression et occupent de plus en plus de foncier, mais sont confrontées à des problèmes
de gestion opérationnelle et logistique. Plus de 90% des exploitations agricoles en Ukraine sont soutenues par des investisseurs. Environ 75% de celles-ci sont des exploitations privées (à noter que même de petites exploitations
privées peuvent attirer des investisseurs), et 15 pour cent sont des grosses exploitations agricoles avec parfois plus de 50.000 hectares en taille ! Plus de la moitié de la production céréalière provient des exploitations
supérieures à 500 ha. Des grandes sociétés américaines de l'agriculture et l'agroalimentaire comme Cargill, John Deere et Kraft Foods ont déjà commencé à investir en
Ukraine, souvent avec des partenaires locaux. Les rendements sont encore faibles comparés à ceux de l’Union Européenne, ils sont même inférieurs à ceux de l’ère soviétique. Le secteur agricole
est en cours de privatisation. Il n’est néanmoins pas possible d’acquérir des terrains agricoles. Les investisseurs ont seulement la possibilité de les louer; pour désigner ce phénomène, les Ukrainiens
emploient le terme anglo-saxonne de ‘land grabbing’.
Ex-grenier
à blé de l’ancienne URSS, l’Ukraine est grande productrice de blé, de maïs, de tournesol, de betteraves sucrières, de pommes de terre, de lin…. La culture de céréales est prédominante
et l’'Ukraine est le cinquième plus grand exportateur de céréales du monde. Les cultures céréalières représentent près de 50 % de la surface cultivée (15 millions d'hectares). La production
de 2011, record absolu depuis 1991, s'est élevée à plus de 55 millions de tonnes (39,2 millions de tonnes en 2010). Selon la FAO une production annuelle de 75 mio t serait possible. Le tournesol, autre production à forte valeur
exportatrice, a donné lieu à une récolte record de 8,5 millions de tonnes en 2011 (6,5 Mt en 2008, 6,1 Mt en 2009, 6,9 Mt en 2010). L’Ukraine est le leader mondial d’exportation d’huile de tournesol avec 2,5 millions
de tonnes exportées, représentant 60% des exportations mondiales. L'essentiel de la production de céréales et d'oléagineux est assuré par les exploitations spécialisées, qui louent des terres aux collectifs
de petits propriétaires.
Au niveau de l’élevage de bovins, d’ovins
et de porcins, on assiste à une baisse du cheptel depuis 1991. Il y a peu d’investisseurs étrangers et ce secteur est encore dominé par les entreprises publiques peu compétitives. Surtout l'élevage bovin, lait et viande,
est en grande difficulté. Les effectifs ont été divisés par 6 en 20 ans et 72 % de la production laitière est assurée par les petits éleveurs qui ont moins de 10 vaches laitières. La médiocre qualité
sanitaire du lait reste un problème majeur pour les transformateurs. L’accession de l’Ukraine à l’OMC le 16 mai 2008 a accentué les difficultés du secteur, car elle rendu la viande importée moins chère.
Les produits agricoles représentent plus de 10 % des exportations ukrainiennes (11% du total des
exportations ukrainiennes en 2010). Les principales exportations s'établissent à 9,3 Mds d'€ (2011), essentiellement composées de céréales, de tournesol et de l’huile de tournesol. Le pays présente un avantage
certain par rapport à ses principaux voisins exportateurs, la Russie et le Kazakhstan, en matière d'aménagements portuaires sur la Mer noire. Cette région joue d'ores et déjà un rôle majeur sur le marché
mondial des céréales, rôle qui pourrait s'accroître si une politique céréalière régionale se mettait en place, accompagnée d'investissements substantiels. Les principaux clients de l'Ukraine sont
la Russie, l'Inde, la Turquie, l'Égypte et l'Espagne. L'Ukraine est de plus un concurrent sérieux de la France pour les exportations de céréales vers le Proche et Moyen Orient. Les importations agroalimentaires de l'Ukraine s'établissent
à 4,6 Mds d'€ (2011), concernant principalement les fruits, les préparations alimentaires, les poissons. Ses premiers fournisseurs sont la Russie (11,4 %), l'Allemagne (8,1 %), le Brésil (6,2 %) et la Pologne (5,2 %). Ainsi, l'Ukraine
dégage un excédent commercial pour les produits agroalimentaires de 4,7 Mds d’€ (2011), limitant d'autant une balance commerciale globale structurellement déficitaire.
L'industrie
agroalimentaire représente le deuxième secteur manufacturier du pays. L'Ukraine compte environ 22.000 entreprises agroalimentaires, aux productions et aux tailles variées. L'industrie agroalimentaire du pays, importante par le nombre et
la taille des sites de production, souffre du manque d'investissement, de modernisation des outils et des méthodes de production. Très bien représentés sur son marché domestique, les produits agro-alimentaires souvent de
qualité moyenne ont du mal à s'exporter. Acteur majeur de l'économie de demain, le secteur agroalimentaire ne demande qu'à croître et à s'internationaliser vers les marchés voisins (plus de 500 millions de bouches
à nourrir !).
[1]
Le «tchernoziom» (en russe: чернозём, en ukrainien: Чорнозем, contraction des mots tchernaïa zemlia, «terre noire») est un type de sol qui contient un fort pourcentage d'humus - 3 à 15 %, riche en potasse, phosphore
et micro éléments. Cette terre est très épaisse, souvent plus de 1 m, et jusqu'à 6 m en Ukraine. Elle est très fertile et peut s’en passer d'engrais. Le fort taux d'humus et d'argile lui confère une réserve
d'eau utile importante. Pour ces raisons, elle est souvent considérée comme le meilleur sol au monde pour l'agriculture. D'ailleurs, ce type de sol se prête très bien au semis direct. L'horizon de surface, le Ah, est caractérisé
par une couleur très noire, une structure grumeleuse, et une porosité importante (70 %). Il contient une grande quantité de calcium, et son pH est moyen, s'établissant entre 6,5 et 8,5. Il est riche en cations biogènes. Le
tchernoziom a des propriétés d'isohumisme, c’est-à-dire que l'humus s'incorpore profondément grâce au type de végétation herbacée qu’il accueille, dont le réseau racinaire peut s'enfoncer
jusqu'à une profondeur de 2 mètres. La restitution de la matière organique est faite principalement à partir de la décomposition des racines. La quantité de matière organique, donc de carbone, diminue avec la
profondeur. L'humification de la matière organique est favorisée par le rapport C/N (carbone/azote) peu élevé. Néanmoins, la matière organique est plus humifiée que minéralisée car les conditions
climatiques des zones de terres noires impliquent une activité bactériologique réduite et un temps de minéralisation important de la matière organique. Cela implique une évolution de la matière organique en
"mull tchernozemique", c’est-à-dire un type de matière stable qui est peu sujet à la dégradation. Il faut aussi signaler l'homogénéité de l'horizon de surface, favorisée par un brassage important
dû principalement aux rongeurs. Leurs galeries dans l'horizon inférieur, le Cca, sont après abandon comblées par l'humus de surface et forment des taches très noires, les "crotovinas". Le brassage des horizons minimise également
la possibilité d'apparition d'un horizon Bt, horizon enrichi par des migrations d'argile. Les sols de type tchernoziom se rencontrent en Europe orientale, (Ukraine, Russie), en Asie centrale et orientale (Sibérie), ainsi qu’en Amérique
du nord (Canada). On estime qu’ils représentent environ 2% des terres cultivées de la terre. Il existe plusieurs sortes de tchernoziom: le noir, le chocolat, le châtain et le tchernoziom dégradé.