LA SECONDE GUERRE MONDIALE - LE SIÈGE DE SÉBASTOPOL (30.10.1941 - 04.07.1942)
Les belligérants
Le siège de Sébastopol (du nom d’opération «Störfang») est une bataille de la Seconde Guerre
mondiale qui se déroula entre les forces allemandes et soviétiques du 30 octobre 1941 au 4 juillet 1942. L'enjeu était le port de Sébastopol qui était la principale base navale de la flotte soviétique
de la mer Noire. Sébastopol (en russe: Севастополь, Sevastopol’, en grec Σεβαστούπολις), est une ville située dans le sud-ouest de
la péninsule de Crimée. Elle fut fondée par Catherine II sur un site particulièrement favorable à l'implantation d'un port, puisque formé de huit baies en eau profonde, dont celle de Balaklava. La marine soviétique
avait construit sur les défenses naturelles de la baie de Severnaïa de lourdes défenses côtières, la base navale de Sébastopol constituant ainsi l'une des fortifications les plus solides au monde.
Le port était une cible stratégique pour les Allemands. Son importance comme base navale et aérienne potentiel permettrait
à l'Axe de mener des opérations maritimes et aériennes contre des cibles soviétiques dans les montagnes ainsi que sur les ports du Caucase. L'armée de l'air soviétique utilisait déjà la Crimée
comme base pour attaquer des cibles en Roumanie depuis juin 1941.
Le 12 septembre 1941, Erich von Manstein
[1] est promu au commandement de la 11ème Armée, à la «Heeresgruppe Süd», en Ukraine. La 11ème
Armée, qui vient de franchir le Dniepr inférieur, a alors pour mission de poursuivre sa progression vers l'ouest afin de prendre Rostov sur le Don, et dans le même temps de s'emparer de la Crimée au sud. Alors qu'une partie de la
11ème Armée tente de pénétrer en Crimée par l'isthme de Perekop, l'autre partie engage et repousse les forces soviétiques entre le Dniepr et la Mer d'Azov lors de la bataille de la mer d'Azov. Cendant, devant
la résistance soviétique, la 11ème Armée se voit forcée de réviser ses objectifs et de se fixer d'une seule mission prioritaire, celle de s'emparer de la Crimée. Entre le 26 septembre et le 16 novembre 1941,
la 11e armée allemande (7 Divisions) et la 3e armée roumaine (2 Divisions) préparent leur attaque.
À la fin octobre 1941, l'Armée du Littoral du Général Ivan Iefimovitch Petrov [2], comprenant 32.000 hommes, arrive dans la ville par la mer depuis Odessa plus à l'ouest,
cette dernière ayant été évacuée après d'importants combats. Petrov planifie de stopper la progression allemande sur Sébastopol en créant trois de lignes de défense dans les terres. La 1ère,
d'une profondeur de 2 à 3 km, était composée de tranchées disposées les unes derrière les autres, protégées par des barrages de barbelés et flanquées de blockhaus en rondins de bois et de
points d'appui bétonnés. Une seconde ceinture fortifiée, large de 1,5 km, couvrait surtout le secteur Nord entre la vallée de Belbek et le golfe de Severnaïa, par une file d'ouvrages fortifiés baptisés de noms
impressionnants: fort Staline, fort Molotov, fort Volga, fort Sibérie, fort Guépéou, fort Oural, fort Tchéka, fort du Nord, fort de Severnaïa Kossa et enfin le plus formidable de tous, le fort Maxime Gorky I, avec ses batteries
lourdes de 305 mm. Son pendant, le fort Maxime Gorky II, se trouvait dans le secteur Sud, et était tout aussi redoutable. A l'est, la forteresse était remarquablement protégée par la nature. Le terrain y était escarpé
et boisé, sillonné de vallées profondes, parsemé de hauteurs fortifiées, dénommées: Mont de l'Aigle, Pain de Sucre, Nez du Nord, Colline des Roses, le Cinabre, les hauteurs de Kamary, fort
de Balaklava, forts Maxime Gorky I et II, Mont Sapoun, le cimetière Anglais…La 3e ligne fortifiée touchait la ville. C'était un véritable labyrinthe de tranchées, de champs minés, de nids de mitrailleuses, de
positions garnies de lance-grenade et de batteries de canons.
Sébastopol était défendue
par 7 divisions de tirailleurs, 1 division de cavalerie à pied, 2 brigades d'infanterie, 3 brigades de fusiliers-marins, 2 régiments d'infanterie de marine (troupes d'élites de la marine russe), ainsi que plusieurs bataillons cuirassés
et unités autonomes, soit en tout 101.238 hommes. De plus, 10 régiments d'artillerie et 2 bataillons de lance-grenades, 1 régiment antichar, ainsi que 45 unités d'artillerie lourde de marine mettaient en jeux 600 canons et 2.000
mortiers. Un vrai mur de feu entourait donc la forteresse. Mais la supériorité aérienne appartient indiscutablement aux Allemands, les Soviétiques ne disposant que d’une cinquantaine d’avions obsolètes. Cette
faiblesse est aggravée du fait que l’Armée de Petrov manque de canons antiaériens. La garnison était également à court de vivres et de munitions de mortier, qui seraient un grave handicap pour la défense
soviétique. Les mauvaises communications entre le siège et les lignes de front posaient aussi un problème.
L’armée allemande sous le commandement du général Erich von Mansteinest la 11e armée allemande du «Heeresgruppe Sud», composée de pléus de 150.000 soldats allemands et de 50.000 soldats
roumains appartenant à la 3ème Armée roumaine. La Force aérienne allemande (Luftflotte N° 4 de la Luftwaffe) a joué un rôle vital dans le siège. La Luftwaffe a ajouté sa puissance de feu à celle
de l'artillerie, fournissant des bombardements aériens très intenses et efficaces à l'appui de l'armée de terre. Au cours de l’opération «Störfang», von Richthofen aligna plus de 600 avions,
et von Manstein plus de 150 chars et de 2.000 pièces d’artillerie, de D.C.A. et de canons antichar.
Le soutien naval pour les forces de l’Axe provient de l'Escadre 101e italien sous le commandement du capitaine de frégate Francesco Mimbelli. Cette Escadre, composée de neuf torpilleurs et de neuf sous-marins côtiers, était
basée à Feodosiya et à Yalta. Bien que la Bulgarie ne fût pas techniquement en guerre contre l'Union soviétique, son état-major de la marine a collaboré étroitement avec les allemands. Certes les forces
bulgares n’ont pas engagé directement les soviétiques, mais la Bulgarie a fourni des bases pour le commandement naval de l'Axe qui étaient nécessaires pour opérer dans les eaux de la mer Noire.
Le plan de Manstein visait à anéantir le dispositif de défense soviétique par un énorme bombardement
intense de 5 jours, où collaboreraient l’aviation, l'artillerie, les mortiers, la D.C.A. et les canons d'assaut. Jamais au cours de la Seconde Guerre mondiale, ni avant ni après Sébastopol, les Allemands ne concentrèrent de
telles forces de bombardement sur un seul objectif. Dans ce combat d'artillerie, les mortiers à obus fumigènes jouaient un rôle particulier. C'était la 1ère fois que cette arme sinistre était engagée en masse
sur un objectif précis. De plus, pour venir à bout des forts soviétiques, l’artillerie allemande a employé les obus spéciaux «Röchling», qui avaient déjà
fait leurs preuves à Liège [3]. Ils n'explosaient pas lors de l'impact, mais seulement lorsqu'ils avaient pénétré dans le béton. Leur grande vitesse initiale les
faisaient atteindre des objectifs enfouis jusqu'à 45 m de profondeur, et de percer les murs de béton armé jusqu'à 8 m d'épaisseur.
Dans le cadre de l'artillerie traditionnelle allemande qui a pilonné les fortifications de Sébastopol, il faut citer trois géants qui font désormais partie de l'histoire des guerres: le
mortier «Gamma», le mortier «Karl» (qu'on appelait également «Thor») et le canon lourd «Schwerer Gustav», qui opérait sur voie
ferrée. Ces trois merveilles représentaient alors l'aboutissement de l'évolution en matière d'artillerie conventionnelle et avaient été spécialement étudiées pour la guerre de forteresse en Europe
occidentale (notamment contre les forts belges et les fortifications de la ligne Maginot française).
Le mortier «Gamma» était la résurrection de la célèbre "Grosse Bertha" du vrai nom -- Dicke Bertha -- de la Première Guerre mondiale. En 1940, il fut utilisé contre les
forts de Liège, Aubin-Neufchâteau et Battice en Belgique, ainsi que contre certains ouvrages de la ligne Maginot en France. En 1942, quatre de ces batteries lourdes furent envoyées en Crimée pour le siège de Sébastopol
où ils tirèrent 1.200 obus à eux quatre causant la perte de 3 forts : «Molotov», «Sibérie» et «Volga», réduits à l'état de gravats. Le calibre de cette arme: 420mm («Skoda»)
ou 427 mm («Gamma»). Son poids total: 100 t. Son tube avait une longueur de 7 m. Ses obus de 42,7 cm pesaient 923 kg pour l'explosif et 1.123 pour le perforant et pouvaient être tirés à 14.250 km du but. Rythme de tir: 8 coups
à l'heure. Pour servir ce mortier géant, 285 artilleurs étaient nécessaires.
Mais «Gamma» n'était qu'un nain comparé au mortier «Karl», l'un des canons autopropulsés les plus lourds de la Seconde Guerre mondiale et spécialement destiné à la destruction
des fortifications bétonnées de la ligne Maginot. Dessiné et fabriqué par «Rheimetal», les essais de tir se sont développés durant 1938 et 1939 et les essais de manœuvre
à grande échelle ont eu lieu à Unterlüss en mai 1940. Cette arme énorme a gagné son surnom par le général Karl Becker de l'artillerie qui a été fortement impliqué dans son développement.
Finalement, ce n'est qu'en novembre 1940 que l'arme entra en service, alors que la ligne Maginot était déjà aux mains des allemands depuis cinq mois! Il a existé deux types de mortiers Karl: le «Mörser Gerät
040» de 600 mm et le «Mörser Gerät 041» de 540 mm. Les deux armes tiraient des projectiles qui étaient conçus pour pénétrer le béton et qui explosaient violemment
après la pénétration. La portée du Gerät 040 était de 6.800 m et celle du Gerät 041 de 10.500 m. Le poids total du «Mörser Gerät 040» de 600 mm: 120 t. Ses obus perforants de 61,5 cm («schwere
Betongranate»), pesaient 2.200 kilos, (ils traversaient toutes les épaisseurs de béton connues) et faisaient des cratères jusqu'à 15 m de large et 5 m de profondeur.
Ce monstre n'avait plus rien de commun avec le mortier ordinaire. Son tube ramassé, long de 5,068 mètres, et son énorme dispositif
de recul, évoquaient plutôt une usine dotée d'un sinistre tronçon de cheminée. L’engin ne pouvait se déplacer que via le système ferroviaire, les chenilles ne servaient que pour parcourir les derniers kilomètres
entre la gare et la position de tir. Il pourrait seulement être chargé en respectant l’inclinaison zéro, donc le pointage du canon devrait être réajusté après chaque tir. Chaque pièce devait être
accompagnée d'une grue, une remorque de transport lourd, et plusieurs tanks spécialement aménagés pour le transport des obus. Au total sept exemplaires de ce type de mortier ont été construits entre 1940 et 1945. Trois
d’entre-deux dénommés «Karl», «Thor» et «Odin» ont été engagés durant le siège de Sébastopol. Des positions de tir
camouflées de 15 mètres de longueur, de 10 mètres de largeur et de 3 mètres de profondeur devaient être creusées pour chaque mortier afin de minimiser le feu d’une éventuelle riposte soviétique avant
qu'ils puissent se mettre en position de tir. Plusieurs de ces obus ont été tirés sur les deux tourelles blindées équipées d’un double canon de calibre 305 du fort Maxime Gorky I. Pire que les dégâts
superficiels causés sur les tourelles et leur armement, les obus de «Karl» ont endommagé profondément la structure de béton soutenant les tourelles, ainsi que le centre de commandement situé à quelque 600
m (appelé «le Bastion» par les allemands).
Et pourtant, «Karl»
ne constituait pas le canon plus ultra de l'artillerie allemande. Cette réputation appartient au «Gros Gustave», fabriqué par «Krupp AG» durant les années 1936-1941 sous
le nom officiel de 80 cm Kanone (E) «Schwerer Gustav» d’après le nom du directeur principal de la ferme, Gustav Krupp von Bohlen und Halbach. Elle fut vraiment la.pièce la plus lourde de la Seconde Guerre mondiale [4]. Son calibre: 80 centimètres. Son poids total: 1.300 t. Sa capacité de perforation: 1m pour l’acier, 7m pour le béton armé. De son tube long de 32,5 m, des obus de 4.800 kilos jaillissaient,
pour retomber 47 kilomètres plus loin. Le «Gros Gustave» pouvait tirer des obus perforants encore plus lourds, de 7.000 kilos, à une distance de 38 kilomètres capables de venir à bout des fortifications puissantes comme
celles de la ligne Maginot, contre laquelle il se destinait au départ. Obus et gargousse mesuraient 7,8 m de long. Ensemble, ils atteignaient approximativement la hauteur d'une maison de deux étages. Un projectile-fusée de très
longue portée (150 km) était également prévu, ce qui obligerait d’allonger le canon aux 84 mètres. Cette possibilité n’a cependant pas été réalisée.
Le «schwerer Gustav», dans la meilleures des cas, ne pouvait tirer qu’un obus tous les quarts d'heure,
mais des coups au but sure et avec un effet destructeur sans précédent. L'obus devait être introduit dans une position très précise, il fallait calculer sa trajectoire précisément, ses cibles étaient littéralement
pulvérisées. Un seul coup au but du «Gros Gustave» a anéanti à Sébastopol, dans le golfe de Severnaïa, un dépôt de munitions enseveli à 30 mètres sous terre. Ce canon géant
était posé et se déplaçait sur rail (deux voies parallèles). Deux bataillons de D.C.A. le surveillaient constamment. Service, protection, entretien exigeaient la présence de 4.120 hommes. Le pointage et le tir étaient
exécutés par 1.500 hommes placés sous le commandement d'un général de brigade. Avant de faire feu, les servants assuraient leurs couvre-oreilles sans quoi leurs tympans auraient éclaté. En février 1942,
le Gustav a été assigné à l’unité d'artillerie lourde (E) 672 et commencé sa longue chevauchée en Crimée. Le train le transportant a été composé de 25 wagons, une longueur totale
de 1,5 km. Le canon a atteint l'isthme de Perekop au début de mars 1942, où il a été détenu jusqu'au début d'avril. Un embranchement de chemin de fer spécial pour le Gustav a été construit à
la gare de Simferopol-Sébastopol à 16 kilomètres au nord de la cible, dont quatre rails semi-circulaires. Des rails supplémentaires ont été nécessaires pour les grues qui ont assemblé Gustav.
Depuis son engagement et jusqu’à la fin du siège de Sébastopol, le Gustav a tiré
au total 48 obus et usé de son canon original, qui avait déjà tiré environ 250 coups au cours des tests de son développement à Hillersleben (en Allemagne) et à Rügenwalde
(aujourd’hui Darlowo en Pologne) de 1937à 1941. Un canon de recharge a été utilisé et l'original fût renvoyé en usine Krupp à Essen pour réparation.
Les opérations
La 11ème Armée allemande
pénétra en Crimée par l'Isthme de Perekop après de difficiles combats, Manstein menant ensuite un rythme de poursuite élevé contre les troupes soviétiques en repli à partir de la fin octobre 1941, s'emparant
ainsi rapidement de toute la péninsule durant le mois de novembre, à l'exception de la forteresse de Sébastopol. Von Manstein installe son quartier général dans un kolkhoze au nord de Simféropol. Les forces germano-roumaines
avancèrent dans les environs de Sébastopol par le nord et lancèrent une première attaque de faible envergure le 30.10.1941. Celle-ci ayant échoué, les allemands débutèrent le siège de Sébastopol
soumettant la ville à des violents bombardements d'artillerie. Une deuxième offensive terrestre, bien plus puissante, commença le 17.12.1941, principalement par le nord, von Manstein visant le port de la ville. C'est en effet par là
qu'arrivent le ravitaillement et les renforts soviétiques, qui disposent de la supériorité navale en Mer Noire. Manstein fait également attaquer ses troupes au Sud afin de faire diversion en détournant une partie des forces
soviétiques.
La 11ème Armée progresse lentement dans les fortifications de Sébastopol,
mais finit par s'essouffler. Les Soviétiques profitent de la faiblesse allemande pour lancer une contre-offensive fin décembre 1941, après que des renforts leur soient arrivés au cours de ce mois par la mer d'Azov. Ils effectuent
en effet plusieurs débarquements, prenant pieds à Feodosia et traversant le détroit de Kertch alors gelé. Le Generalleutnant Hans Graf von Sponeck évacue de la presqu'île de Kertch son unique division, désobéissant
à von Manstein, qui le démet de ses fonctions. Von Manstein, après avoir tenté de poursuivre l'offensive contre Sébastopol, doit renoncer et replier ses troupes sur des positions défensives pour en envoyer une partie
refouler les Soviétiques.
La situation empire encore le 5 janvier 1942 lorsque les Soviétiques
débarquent à Eupatoria, au nord de la Crimée, obligeant Manstein à détourner une partie de ses forces. Par la suite, les Allemands et les Roumains parviennent à rétablir la situation dans l'ouest de la Crimée,
les Soviétiques n'arrivant plus à progresser réellement, sans toutefois être refoulés de la presqu'île de Kertch. Manstein utilise la toute nouvelle 22ème Panzer-Division, envoyée à la 11ème
Armée, lors de l'offensive du 20 mars 1942 pour réduire un saillant soviétique, qui se termine par un coûteux échec allemand mais affaiblit les Soviétiques dont la dernière offensive de début avril 1942
n'aboutit pas. Le front est figé sur l'isthme de Parpatch.
En prévision de l'offensive
allemande d'été 1942 dans le Caucase (opération «Fall Blau»), l’ordre est donné de chasser les Russes de la Crimée. Von Manstein choisit de réduire la tête de pont
soviétique de Kertch avant de retourner son armée vers Sébastopol. Il prépare donc l'opération «TrappenJagd» (chasse à la trappe), dont la date de déclenchement fut fixée
au 8 mai 1942. Il estime, en raison du rapport de forces, qu'il faut détruire les unités soviétiques sur l'isthme étroit de Parpatch, plutôt que de les affronter plus en profondeur dans la presqu'île de Kertch où
les Soviétiques pourraient mieux utiliser leur supériorité numérique en raison d’un plus ample espace. Il choisit d'attaquer au sud de l'isthme, les Soviétiques ayant massé majoritairement leurs forces au nord,
où se trouve le saillant que Manstein avait essayé en vain de réduire en mars. Une fois percé le front Sud sur une certaine profondeur, l'attaque germano-roumaine remonterait vers le Nord-Est pour détruire le gros des forces
soviétiques prise à revers, avec une brigade mobile qui se dirigerait vers Kertch pour protéger de manière active l’offensive lorsque celle-ci remonterait vers le Nord-Est.
L’opération «Trappenjagd» débute avec un bombardement d’artillerie le 8 mai 1942, une opération
amphibie de la 132ème division d’infanterie allemande, et des attaques de Stuka de la Luftflotte 4 de Wolfram von Richthofen. Les différents Corps de la 11ème Armée foncent vers les positions soviétiques et les prennent
à revers. Les armées soviétiques, surprises de plein fouet par l’attaque, se replient vers l’est. Le 9 mai, les Soviétiques résistent héroïquement face au XXX Arméekorps, mais les Allemands
continuent à les repousser toujours vers l’est et prennent la presqu’île de Kertch le 16 mai 1942 en s'emparant de ses aérodromes. Les Soviétiques tentent en vain une contre-offensive, puis essaient d’embarquer
à bord de la flotte soviétique de la mer d'Azov: seuls 10.000 soldats réussiront à s’échapper de cette façon, car l’Armée rouge subira plusieurs attaques de la Luftwaffe. L’opération
«Trappenjagd» se termine le 18 mai 1942 par une victoire écrasante de von Manstein, qui aurait pris 170.000 prisonniers.
Après l’élimination du pont soviétique de Kertch, la 11ème Armée allemande se retourne alors contre la forteresse de Sébastopol, dernier bastion soviétique en
Crimée. Bien que les Soviétiques ne puissent plus utiliser leur supériorité navale pour approvisionner le port, du fait de la présence accrue de la Luftwaffe, von Manstein choisit d'attaquer par le nord, notamment pour des
raisons logistiques, tout en maintenant une attaque au Sud.
Le 2 juin 1942 débuta une nouvelle
attaque germano-roumaine contre Sébastopol du nom d'opération «Störfang» (pêche à l'esturgeon), de très grande ampleur avec la plus forte concentration d'artillerie très
lourde de toute la guerre, accompagnée d'intenses bombardements aériens. Les bombardiers allemands déversèrent ce jour-là plus de 6.000 tonnes de bombes sur la ville. Le bombardement terminé, les forces de la 11e Armée
lancent leur offensive le 07.06.1942. La poussée principale, confiée au 54e corps, s'exerçait dans le secteur Belbek-Kamychly. Le 30e corps, quant à lui, faisait pression le long de l'autoroute de Yalta. Le «schwerer Gustav»
intervient pour appuyer les efforts de l’infanterie. Le 7 juin 1942, l'objectif du canon est une fortification russe qui aurait dû être prise par un assaut d'infanterie, avec 7 obus plus besoin d'assaut, la fortification est détruite.
Les Allemands avaient espéré disloquer le front et réduire la défense peu à peu, mais les Soviétiques résistèrent avec acharnement et les assaillants durent s'arrêter après quelques succès
locaux. Pour isoler la ville de la mer, les Allemands employèrent une flotte de navires de guerre côtiers basés à Yalta, à Evpatoriya et à Feodossiya.
Après 4 jours de nettoyage et de remise en état, le Gustav reprend son œuvre de destruction en rayant de la carte le fort Sibérie en seulement 5
obus. Le 17 juin 1942, le «Schwerer Gustav» tira ses 5 derniers obus contre le fort Maxime Gorky, qui pulvérisèrent les 2 coupoles de 305mm - les tubes des canons russes furent retrouvés à 15 m du point d'impact !!!
– et le fort est pris suite à une résistance acharnée corps à corps à 16h50. Pour venir à bout des défenseurs du fort, les Allemands ont fait ample usage des fusées «Nebelwerfer»
[5]. Sur une garnison de 1.500 hommes seulement 40 soldats et encore tous blessés à des degrés divers furent faits prisonniers. La chute du Fort Maxime Gorky a ouvert pour les Allemands un
chemin d'accès au port de Sébastopol et ils accèdent â la baie du Nord le 18 juin après l'arrivée de renforts détachés de la XVIIe armée. Des éléments avancés de l'infanterie
d'assaut ont atteint la côte le 20 juin. Le 21 juin, le dernier des principaux forts du Nord (Fort Lénine) a été capturé. La ville entière de Sébastopol et de la base navale de la flotte russe «mer noire»
s'étendait maintenant sous le feu des canons allemands. Toutefois, le 21.06.1942, l’Armée du Littoral résiste toujours face aux Allemands. Le 23 juin, les Russes se retirèrent au sud de la baie, maintenant ainsi leur front,
mais leur situation était désormais sans espoir. Les munitions allaient manquer et, après le 26 juin, aucun navire de surface ne se trouva plus en mesure d'acheminer renforts et matériel à destination de la ville assiégée.
Von Manstein procède alors à une opération audacieuse, consistant à infiltrer deux
divisions allemandes dans le dos du dispositif soviétique. Dans la nuit du 28 au 29 juin, les Allemands lancent une opération amphibie sous le couvert d’un écran de fumée artificiel dense à travers le port de Sébastopol.
Cette attaque a été effectuée en collaboration avec les assauts d'infanterie renouvelée de l'est. L’opération est un succès et les Allemands établirent de solides têtes de pont en moins de 10 min
sur la rive méridionale de la baie du Nord. Cette opération sur deux fronts a réussi à placer aux mains allemandes la totalité de la crête importante située à l'ouest de la Chernaïa. Les Allemands
ont attribué une grande partie du crédit pour le succès de cette attaque à l’emploi habile de leurs vedettes de propulsion qui ont transporté l'infanterie d'assaut à la rive sud du port de Sébastopol.
Ces vedettes, avec leur moteur de 50 chevaux pouvant atteindre une vitesse de 48 kilomètres/heure et une capacité de transport de 12 hommes armés, ont été développées en grand secret par les Allemands pendant
les dernières années de paix et ont été l'un des véritables révélations de cette guerre. Ces vedettes furent employées pour la traversée de la Vistule par la quatrième armée à
Culm en septembre 1939.
Le XXX Arméekorps perce la ligne du Sapoun le 29 juin 1942, la
garnison soviétique n’a plus d’autre choix que d’évacuer la ville par la Flotte de la Mer Noire. La situation ayant été devenue critique, Staline ordonne catégoriquement que le haut commandement
militaire, ainsi que les hauts responsables du parti et de l’administration soient évacués par sous-marin. Le 1er juillet 1941 von Manstein ordonne l’assaut final. Les troupes allemandes, en avançant sur Sébastopol à
partir de l'est, capturent le fort Malakhoff sur une hauteur dominante juste au sud-est de la ville. Le 3 juillet, les lignes soviétiques sont percées. Le 9 juillet 1942, les dernières poches de résistance soviétiques dans
le sud de la ville cessent le combat.
Le siège de Sébastopol a duré 250 jours.
Lorsque les combats ont cessé, Sébastopol n'était plus qu'un amas chaotique de ruines, plus de 30.000 tonnes d’explosifs d’artillerie ayant été déversés sur la ville. 2 armées Soviétiques
ont été détruites. Sur le champ de bataille désert gisent des milliers de morts parmi les débris de 467 canons, 758 mortiers et 155 canons antichars et antiaériens. Von Manstein a évalué les pertes allemandes
à 24.000 morts et disparus, chiffre sous-estimé qui n’inclue pas les pertes roumaines non connues. Les pertes soviétiques elles ont été estimées à 18.000 morts et 90.000 prisonniers, chiffre exagéré
compte tenu du fait que garnison défendant Sébastopol s'élevait à 106.000 hommes (renforts compris) et que plus de 25.000 blessés ont été évacués sur ordre de Staline.
Cependant, des groupes de survivants soviétiques (entre 10.000 et 15.000 soldats), retranchés dans les catacombes de Kertch,
refusent de déposer les armes et mènent une guérilla héroïque pendant plusieurs mois contre l'occupant allemand. Ce n'est que le 16 octobre 1942 que la péninsule de Kertch est entièrement sous contrôle allemand.
Suite à la prise de Sébastopol Erich Von Manstein est élevé à la dignité
de «Generalfeldmarschall». Cependant, bien que l'opération «Störfang» fût un succès, elle prit beaucoup plus de temps et des moyens que les Allemands n’avaient imaginé. L'opération
«Fall Blau», ne faisait que commencer et l'offensive allemande vers Stalingrad n'aurait pas la 11e armée pour la soutenir. En effet, dans un premier temps, la 11ème Armée, censée y participer, devrait se préparer
à traverser le détroit de Kertch avant la mi-août (opération «Blücher»). Finalement, la 11ème Armée a reçu l'ordre de se porter dans le secteur nord du front de l'Est,
pour participer au siège de Leningrad, une partie de ses forces restant en Crimée, d'autres partant vers la Heeresgruppe Mitte. La 6e Armée allemande à Stalingrad se trouverait donc sans le soutien crucial de la 11e Armée,
ce qui contribuera finalement à sa défaite. Sébastopol, par son sacrifice, a inspiré les Russes à poursuivre la guerre et à la gagner.
À la fin de l'année 1943 et au début de l'année 1944, la Wehrmacht est repoussée sur toute sa ligne de front de l'est. En octobre 1943, la 17e armée
allemande (Groupe d'armées A) se retire de la tête de pont du Kouban à travers le détroit de Kertch en Crimée. Pendant les mois suivants, l'Armée rouge sous le commandement des maréchaux Tolbukhin
et Malinovsky repousse la Wehrmacht dans le Sud de l'Ukraine pour finalement couper la connexion terrestre de la 17e armée à travers l'isthme de Perekop en novembre 1943.
L'OKH allemand s'obstine à faire de Sébastopol une forteresse, comme l'Armée rouge l’avait fait en 1941-1942. Cependant les fortifications
de la ville n'avaient jamais été remises en état et Sébastopol n'était pas la aussi puissante position défensive qu'elle l'avait été en 1941. L’opération de libération de la ville
par l’Armée rouge est lancée le 8 avril 1944 par un assaut des éléments de la 2e Armée de garde et de la 51e Armée du 4e front ukrainien sur l'isthme de Perekop. La 17e Armée allemande sous le commandement
d’Erwin Jaenecke défend ses positions mais ne parvient pas à arrêter l'avance soviétique. Kertch est atteinte par l'Armée séparée du Littoral le 11 avril, Simferopol, à environ soixante kilomètres
au nord-est de Sébastopol, deux jours plus tard. La 17e Armée bat en retraite vers Sébastopol le 16 avril, au même titre que le reste des forces de l'Axe en Crimée afin de concentrer leurs forces autour la ville. Des combats
éclatent dans la périphérie de la ville vers la fin du mois d'avril et Sébastopol tombe le 9 mai, moins d'un mois après le début de l'offensive. Les troupes de l'Axe évacuant par la mer à Constanţa (Roumanie)
sont attaquées par des bombardiers soviétiques. Les formations allemandes et roumaines perdent 57.000 hommes, dont beaucoup se sont noyés lors de l'évacuation. Les dernières poches de résistance de l'Axe en Crimée
sont nettoyées le 12 mai 1944.
En 1945, Sébastopol reçut le titre de ville
héros. La médaille de l'étoile d'or l'accompagnant se retrouve sur le blason de la ville. Un monument a été inauguré en plein centre-ville, lors de la commémoration du 60e anniversaire de la victoire des forces
alliées sur l'Allemagne nazie.
Dr. Angel ANGELIDIS
Bruxelles, le 23 mars 2014
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[1] Fritz Erich Georg Eduard von Lewinski, connu
sous son nom d'adoption d'Erich von Manstein, né le 24 novembre 1887 à Berlin, mort le 9 juin 1973 à Irschenhausen en Bavière, est un militaire allemand ayant été élevé au grade
de Generalfeldmarschall. Considéré comme l'un des plus brillants généraux allemands de la Seconde Guerre mondiale1, von Manstein est célèbre pour avoir conçu un plan d'attaque de la France proche de celui qui
sera appliqué en 1940 et pour ses combats en URSS (Russie, Ukraine, Crimée). Le 12 décembre 1942, il dirige l'Opération Wintergewitter (Tempête d'hiver), nom de code de l'effort de la 4e Armée de Panzer pour
rompre l'encerclement de la 6e armée allemande durant la bataille de Stalingrad. Il parvint à mi-chemin de son objectif avant qu'un mouvement de flanc de Gueorgui Joukov plus au nord ne le force à rebrousser chemin, scellant la perte
de la 6e Armée à Stalingrad. Le 29 octobre 1942, Gero, son fils aîné, leutnant au Grenadier-Regiment (mot.) 51, est tué lors d’un bombardement aérien près du lac Ilmen. Manstein s'est souvent opposé
à Hitler, notamment lors de la retraite qui a suivi la bataille de Koursk, en suggérant qu'un militaire (lui-même) dirige désormais (à la place d’Hitler) la guerre sur le front de l'Est. Le 30 mars 1944, Manstein est
relevé de ses fonctions par Hitler. Jugé pour crimes de guerre en 1949 à Hambourg, Manstein est condamné à dix-huit ans de prison, peine réduite par la suite à douze ans. Finalement libéré en 1953,
Manstein devient conseiller militaire auprès du gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne.
[2] Ivan
Iefimovitch Petrov (en russe: Иван Ефимович Петров; 30.09.1896, Troubtchevsk - 07.04.1958, Moscou) est un général soviétique, qui fut un maître de la guerre défensive. Il participa à la bataille d'Odessa,
la bataille de Sébastopol et fut promu pour diriger l'Armée maritime en octobre 1941, la 44e Armée d'août à octobre 1942, la 33e Armée du Front du Nord-Caucase (Groupe d'armées de la mer Noire) en 1944,
puis le 2e Front biélorusse. D’avril à juin 1945, il fut le chef d’état-major du 4e Front ukrainien. En mai 1945, Petrov reçut les insignes de Héros de l'Union soviétique. Il ne doit pas être confondu
avec le maréchal Vassili Ivanovitch Petrov (un autre défenseur de Sébastopol et maréchal de l’URSS, décédé le 01.02.2014).)
[3] Le fort d'Aubin-Neufchâteau en Belgique fut bombardé par ces même obus qui pénétrèrent les 30 m de terre et roche + 5 m de béton armé
avant d'exploser dans les galléries et locaux du fort.
[4] Ce type de canon a été
fabriqué à 2 exemplaires, le 2ème étant «Dora» d’après le nom de l'épouse de l'ingénieur responsable du projet. Conformément à la tradition de la famille Krupp,
aucun paiement n’a été exigé pour la première pièce livrée («Schwerer Gustav»). Pour la deuxième pièce («Dora») un montant de sept millions de Reichsmark
a été facturé. «Dora» a été déployée à Stalingrad en août 1942, mais la menace d'encerclement soviétique était trop grande et «Dora» a dû
être retirée en septembre 1942 et elle ne sera plus envoyée au combat. Le Krupp travaillait également sur des projets de canons de calibre de 850 mm, 900 mm et 1.000 mm (1 m !!!) -- mais aucun ne dépassa le stade des
planches à dessins. «Schwerer Gustav» et «Dora» ont été détruits par les allemands probablement avant le 22.04.1945 pour éviter leur capture par les forces alliées.
[5] Les «Nebelwerfer» (lanceurs de brouillard, un nom de code utilisé
pour cacher la vraie nature de ces engins) sont des lance-roquettes multiples montés sur trépied et tirant en rafale utilisés par l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils faisaient un bruit assourdissant.
Sources:
- http://carnets-de-guerre-39-45.skyrock.com/2970514609-62-Le-mortier-lourd-Skoda-ou-Gamma-de-420-et-427-mm.html
- http://carnets-de-guerre-39-45.skyrock.com/2971276115-65-La-prise-de-Sebastopol-du-7-juin-au-3-juillet-1942-Manstein.html
-
http://www.39-45.org/viewtopic.php?f=26&t=2527&start=20
- http://www.dday-overlord.com/forum/karl-600-mortier-munitionspanzer-t403.html
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_S%C3%A9bastopol_(1941-1942)
- http://en.wikipedia.org/wiki/Karl-Ger%C3%A4t
- http://en.wikipedia.org/wiki/Schwerer_Gustav
- http://www.39-45strategie.com/articles-historiques/pages-dhistoire/le-siege-de-sebastopol/
- http://englishrussia.com/2012/07/03/the-city-under-the-german-attack/2/
- http://survincity.com/2013/07/operation-catching-sturgeon-on-the-70th-2/
- http://forum.worldoftanks.com/index.php?/topic/291691-for-you-arty-lovers-out-there/
- http://histoire-militaire.pagesperso-orange.fr/infanterie/gustav.htm
- http://www.lonesentry.com/articles/ttt08/sevastopol.html
- http://albumwar2.com/fight-in-the-35th-battery-of-sevastopol/
- http://hasmgrupu.blogspot.be/2013/08/canon-ferroviario-dora-schwerer-gustav.html
- http://www.befr.ebay.be/itm/TANK-CHAR-AUTOMOTEUR-MORTIER-KARL-GERMANY-ALLEMAGNE-WWII-FICHE-/151248015809
- http://www.allworldwars.com/The%20History%20of%20Maxim%20Gorky-I%20Naval%20Battery.html
- http://www.seconde-guerre.com/biographie-n-manstein.html
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Erich_von_Manstein
- http://en.ria.ru/tags/tag_Vasily_Petrov/
- http://englishrussia.com/2011/06/17/the-symbol-of-heroism-and-tragedy-of-sevastopol/4/